Beatrix (1ère partie)

8 minutes de lecture

 Malheureusement, nous ne nous vîmes pas beaucoup dans les mois qui suivirent la rentrée. Luc galérait en fac d’histoire, Sandra commençait une école de commerce qui imposait de nombreux stages à l’étranger, et moi, je ne croulais pas sous le boulot en TS. Et Audrey ? Je ne la voyais pas très souvent, mais plus que Sandra et Luc… Nos rapports n’avaient pas tellement changé, à tel point que j’avais parfois l’impression que ce qui s’était passé au lac n’avait pas eu lieu… Audrey n’y faisait d’ailleurs jamais allusion.

 Au début du mois de décembre, elle me proposa une sortie ciné. Le jour dit, je fus ravi de constater qu’elle m’attendait seule devant le Comoedia : habituellement, elle m’invitait effectivement plutôt avec d’autres connaissances. Rien de notable ne se passa cependant au cours de la séance, si ce n’est que ce fut le choc cinématographique de ma vie. Lorsque les lumières se rallumèrent, nous nous regardâmes presque hagards Audrey et moi. Il faut dire que « Mulholland Drive » prêtait à discussion : J’avais envie de savoir comment mon amie avait compris la fin du film, mais aussi ce qu’elle avait pensé de la fameuse scène d’amour entre Naomie Watts et Laura Harring. Au moment de me quitter, après avoir pris un verre avec moi au bar du ciné, Audrey chuchota :

 « Réserve-moi ta soirée le 15 de ce mois !... »

 Je l’observai, surpris : C’était le jour de mon anniversaire, une date que nous n’avions jamais fêtée ensemble. J’étais même étonné qu’elle s’en souvienne…

 « Tu veux que je la réserve pour toi… seule ?

 - Tu sais, je suis une grande fille maintenant… Je dois pouvoir faire le poids face à toi!...» me répondit-elle sur un ton enjôleur.

 Malgré mes nombreuses questions, Audrey refusa d’en dire plus. Je devais la retrouver Place Saint-Jean, le 15 décembre à 20 heures… Je passai les dix jours qui nous séparaient de la date fatidique dans un état de fébrilité assez indescriptible, puis enfin, celle-ci arriva…

 Quand je vis Audrey m’attendre devant la cathédrale, je fus soufflé par sa beauté. Evidemment je connaissais déjà celle-ci, mais mon amie portait alors un manteau d’hiver sobre et élégant loin de son look « sportwear » habituel. Nous prîmes une destination inconnue, Audrey refusant toujours de me dire ce qui était prévu. Enjouée et rayonnante, elle parlait sans arrêt, glissant des « mon chou » dans chacune de ses phrases. Je me sentais fier de marcher au bras d’une telle fille…

 Lorsque nous arrivâmes à destination, je n’en crus pas mes yeux. C’était un restaurant chic, du type de ceux que le modeste lycéen que j’étais n’aurait jamais pu se payer…

 « Tu sais, tu n’étais pas obligée, Audrey ! C’est beaucoup trop beau !...

 - Rien n’est trop beau pour toi mon chou !... Et puis ce soir, c’est moi qui régale, alors laisse-toi faire! »

 Je fis une moue dubitative : « Je voudrais pas mettre dans le rouge ton budget de petite étudiante !

 - T’inquiète, beau gosse ! La colo que j’ai faite cet été était bien payée… Et puis mes parents sont très généreux, je n’ai pratiquement jamais rien à débourser !

 - Oui, mais tu aurais peut-être voulu consacrer ton argent à quelque chose de plus utile… »

 Elle m’enlaça : « Franchement, qu’est-ce qui pourrait être plus utile et plus agréable que passer la soirée avec toi ? »

 Face à des arguments aussi indiscutables, je déclarai forfait… Les lieux étaient encore plus beaux que ce que j’aurais pu imaginer. On nous installa dans une véranda délimitée par d’immenses baies vitrées livrant une vue à couper le souffle sur la vieille ville. Le souffle coupé, je l’eus aussi lorsqu’Audrey retira son manteau : Elle portait une petite robe noire -presque une robe de soirée- mettant admirablement en valeur ses formes. Ses jambes étaient également gainées de noir… L’ambiance dans le restaurant était agréable, beaucoup moins « collet monté » que ce que j’aurais pu craindre. A vrai dire, je ne me rappelle plus du tout de ce que nous avons mangé tant j’étais concentré sur Audrey, ne la quittant pas un instant des yeux et me contentant de l’écouter me faire la conversation : l’idée de travailler plus tard dans une pharmacie lui disait de moins en moins et elle envisageait maintenant de poursuivre ses études dans la recherche…

 « Hé, tu m’écoutes ? » me dit-elle tout à coup alors que cela faisait deux bonnes minutes que j’avais décroché...

