Partie 2
La feuille de papier virevolta dans l’air sans même avoir le temps de toucher le sol tant le départ du jeune homme fut précipité. Il se rua dehors telle une tornade et fouilla la cour de l’immeuble sans trouver trace de celle qu’il aimait.
- Sarah ! Sarah ! Où es-tu ? Sarah ?
Quittant la cour, il fit le tour des rues alentour. S’aventurant dans les ruelles tandis que la nuit tombait. Son inquiétude redoubla à mesure que les étoiles apparaissaient dans le ciel. Où avait-elle bien pu passer ? Errer seule dans les rues à cette heure n’était pas sans danger. Les disparitions inexpliquées s'étaient multipliées depuis quelque temps.
Éclairé par la lueur des réverbères, il questionnait les rares passants osant mettre le nez dehors. Mais personne ne semblait l’avoir vue. Comme si elle s’était volatilisée.
A bout de force et ne voyant plus où chercher, il se laissa glisser le long d’un mur et se prit la tête entre les mains. Pourquoi était-elle partie comme ça ? Elle n’avait pas l’air d’aller très bien ces derniers temps, mais de là à partir ? Les semaines précédentes lui revinrent en mémoire comme un coup de poing en pleine figure.
Sarah ne quittait plus leur lit, trop amorphe pour en sortir. Son apparence négligée du début avait laissée place à un pyjama bien trop grand qu’elle portait nuit et jour. Elle flottait littéralement dedans, ces côtes commençant lentement mais sûrement à se dessiner sous sa peau. Sa maigreur, son teint pâle, ses cernes et ses yeux rouges faisaient peine à voir.
Et lui, persuadé que cela lui passerait, l’avait regardé s’enfoncer sans même essayer de lui venir en aide. Il n’avait rien fait pour la soutenir au moment où elle en avait eu le plus besoin. Il l’avait laissé se débrouiller seule avec il ne savait quoi et maintenant elle n’était plus là. C’était sa faute si elle était partie.
Mais si elle avait eu besoin de soutien… Peut-être était-elle allée chez ses parents, de l'autre côté du fleuve ? Cette pensée fit affluer l’adrénaline dans ses veines et il se releva prestement. Il avait de la route à faire. A mesure qu’il traversait la ville, les rues se vidaient de plus en plus.
Après quelques minutes de marche, il arriva en vue du pont enjambant les flots. De là où il était, il entendait déjà l’eau gronder furieusement entre les rochers en contrebas. Au-dessus de lui, les nuages se faisaient menaçants pendant que le vent se mettait à souffler. Un orage ne tarderait pas. Il ne manquait plus que ça. Il devait vite retrouver Sarah avant qu’elle ne finisse en hypothermie.
Son regard fut brusquement attiré vers la rambarde par un éclat blanc familier éclairé par l’unique lampadaire de la rue.
Une silhouette était assise, un téléphone ivoire dans la main. Semblable à celui qu’il avait acheté à Sarah quelques semaines plus tôt. La jeune femme était penchée, comme si elle pleurait.Romain se précipita vers elle en courant, fou de joie.
- Sarah, Sarah ! Merci Seigneur, je te retrouve enfin. Tu m'as fait une peur bleue, j’ai cru t’avoir perdue. Je suis tellement désolé.
Il traversa le pont à toute allure, s’agenouillant près de sa petite amie. Cette dernière ne semblait pas réagir à sa présence, mais des sanglots étouffés parvenaient aux oreilles de son copain.
- Viens ma chérie, on rentre à la maison, au chaud. Je suis tellement désolé de n’avoir pas vu que tu allais mal. J’espère que tu me pardonneras un jour.
L'éplorée ne releva pas la tête, se recroquevillant sur elle-même.
- Je sais que je t’ai ignorée, que j'ai du te blessée, tenta Romain dans l’espoir d'attirer son attention. Et j’en suis désolé. Je ne pourrais jamais assez m’excuser pour ça. Mais j’ai ouvert les yeux maintenant et je veux t’aider. Je t’en prie Sarah, parle moi !
Il crut d’abord qu’elle ne l’avait pas entendue, mais contre toute attente, elle releva la tête, les joues baignées de larmes.
- Mais que…
La jeune fille qu’il avait face à lui ne ressemblait à Sarah que de par la couleur de ses cheveux. Elle pleurait, certes, mais la beauté de ses traits n’en restait pas moins époustouflante. Une longue chevelure blonde, des traits fins et harmonieusement dessinés, des yeux de biche ajoutés à un petit air timide.
- Désolé, je me suis trompé de personne. De loin, vous ressemblez à ma petite amie.
Pour toute réponse, elle serra son téléphone dans son poing.
- Je suis à sa recherche, elle s’appelle Sarah. Elle a disparu en laissant un mot, expliqua-t-il d’une voix nerveuse. Des cheveux blonds, mince, dans des vêtements trop grands, l’air fatiguée et probablement perdue. Vous ne l’auriez pas vue ?
Encore une fois, seul le silence fit écho à ses paroles.
- Il est très tard. Qu’est-ce qu’une jeune fille comme vous fait dehors aussi tard ? Ce n’est pas prudent de rester ici à cette heure. Les rues ne sont pas sûres.
Il y eut de nouveau un temps de silence avant qu’une voix pleine de sanglots ne s’élève.
- Mon mari m’a quitté pour une pimbêche plus belle que moi, répondit-elle en croisant son reflet dans l’écran de son téléphone. Je n’étais pas assez jolie pour cet idiot.
- Cet homme devait être bien stupide alors, car vous êtes absolument magnifique. Je suis sûr qu’il le regrettera.
