Persephone
La vie continua… Tout se passait comme si la crise que nous avions traversée Audrey et moi n’avait pas eu lieu. Pourtant, elle avait donné une coloration plus forte à notre relation, plus sombre peut-être… Je voyais mon amie généralement le mercredi après-midi, chez elle ou chez moi. Dans ce dernier cas, nos jeux restaient sages, même si elle poussait parfois l’audace jusqu’à caresser mon sexe à travers mon pantalon. Nous étions toujours sur le qui-vive car mes parents pouvaient entrer dans la pièce à tout instant. C’était devenu un jeu entre nous que de ne jamais réussir à regarder un film jusqu’à la fin du fait de nos petits dérapages… Parfois, quand mes parents étaient absents, Audrey «faisait quelque chose pour moi » ou « me donnait un coup de main », comme elle disait…
Quand nous allions chez elle, c’était plus simple. Audrey commençait par se changer, et évidemment, j’assistais à l’habillage et surtout au déshabillage… C’était un petit rituel du début de notre relation que nous avions gardé et qui se terminait souvent par des moments coquins. Elle prenait alors un malin plaisir à m’amener au seuil de la jouissance, me suçant langoureusement pendant des heures en prenant garde à ne pas me faire jouir et à me maintenir sur la crête de l’ivresse sensuelle.
Mon amie respecta apparemment toujours le « deal » qu’elle avait énoncé : je ne repérai jamais chez elle d’indice d’une présence masculine récente. Pas de deuxième brosse à dents dans la salle de bain ou de chaussette orpheline oubliée au pied du lit, pas de poils de barbe dans le lavabo… Soit Audrey faisait très soigneusement le ménage, soit « l’autre » ne venait effectivement jamais chez elle… Mais j’aimais autant ne pas le savoir…
Et puis vers la fin de l’année scolaire, ma sœur reçut sa correspondante italienne. Je me souviens très bien du moment où je la vis pour la première fois, au déjeuner, alors que tout le monde était déjà à table et m’attendait. Son profil se découpait en ombre chinoise devant la fenêtre de la salle à manger. Elle n’était pas de ces filles à la beauté renversante que l’on remarque d’emblée. Avec ses traits réguliers, son nez un peu trop long, ses grands yeux noirs qui semblaient manger son petit visage, elle arborait cet air sage et mélancolique des portraits de la Renaissance italienne. Elle semblait intimidée de se retrouver ainsi au milieu d’une famille inconnue. Ma mère faisait des efforts pour alimenter la conversation et briser la glace, mais Giulia, bien que répondant poliment, semblait peu bavarde, ou peut-être peu à l’aise avec la langue française… En la voyant baisser les yeux d’un air gêné en croisant les miens, je pris soudain conscience de l’insistance excessive de mes regards... Après le repas, ma sœur entra en trombe dans ma chambre et se planta face de moi, bras croisés, mine fermée.
« Qu’est-ce qu’il y a ?... lui demandai-je interloqué.
- Tu vas arrêter de la regarder comme ça !
- Hein, mais de quoi tu parles ?…
- T’es vraiment qu’un obsédé ! » cracha-t-elle avant de sortir de la chambre aussi rapidement qu’elle y était entrée.
Ah, ma sœur… Tant d’attraits réunis dans une même personne… Après cette altercation, elle continua à me regarder comme si elle était prête à me mordre dès que j’étais en présence de l’Italienne… C’est même peut-être cette hargne idiote qui m’a amené tout d’abord à m’intéresser à Giulia…
La nuit suivante eut lieu un incident. Je m’étais couché la fenêtre ouverte, et, soudain réveillé par la fraîcheur nocturne, je me levai pour la fermer quand j’aperçus dehors ce que je pris d’abord pour une luciole. Je fixais ce point rougeâtre qui semblait vibrer légèrement, lorsqu’une lueur me révéla qu’il y avait derrière celle-ci une personne tapie dans l’ombre. Je réalisai alors que ce que j’avais pris pour une luciole était la braise d’une cigarette. Je jetai un coup d’œil à mon radioréveil : 01 heures 34. Qu’est-ce qui pouvait pousser une italienne de seize ans à quitter sa chambre en pleine nuit pour aller fumer dehors ?
