Docteur Lingus
– Consolez-vous monsieur Morço et efforçons-nous de régler vos misères ensemble. Comme urogynécophonologue, je soigne les syndromes du système reproducteur phonique des hommes et des femmes et les dysfonctionnements de reproduction des lettres et des sons depuis dix printemps... Inspectons votre bouche. Ôtez votre veste. Posez le menton ici, sur les étriers et ouvrez bien. Le speculum est un peu froid, je vous prie de m’excuser. Voyons… Bon, les lèvres sont bien disposées, rebondies, régulières, l’uvule semble souple et humidifiée. Redressez-vous. Souffrez-vous d’élocutions précoces ?
– Heu, non, je peux me retenir correctement en réunion.
– Bien. Dites « trente-trois »
– Trente-trois.
– Très bien. Et dites « cunnilingus » pour voir.
– Cunnilingus. Pourquoi ?
– Eh bien, comme le dit l’une de mes copines juges Oulipienne, ce mot « coule en bouche, robuste de symbolisme, et sonne comme le nom d'un centurion de Rome », et surtout il permet d’estimer votre sensibilité et votre réponse sous l’effet d’un stimulus de consonnes occlusives… Tout est conforme. Et dites encore « femme ». C’est une intuition… féminine peut-être.
– Femme…
– Oh, vous entendez ?
– Quoi ?
– Vous pouvez dire « femme » !
– Et donc ?
– Donc si votre voyelle se dissimule, le son primitif lui-même existe toujours ! C’est bon signe, non ?
– Oui, effectivement. C’est fou ! Vous êtes éminemment doué, docteur !
– Non, M. Morço, j’exerce simplement mon métier.
– Quel doux mot. Je veux le répéter, c’est un merveilleux répit, croyez-moi, surtout que je suis fou des femmes. Femmes, femmes, ô femmes, je vous sème ! Oh non… J’y écru, docteur. Rendez-vous compte, si je ne peux plus déclorer mes flemmes vers les lunes de mon cœur, c’est triste… C’est comme si je perds dès l’humour.
– Je vous comprends… l’humour, c’est essentiel.
– Bon, reste les gestes, en dernier recours… Je montre mon cœur et je tends un sourire. L’émotion du silence, quoi…
– Heu oui, enfin, tout de même, vous souffrez d’un dévoisement de voyelle conséquent, doublé d’une homophonie lexicohybride des plus insolites…
– Et c’est sérieux, docteur ?
– Le système phonique est concerné, c’est sûr. Seulement le trouble est potentiellement plus profond, possiblement sous le système de voix…
– Et comment s’y prend-on pour en guérir ?
– Hm, je ne veux point vous inquiéter… Toutefois, je suis embêté pour vous répondre. En vérité, une seconde opinion peut nous conforter pour un chemin de guérison. Je peux éventuellement vous orienter vers mon collègue procto-orthophoniste, qui interprète les borborygmes et permet de renouer les discussions entre vous et vos intestins… Il existe des techniques, voire des gestes de chirurgie, seulement…
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