 - Heu… »

 Devant sa moue réprobatrice, je décidai de jouer franc-jeu :

 « Oui, bon, d’accord, j’écoutais plus… Mais c’est pas facile de se concentrer tout en pensant à cette question !...

 - Mais de quoi tu parles ? »

 Je me penchai vers elle :

 « De la question qui m’obsède depuis le début du repas : Est-ce que tu portes des bas ou un collant ?

 Mon amie ne put s’empêcher de sourire :

 « Je vois que mes études ont l’air de te passionner !

 - Tu ne me donneras pas la réponse ?... »

Elle prit tout son temps pour siroter une gorgée de Morgon avant de me regarder droit dans les yeux :

 « A quoi cela servirait-il que je te donne la réponse maintenant puisque tu l’auras tout à l’heure ?

 J’avalais de travers au point d’en avoir une quinte de toux, ce qui la fit éclater de rire. Tout en essayant de retrouver mon souffle, je commençais à éprouver un léger stress. Je réalisai qu’il allait falloir que j’« assure » et que ça n’avait peut-être pas été une bonne idée de reprendre trois fois du Morgon et de me laisser tenter par le fondant au chocolat noir…

 « Maintenant, tu viens chez moi pour prendre possession de ton cadeau ! » déclara Audrey après le repas, une fois dans la rue.

 Cette formulation ambiguë ouvrait le champ des interprétations, mais je savais que les expressions à double sens étaient habituelles chez Audrey.

 « Je croyais que le repas était mon cadeau ! C’était déjà suffisamment cher pour que tu ne soies pas obligée de m’en faire un deuxième ! prostestai-je pour la forme.

 - Rassure-toi mon chou : Le cadeau qui t’attend ne m’a pas coûté un sou… »

 J’eus la soudaine impression qu’il faisait étrangement chaud pour une mi-décembre à Lyon… Une fois chez elle, mon amie me proposa de m’installer dans le canapé tandis qu’elle s’assit dans le gros fauteuil de récup’. Je cherchais quelque chose à dire lorsqu’elle déclara brusquement qu’elle allait chercher mon cadeau dans sa chambre. Déçu, je commençais à me dire que j’avais mal interprété ses paroles, mais elle revint un grand sourire aux lèvres et absolument rien dans les mains. Elle se rassit confortablement dans le Chesterfield qu’elle avait quitté quelques secondes plus tôt…

 « Hé ben, et mon cadeau ?...

 - Il est juste en face de toi idiot… »

 Et se disant, elle croisa si haut les jambes que j’eus enfin la réponse à la question qui m’avait obsédé toute la soirée…

 « Oh !... J’en étais sûr !... Magnifique ! m’extasiai-je devant la lisière noire finement ouvragée marquant le haut du bas d’Audrey.

 - Tu comptes juste regarder, ou profiter de ton cadeau ?...

 - C’est que… Je voudrais pas abîmer l’emballage… » feignis-je d’hésiter.

 - Tu peux même le déchirer si tu veux, mais VIENS ! »

 Un dixième de seconde plus tard, j’étais à genoux devant elle, une main posée sur chacune de ses cuisses découvertes jusqu’à la limite de ses bas, sentant sous mes paumes le crissement soyeux du nylon…

 « Je ne vais quand même pas déchirer l’emballage du plus beau cadeau d’anniversaire qu’on m’ait jamais fait… »

 Le rire d’Audrey se transforma en un « oh ! » étouffé quand j’appliquai ma bouche au creux de sa cuisse, à l’endroit où son bas laissait place à une étroite bande de peau nue… puis devint un feulement de plaisir quand ma langue entreprit de caresser la douceur soyeuse de son épiderme… Elle avait largement relevé sa jambe le long de l’accoudoir pour me faciliter la tâche. Dans son inéluctable progression, ma langue se rapprocha de la bordure de son string noir…