Je descendis l’escalier à pas de loup. Une nuit sans lune noyait la maison dans d’épaisses ténèbres… Il avait fallu que Giulia soit vraiment en manque de nicotine pour qu’elle fasse ce chemin lumière éteinte. Je risquai prudemment un œil par l’embrasure de la porte entrouverte menant au jardin. Elle était là, tellement proche que je pouvais entendre sa respiration dans le silence de la nuit et le grésillement du tabac à chaque fois qu’elle tirait sur sa cigarette, me dévoilant ainsi fugitivement l’étoile brillante de sa prunelle. Je pensais me retirer sans bruit et sans signaler ma présence quand une lumière s’alluma chez les voisins, projetant une faible lueur dans le jardin.
« Heu… Giulia… » murmurai-je de la voix la plus douce possible, ce qui n’empêcha pas la jeune fille de sursauter quand elle m’aperçut tout à coup dans la pénombre. Dans un accès de panique inutile, elle jeta son mégot comme si je m’apprêtais à la réprimander. Interloqué, j’essayai de rassembler mes faibles connaissances en italien :
« Heu… N’ai pas peur, heu, no paura ! »
- Si té plaît… Ne dis pas !...
- Mais non, enfin !... Tu sais, moi, je fume du shit, du cannabis, alors je serais vraiment mal placé pour… »
Giulia se méprit :
« No, pas cannabis ! Ce n’est pas !...
- Mais je sais bien !!... Oh merde… »
Je renonçai à en dire plus, accablé. A bien regarder la jeune fille, je lui trouvai un air défait qui semblait aller au-delà de la peur que j’avais pu lui occasionner…
« Tu vas bien ?... Toi, problème ? » (je sais, c’est pathétique…)
Giulia donna l’impression d’être prête à éclater en sanglots, puis tout à coup, la lumière dans la maison voisine s’éteignit, nous plongeant à nouveau dans l’obscurité ; l’Italienne fit un mouvement brusque. Peut-être voulait-elle tout simplement rentrer, mais calculant mal son coup, elle vint buter contre moi, son sein souple contre mon avant-bras… Elle laissa échapper un « oh ! » de surprise et je refermai mes bras autour d’elle en la serrant doucement contre moi. Je la sentis s’abandonner, puis se mettre à pleurer de manière irrépressible, les secousses de son corps provoquées par ses sanglots se propageant au mien.
« Pleure, petite ange, pleure !... »
Je lui murmurai à l’oreille des mots doux et consolateurs qu’elle ne comprit sûrement pas, mais dont elle saisit l’intonation. Puis aussi soudainement qu’elle s’était laissée aller, elle fit un pas en arrière, murmura : « Pardone… Scusa ! » et s’enfuit à l’intérieur de la maison. Je restai quelques instants stupéfait, dans le silence et le calme de la nuit…
Le lendemain, aucune allusion ne fut faite à cet incident mais Giulia rougit légèrement quand mon regard se posa sur elle. Alors que nous habitions en banlieue d’une des plus belles villes de France et qu’il faisait un temps magnifique, Virginie ne trouva rien de mieux que d’emmener sa correspondante voir un navet quelconque dans le multiplexe du coin. Mais ce n’était pas à cause du caractère peu agréable de ma frangine que l’Italienne s’était laissée aller à fondre en larmes la nuit précédente. J’avais très envie de découvrir ce qui se cachait derrière ce mystère, mais comment comprendre celui de quelqu’un dont on ne maîtrise pas la langue ? Je commençais à regretter de ne pas avoir étudié l’italien comme l’avait fait ma sœur. Giulia devait rester une semaine chez nous… Etait-il possible d’apprendre cette langue en un tel laps de temps ? Je décidai que oui...
J’ « empruntai » donc à Virginie un manuel dans sa chambre. Un matelas posé au sol et le sac de voyage de l’Italienne témoignait qu’elle avait dormi ici… La tentation s’empara aussitôt de moi. Je descendis la fermeture du sac. J’hésitai encore quelques secondes, puis plongeai mes mains dans son contenu. Je frôlai du bout des doigts des T-shirts et le tissu d’une jupe, puis soulevai précautionneusement quelques étoffes et découvrit avec intérêt soutiens-gorges et petites culottes sages, avant de lancer mes mains vers les strates les plus profondes… Elles rencontrèrent un objet rectangulaire -le paquet d’où avait été extraite la fameuse cigarette de la veille- et enfin un papier tout au fond du sac. Il s’agissait d’une lettre dont l’enveloppe indiquait qu’elle avait été expédiée d’Italie à une certaine « Giulia Capulli »…
Lire le courrier des autres, c’est mal… Mais quand il s’agit de porter secours à une jeune fille en détresse ?... Je sais que l’argument est d’assez mauvaise foi, mais j’étais persuadé que ce courrier avait quelque chose à voir avec le chagrin de Giulia, et du reste, c’était le cas. Il me fallut une bonne heure pour traduire maladroitement cette lettre écrite par un certain « Romu », mais ce que je saisis parfaitement, c’est qu’il était question d’amour, et que cet amour était malheureux. Non que Giulia ne partageât pas les sentiments de l’auteur, mais l’obstacle à leur union semblait résider ailleurs… En tout cas, Romu avait déjà quitté l’Italie au moment où sa lettre était parvenue à destination : « Debbo andarmene e seguitare a vivere, o restare e morire », terminait-il.
Pourquoi donc aurait-il dû mourir ? Les suppositions les plus rocambolesques se succédaient dans mon esprit... Romu était tour à tour un dangereux bandito recherché par les carabinieri, ou au contraire, un courageux dénonciateur obligé de se cacher pour échapper aux tueurs de la mafia lancés à ses trousses. Une seule chose semblait certaine: la peine de Giulia était due à son départ.
Non contente d’avoir passé une partie de la journée enfermée dans le noir, ma sœur voulut regarder le film du dimanche soir à la télévision. Je m’installai dans un fauteuil pendant que les filles occupaient le canapé, mais ne parvins pas à m’intéresser au film, mon esprit revenant continuellement vers la lettre. La luminosité changeante de l’écran dessinait brusquement des formes étranges sur le visage de Giulia, en accentuant un détail pour le replonger dans le noir l’instant d’après. Ma sœur étant momentanément sorti pour aller aux toilettes, j’osai m’adressai à elle :
« Ti senti meglio ? »
Elle parut légèrement surprise :
« Si… Un po’… »
« Ici, tu vas aller mieux… »
La jeune Italienne me regarda d’un air assez peu convaincu et m’adressa un sourire triste. Je doutais moi-même que la compagnie de ma sœur puisse aider qui que ce soit à se sentir bien.
« Souriant comme sourirait un enfant malade… commençai-je.
- Cosa ?
- Heu… C’est du Rimbaud… le poète…
Giulia me regardait maintenant interloquée. Elle devait commencer à penser que j’étais fou ! Je n’eus pas le temps de la détromper car Virginie revint et s’affala dans le canapé…
Je mis à profit les jours suivants pour « emprunter » à nouveau à ma sœur son manuel d’italien dès qu’elle avait le dos tourné… Malheureusement, cette assiduité ne me servait à rien car je ne parvenais jamais à me retrouver seul avec la jeune Véronaise, ma sœur ne la quittant pas d’une semelle… jusqu’à ce que le destin me donne un petit coup de pouce! Un matin, alors que je m’étais levé plus tôt que tout le monde pour prendre le petit déjeuner, je fus surpris par un « Bonnjourr ! » dont je reconnus tout de suite l’accent chantant. Giulia entra dans la pièce vêtue d’un T-shirt assez moulant, les cheveux encore mouillés par la douche. Elle semblait plus pimpante qu’à l’accoutumée.
« Allora... Tou parrlé italiann ? » débuta-t-elle.
- Oh, un peu, seulement quelques mots… Je sais dire : « Sei bellissima »… « Hai dei bellissimi occhi"... “Mi piaci molto”... »
La jeune Véronaise rougit légèrement.
« Cé qué tou dis à ta copine ?
- Non… C’est ce que je dis à toi… »
Elle soutint mon regard. Je me forçais à ne pas ciller quand le « Salut ! » de mon père entrant dans la cuisine nous fit tous les deux sursauter…
Le soir, Virginie sembla à nouveau dans l’incapacité de proposer autre chose à sa corres’ que regarder la télé. Peut-être cela lui a-t-il au moins permis de progresser en français… Je m’assis donc devant une série quelconque dans le canapé entre Giulia et ma mère qui pour une fois était restée avec nous. Virginie se débrouillait en effet habituellement pour s’intercaler entre l’Italienne et moi, mais ce jour-là, elle ne fut pas assez rapide. Elle me jeta un long regard furibard en arrivant dans le salon et se rabattit sur le fauteuil…
Le feuilleton commença. Il y était question de meurtres, du « efbihaï » et de « scènes de crimes » délimitées par des bandes jaunes intimant « do not cross » aux passants... Le visage de Giulia était inexpressif et figé comme un médaillon de la Renaissance. Ma mère, elle, semblait prête à s’endormir.