 « Oh oui, chou !... c’est bon !... Viens !… »

 Tout près du plus haut objet de mon désir, je pouvais sentir l’entêtant parfum de son intimité émue. Sans prévenir, j’écartai le fin tissu pour dévoiler le Saint des Saints, araignée d’opale noire blottie en son secret berceau, étoile de mer des profondeurs à la sombre fourrure… Je m’empressai d’y plonger. Mon amante se cabra comme un pur-sang quand mes lèvres épousèrent les siennes, ma salive se mêlant à la liqueur de son fruit. Ecartelée et pantelante sur le fauteuil de vieux cuir, elle crocheta ses doigts dans mes cheveux pour m’attirer à elle, en elle, bouche soudée à sa céleste déchirure derrière laquelle je pus entrevoir son âme… Je bus à la source divine, Nil bleu, Gange, Okavango, fontaine où coule l’ambroisie qui sourd directement de ton cœur…

 « Prends-moi maintenant Pascal !… BAISE-MOI ! »

 Cette supplique fut prononcée sur un ton d’une telle impatience que je basculai instamment l’implorante sur le parquet stratifié. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, je présentai mon pieu de chair à l’orée de sa matrice et d’une seule poussée, me plantai dans ce fourreau ruisselant. Audrey ne me tint aucune rigueur de mon empressement, ses gémissements continus emplissant maintenant l’appartement… C’est alors que me frappa comme une gifle le déplorable oubli.

 « Audrey, je suis désolé !... J’ai pas mis de capote ! »

 J’amorçais déjà un mouvement de retrait quand ma belle, poussant en avant son bassin, cria :

 « On s’en fout !... T’arrête pas ! »

 Bien plus tard dans la nuit, c’est le froid, ou peut-être l’inconfort du parquet, qui me réveilla. Je me levai, légèrement chancelant, le corps endolori, et me dirigeai vers la chambre dans laquelle mon amie s’était retirée sans que je m’en rende compte. Je m’allongeai à ses côtés et me rendormis presque aussitôt.

 Le lendemain matin, il me fallut quelques secondes pour comprendre ce que je faisais là et pour réaliser qu’Audrey n’était plus étendue à côté de moi. Un beau soleil d’hiver déversait ses rayons par la fenêtre. Je me levai… Je trouvai ce petit mot sur la table du salon :

« Mon chou,

Je suis à la fac. Tu trouveras de quoi petit-déjeuner dans la cuisine. La clef de l’appart est dans la serrure. En partant, jette-là dans la boîte aux lettres.

A + ! »

 J’étais un peu déçu par le laconisme de ce message griffonné à la hâte au dos d’un prospectus publicitaire. Je loupai les deux premières heures de cours de la matinée et passai le reste de la journée dans une sorte de brouillard. De retour chez moi, j’enfourchai mon vélo pour rejoindre la cabine téléphonique la plus proche, ne désirant pas utiliser la ligne familiale et révéler ainsi à mon entourage mes petits secrets… Audrey ne décrochant pas, je lui laissai un message, mais je n’eus de nouvelles ni ce jour-là, ni les suivants. Enfin, environ une semaine après, je reçus –ce qui était un peu incongru- une carte postale de sa part. Je souris en la reconnaissant : c’était une carte publicitaire gratuite du restaurant dans lequel nous avions mangé le soir de mon anniversaire. Mais quand j’en lus le contenu, ma bonne humeur s’évanouit : Audrey avait passé les dernières soirées à l’hôpital auprès de sa mère opérée en urgence.

 Une dizaine de jours plus tard, elle m’appela pour que l’on boive un coup après les cours. Je la trouvai fatiguée. Heureusement, l’état de santé de sa mère s’était révélé moins préoccupant qu’on aurait pu le penser. Certes, il avait fallu lui ôter un kyste ovarien, mais celui-ci n’était pas cancéreux.

 « Après ses deux cancers, les médecins ne voulaient prendre aucun risque ! »

 - Ta mère a déjà eu deux cancers ?... Mais je n’en savais rien !

 - C’est normal, je n’en parle jamais en dehors de ma famille… »

 Je ne trouvai rien à dire de plus, mais commençai à considérer d’une autre façon le désir d’Audrey de poursuivre ses études dans la recherche médicale…

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