« Que stronzata, no ? »
En réponse à ma remarque, l’Italienne murmura : « Tu proposes quelque chose de mieux ? »… La caresse de son souffle et son accent outre-alpin chatouillèrent mon oreille. Je glissai mon bras derrière son dos puis, tout naturellement, posai délicatement ma main sur sa hanche. Sans un mot, elle prit celle-ci et la reposa sur le coussin… Dans l’obscurité, son visage restait impénétrable. Mon cœur battait à tout rompre. Après avoir attendu un temps suffisamment long pour ne pas paraître trop insistant, ma main vint reprendre gentiment sa place sur la hanche de Giulia. Quelques secondes interminables s’écoulèrent sans mouvement de sa part, et je crus avoir gagné la partie quand la jeune fille reposa à nouveau ma main à l’endroit d’où elle venait… Je ne me pressai pas pour partir une troisième fois à l’attaque, partant du principe que le pêcheur sait fatiguer sa prise en veillant à ne pas casser sa ligne… Mais finalement, ma main trouva à nouveau la hanche souple de Giulia, et cette fois, rien ne l’en délogea tandis que je surveillais du coin de l’œil ma mère profondément endormie et ma sœur apparemment fascinée par le serial killer à l’écran.
Mes doigts sortirent de leur immobilité pour effectuer des mouvements d’abord presque imperceptibles, puis, en l’absence de réaction de l’Italienne, vinrent caresser doucement le fin tissu de son T-shirt. Je la sentis frémir lorsque je me risquai à passer sous celui-ci à la rencontre directe de sa peau… Etrangement, la proximité de ma mère et de ma sœur rendait la situation plus troublante encore et c’est peut-être par ailleurs ce qui interdit à Giulia toute réaction. Je caressais maintenant la peau nue, débordant vers son ventre et sentant au bout des doigts la résistance de l’élastique de sa jupe. Une envie folle de passer outre déformait mon pantalon, la respiration de Giulia s’accélérant à mesure que mes caresses devenaient plus appuyées. Quand la paume de ma main monta jusqu’à rencontrer la lisière de son soutien-gorge, elle murmura dans un souffle :
« Oh, no Pascal… Tou é fou !... Il faut pas ! »
J’aurais certainement pu ignorer ses faibles protestations mais je cessai pourtant mes attouchements après avoir déposé sur sa joue un baiser silencieux. J’espérais qu’elle regretterait d’avoir été ainsi prise au mot…
Le contraste entre ces moments de fièvre et le reste du temps passé en famille était étrange… Giulia et moi faisions semblant de rien, la correspondante de ma sœur arborant sa mine inexpressive et mélancolique habituelle…
Puis arriva le vendredi, veille de son départ… Mes parents sortant ce soir-là, Virginie avait prévu le grand jeu, puisqu’elle avait décidé… de louer un DVD ! Elle brandit triomphalement devant nos yeux la jaquette d’un film d’horreur. Je me félicitais cependant de son choix : Si le film était effrayant, peut-être la jeune Italienne viendrait-elle se réfugier dans mes bras ? Mais Virginie veilla évidemment à ne pas me laisser la place de choix à côté de Giulia. Quand je m’assis dépité à côté de ma sœur, celle-ci m’adressa un petit sourire goguenard qui me fit regarder avec envie les scènes de mutilations représentées au dos du DVD… Le type qui avait imaginé ces horreurs avait certainement une sœur dans le genre de la mienne…
Le film était du reste assez effrayant mais il avait perdu tout intérêt à mes yeux maintenant que j’étais séparé de Giulia. Puis sans prévenir, ma sœur fit un arrêt sur image pour aller farfouiller dans le bar du salon… Elle revint avec plusieurs bouteilles d’alcool dans les bras.
« Mais tu fais quoi, là ?...
- Allez, on va s’en jeter un p’tit… Ca augmente les sensations quand on regarde un film d’horreur !
- T’es pas bien, toi !... Les parents vont s’en rendre compte !
- T’inquiète ! J’en ai déjà bu et ils ont rien vu ! Il suffit de taper dans les bouteilles qu’ils boivent jamais…
- Nan mais réfléchis un peu !... Celles qu’ils ne boivent jamais, faut justement pas les boire ! Sinon, ils vont s’en rendre compte !
- Si t’en veux pas, on t’oblige pas à en prendre !... En tout cas, moi, je vais pas me priver!»
Virginie remplit donc deux petits verres d’un liquide provenant d’une bouteille dont l’étiquette en lambeaux prouvait qu’elle se trouvait dans l’armoire à alcool depuis des temps antédiluviens. Giulia tenta de refuser poliment le verre que lui tendit ma sœur mais cette dernière ne voulut rien savoir. De guerre lasse, je m’emparai d’un troisième verre pour me servir. Je le portai machinalement à mon nez : ces émanations auraient suffi à dégager les voies respiratoires d’un malade atteint d’une sinusite carabinée !
« Ça a l’air drôlement fort, quand même !...
- Ce que tu peux être rabat-joie ! »
Sur ces mots, Virginie renversa la tête en arrière et s’expédia le contenu de son verre dans le gosier. Je jetai un coup d’œil à Giulia qui regardait son propre verre d’une façon peu enthousiaste, et puis, alea jacta est, je bus…
Les premières secondes me parurent plus supportables que ce que j’avais redouté et je commençais à me dire que je m’étais inquiété pour rien. Cinq secondes plus tard, une sensation insolite monta du fond de ma gorge. Encore quelques instants, et elle explosa dans mon corps tout entier, me submergeant d’une onde de chaleur. Mon cœur s’emballa, battant à tout rompre à mes oreilles comme s’il cherchait à s’échapper de ma poitrine. En face de moi, Virginie, la face presque violacée, battait silencieusement l’air des mains comme quelqu’un en train de s’asphyxier. Je voulus parler, mais aucun son autre qu’un faible gargouillis ne sortit de ma bouche. Ma sœur fut alors secouée par une monumentale quinte de toux. Enfin, je parvins péniblement à articuler d’une voix éraillée que je ne reconnaissais pas :
« MaAis c’est… quoââ…, ce tRuc ?... de l’alcool à 90 ??...
- Bah quoi ?... Kof !... C’est sûr que c’est pas une boisson... p-pour les pe-petites fiottes comme toi!... »
Je n’avais pas l’intention de rejouer l’intégralité de la scène de soûlographie des «Tontons flingueurs », aussi me contentai-je en guise de réponse de poser ma main sur l’épaule de Giulia en lui demandant : « Va tutto bene ? », mais la jeune Italienne, les joues ruisselantes de larmes, ne semblait pas en mesure de répondre.
« Tu vas nous rendre Giulia malade avec tes conneries !
- Dis plutôt que tu ne supportes pas les boissons d’homme !... Moi, j’ai trouvé ça très bon ! D’ailleurs, je vais en reprendre ! »
Et ma sœur de joindre le geste à la parole…
« Heu… Virginie, tu crois pas que… »
Trop tard ! Après tout, si elle tenait absolument à se mettre minable !... Pour être tout à fait honnête, je commençais à imaginer le parti que je pourrais tirer de la situation : Une Virginie hors-circuit me laisserait davantage le champ libre auprès de Giulia…
Rendue méfiante par l’expérience, ma sœur sirota son deuxième verre beaucoup plus lentement. Il n’y eut pas de nouvelle quinte de toux et elle ne tomba pas non plus raide morte sur le tapis du salon… Peut-être qu’une fois le « passage » fait, il était plus facile d’ingurgiter le breuvage ? Elle remit le film en marche et se resservit un ou deux verres de liqueur pendant la projection. A ma grande déception, son comportement restait normal... Au bout d’une heure cependant, elle se leva d’une démarche incertaine pour aller aux toilettes. Comme elle s’absenta longtemps, je décidai de tenter ma chance : je m’installai à côté de Giulia, bien décidé à laisser à Virginie la place que j’occupais auparavant. L’Italienne ne fit aucun commentaire.
Virginie revint enfin, l’air absent. Elle se laissa choir dans le canapé d’une façon qui montrait qu’elle n’était pas au mieux de sa forme et sans paraître se rendre compte qu’elle avait changé de place. Cela faisait à peine deux minutes qu’elle s’était rassise que je perçus un léger ronflement :
« Hé… Ginny, t’es avec nous ? »
Pour toute réponse, les ronflements redoublèrent. Je croisai le regard de Giulia et nous ne pûmes nous empêcher de pouffer silencieusement pour ne pas réveiller ma sœur. A l’écran, une blonde à forte poitrine, poursuivie par un psychopathe en costume de carnaval, se précipitait au plus profond d’une forêt en poussant des hurlements hystériques au lieu de se diriger vers les habitations les plus proches… Ma main reprit la place qu’elle avait déjà occupée sur la hanche de Giulia… Je caressai le flanc nu de la jeune fille qui tanguait légèrement sous l’effet de l’alcool, ou peut-être de mes caresses... Je me tournai vers elle, cessant ainsi de prétendre suivre le film, et elle répondit par un mouvement similaire. Je pouvais sentir son souffle tant son visage était proche du mien, et l’instant d’après, sans que je l’eusse anticipé, je goûtais à ses lèvres humides... Ce premier baiser se prolongea longuement, nos langues se nouant et se dénouant en une délicieuse sarabande. Ma main sous son T-shirt se posa sur son jeune sein, puis une deuxième main vint empaumer son jumeau. Je dégustai le soupir émis par la jeune fille tout en pressant avec une douce fermeté ces poires nouvelles, puis entrepris de la peloter franchement. Nous avions totalement oublié la présence de Virginie qui comatait à nos côtés. J’osai remonter le soutien-gorge de Giulia au-dessus de ses seins pour agacer ses tétons durcis, les faisant rouler entre mes doigts. L’Italienne se cabra sous la caresse, gémissant d’une manière de plus en plus suggestive…
Il était temps de trouver un autre lieu pour la poursuite des (d)ébats mais ni Giulia, ni moi n’avions le cœur d’interrompre ce lutinage. Nos caresses faisaient maintenant vibrer l’assise du canapé et trembler les chairs de ma sœur qui dormait la tête appuyée sur son double menton. L’une de mes mains descendit lentement le long du ventre de l'Italienne, dépassa la lisière de sa culotte et se posa sur sa toison humide. J’entamais de petits mouvements sur son intimité émue quand mon cerveau enregistra un bruit derrière moi…
Je mis quelques instants à réaliser qu’une clef était en train de jouer dans la serrure de la porte d’entrée… Mes parents, que j’avais complètement oubliés, étaient de retour!!... En un quart de seconde, Giulia expulsa ma main de sa culotte alors que le claquement des talons de ma mère se faisait déjà entendre dans le couloir. Je remarquai tout à coup la bouteille de gnôle et les verres posés devant moi, les empoignai avec vivacité et les cachai sous la table basse une seconde avant l’entrée de ma mère dans le salon.
« Ça va ? » nous demanda-t-elle.
Le film continuait heureusement à défiler sur l’écran et nous nous épargnâmes ainsi le ridicule d’être découvert observant attentivement un écran envahi de neige cathodique…
« Elle dort ? » chuchota ma mère en désignant du doigt la masse inerte du corps de Virginie.
- Heu, oui, elle était crevée je crois… » répondis-je du ton le plus neutre possible.
Après avoir jeté un dernier coup d’œil à l’écran, ma mère nous souhaita bonne nuit et sortit de la pièce. Restait un problème à résoudre : Fallait-il abandonner Virginie à son sort en la laissant là, telle une baleine échouée sur la plage ? Devions-nous la transporter jusqu’à sa chambre ? Etrangement, c’est la deuxième solution qui s’imposa à nous, enfin, j’avoue que c’est surtout Giulia qui insista en sa faveur. Nous passâmes donc ses bras autour de nos cous et conduisîmes ma sœur à demi-consciente jusqu’à sa chambre.
Une fois qu’elle fut au lit, nous nous retrouvâmes un peu gênés Giulia et moi…Notre instant semblait passé et je ne trouvai rien de mieux à dire que « Buona notte ! » avant de sortir de la chambre…
A peine couché, je commençai à regretter de ne pas lui avoir proposé de me suivre. Je sombrai dans un demi-sommeil fiévreux avant d’avoir pu décider s’il était encore temps de la rejoindre… Plus tard, une sensation étrange me réveilla soudainement. J’ouvris les yeux et manquai un battement cardiaque en constatant qu’une silhouette se tenait dans l’embrasure de la porte. L’apparition avança d’un pas léger et, comme dans un rêve, se saisit du drap qui me recouvrait. J’étais nu mais Giulia n’en sembla pas surprise. Sans un mot, elle vint s’asseoir à califourchon sur moi. Je sentis le contact à la fois souple et rêche de sa toison contre ma queue déjà dressée car elle ne portait rien sous sa courte chemise de nuit. Juliette a-t-elle jamais dit à Roméo : «Caro, voglio scopare ! » comme Giulia me l’a dit en s’empalant d’une seule poussée sur ma queue ?... Et pourquoi pas, après tout ?...
En tout cas, Romu était déjà passé par là car la jeune Italienne n’était de toute évidence pas vierge… Leur rupture était peut-être bien ce qui l'avait poussée dans mon lit et je devais donc d'une certaine façon au jeune homme des remerciements… Cambrée au-dessus de moi, la jeune fille croisa les bras pour ôter sa chemise de nuit, révélant ses jolis seins en poire. Elle coulissait sur ma queue sans aucune difficulté tant elle était humide, ses mouvements devenant de plus en plus amples et rapides. Quand je la prévins que je ne pourrais pas résister très longtemps à un tel traitement, elle accentua le rythme de sa chevauchée en m’intimant d’un ton sans appel : « Vieni ! Vieni subito !! »
Mon corps obéit sur le champ à cette injonction, et ce qui me sembla être une quantité phénoménale de semence jaillit de mon pieu tandis que Giulia jouissait en un long feulement étouffé. Elle s’effondra sur mon corps, écrasant ses seins humides de transpiration sur mon torse, mon sexe encore planté en elle et mes bras l’entourant tendrement.
Nous restâmes un long moment ainsi quand le chant d’un oiseau brisa le silence : une lumière grise et froide pénétra faiblement dans la chambre, soulignant d’une manière presque irréelle des détails encore plongés dans la pénombre quelques minutes plus tôt. L’oiseau qui chantait avec virtuosité était une alouette, la « messagère du jour », plutôt que le rossignol, « confident de l’amour», ce qui voulait dire qu’il était urgent de nous séparer. Ma compagne de la nuit releva donc la tête, me regarda pendant quelques secondes, puis murmura « grazie » et « adio ».
« Adio, mia Giulietta » répondis-je, et elle sourit à ce clin d’œil… Mais je n’étais pas son Roméo. J’espérais juste avoir contribué à lui faire oublier un peu Romu. On dit que lorsqu’on tombe de cheval, il faut remonter tout de suite…
Dans la matinée, je ne pus me trouver un instant seul à seul avec elle. Suite à ses excès de la veille, Virginie affichait une mine cadavérique qui aurait pu lui permettre de jouer sans effets spéciaux dans le film d’horreur que nous avions « vu » la veille… Ma mère s’en inquiéta, et j’eus du mal à cacher un petit sourire ironique lorsque ma sœur lui répondit qu’elle avait pris froid. Je ne me privai pas de reposer une ou deux fois la carafe d’eau sur la table un peu plus bruyamment que nécessaire pendant le repas, provoquant ses grimaces silencieuses…
Enfin, ma mère, ma sœur et Giulia se préparèrent à partir pour l’aéroport. Je me joignis à elles en prétendant que j’avais une course à faire en sur le chemin du retour. Virginie ne protesta même pas, minée qu’elle était par son mal de tête.
Parvenues à destination, ma mère et ma sœur firent la bise à Giulia. Celle-ci s’approcha de moi et m’embrassa à mon tour, murmurant un « merci » à mon oreille.
« Il piacere è tutto mia, cara… Et souviens-toi : Giulietta non esiste, sa maison à Vérone est une arnaque pour touristes, et l’amour, c’est offrir quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas… »
Ce n’était peut-être pas le genre de discours à tenir à une jeune fille en plein chagrin d’amour, mais plus que de miel, Giulia avait besoin d’être remise sur les rails…
J’avais ainsi vécu une parenthèse qui m’avait permis d’oublier temporairement Audrey, mais je sentais grandir une sorte de colère contre moi-même… J’étais très malin quand il s’agissait de jouer les french lovers citant Lacan tout en pelotant une Italienne de 16 ans, mais pour ce qui était de mon « amitié » avec ma meilleure amie… Dès que nous revînmes à la maison, je m’échappai vers ma cabine téléphonique habituelle. Je n’avais pas vraiment prévu ce que j’allais dire, aussi déclarai-je dans un souffle dès qu’Audrey décrocha : « Salut ça va… On pourrait se voir ? ». Il y eut un court silence, puis elle répondit : « OK, passe me chercher à mon boulot à 19 heures ! » et elle me donna l’adresse de la pharmacie dans laquelle elle effectuait son stage de fin d’étude…
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