Elle esquissa un petit sourire et sortit une petite trousse de maquillage de sa poche.
- J’ai un peu peur de rester ici toute seule, maintenant que vous êtes là… est-ce que… vous accepteriez d’attendre que je me remaquille ? demanda-t-elle en sortant un crayon. On pourrait repartir ensemble.
- Je suis désolé, mais ça ne va pas être possible. Il faut absolument que je retrouve Sarah, elle ne va pas bien du tout. J’ai peur de ce qu’elle pourrait faire.
L’inconnue fit la moue, serrant son poing en signe de mécontentement.
- Je vais devoir vous laisser, s’excusa Romain en se dirigeant vers l’autre côté du pont. Mais soyez prudente et ne tardez pas à rentrer chez vous, un orage est sur le point d’arriver. On ne sait jamais ce qui peut errer dehors.
À peine eut-il le temps de finir sa phrase qu’un feulement de colère se fit entendre derrière lui. La jeune fille s’était levée, laissant sa trousse de maquillage tomber au sol. Dans sa main gauche, elle tenait fermement son téléphone et le serrait si fort qu’il crut qu’elle allait le casser.
- Alors toi aussi tu me laisses seule ? Je ne suis pas assez bien pour toi hein, pas assez jolie c’est ça ? Il n’y a que ça qui vous intéresse de toute façon, la beauté, l’apparence. Vous vous en moquez du reste !
Romain fronça les sourcils. Mais de quoi parlait-elle ?
- Vous êtes très jolie, n’en doutez pas. Mais je dois vraiment repartir à la recherche de Sarah, se justifia-t-il en commençant à reprendre sa route.
Un cri de rage suivit et en l’espace de quelques secondes, il se sentit retourné et agrippé par le col du t-shirt. La jeune fille se tenait maintenant juste en face de lui, son visage à quelques millimètres du sien. Ses traits étaient transformés par la fureur, faisant luire son regard.
Subitement, son apparence se mit à changer. Ses cheveux auparavant lisses et légers devinrent lourds et emmêlés. Ils ressemblaient à de la paille laissée en plein soleil durant tout un été. Sa peau sans aucun défaut arborait maintenant l'aspect d’un sol désertique. Les yeux de biche où brillait la colère avaient laissé place à des cernes remplis d’amertume et de souffrance.
Ses vêtements avaient eux aussi été transformés. À la place de la petite robe blanche moulante, un jogging dix fois trop long. Les ongles longs parfaitement manucurés étaient maintenant rongés et cassés par endroits.
Devant ce brusque changement, Romain ne put réprimer un frisson de dégoût. Elle était tout simplement terrifiante. On aurait dit une folle émergeant d’un asile. Comment l’avait-elle rattrapée aussi vite ? Et cette apparence d’abord attirante puis repoussante ?
- Alors, je te plais toujours comme ça, joli coeur ? ricana-t-elle en ouvrant une bouche aux dents jaunies. Toujours aussi belle à tes yeux ?
- Bien… bien sûr, vous êtes très jolie, je… je vous assure ! Vous n’avez rien perdu de votre heu… élégance.
- MENTEUR ! Tu mens ! Tu n'es qu’un sale menteur, comme tous les autres !
Elle resserra sa main sur la prise de son t-shirt et envoya Romain rouler au sol, jusqu’à ce qu’il se cogne la tête contre la rambarde du pont. Sonné, il ne tenta même pas de se relever, un violent mal de tête lui compressant le crâne. Clignant des yeux, il vit son agresseuse s’avancer vers lui d’un pas lent, son téléphone ivoire brandit devant elle.
- Regarde donc ce que tu as fait de moi, espèce de menteur. Un monstre, une épave, une coquille vide. Tu vas regretter amèrement de m’avoir laissée choir comme un déchet, s'exclama-t-elle en souriant de toutes ces dents.
La folie semblait l’avoir gagnée et à cet instant, elle ne semblait plus rien avoir d’humain.
- Je vais faire de toi mon nouveau mari, mon mignon. Et tu ne me quitteras jamais, oh non jamais ! On sera ensemble pour l’éternité.
Romain vit la lueur de folie se renforcer dans son regard tandis qu’elle l'observait avec un mélange de fascination et d’excitation. Un frisson glacé remonta le long de sa colonne vertébrale. S’il ne partait pas d’ici maintenant, il était fichu et Dieu seul savait ce qui pouvait lui arriver. Cette fille était étrange, flippante et surtout complètement folle. Il fallait qu’il trouve le moyen de s’enfuir dès que la douleur dans son crâne se serait quelque peu calmée.
- Mais pour que notre relation soit officielle, mon petit sucre, on doit prendre des photos. Tu vas voir, je vais en prendre plein de toi, tu seras splendide ! scanda-t-elle en agitant son téléphone face à lui.
Le flash éclaira la nuit, projetant une ombre morbide sur la jeune fille. Celle-ci ricana, dévoilant de nouveau ses dents jaunes tandis qu’un grondement annonciateur d’un orage se faisait entendre au loin. Elle fit plusieurs photos durant lesquelles le regard de Romain parcourut le pont.
Ils étaient à mi-chemin à peu près. En comptant sur sa surprise, il devrait avoir le temps de rejoindre l’autre côté avant qu’elle n’ait réalisé ce qu’il se passait. Mais il allait devoir courir.
Profitant du fait qu’elle venait de se mettre à prendre des photos en rafales et que le flash semblait l’éblouir, il prit son courage à deux mains et se releva avant de piquer le sprint de sa vie en direction des maisons bordant le pont. S’il les atteignait, il serait sauvé.
Les rambardes défilaient sur les côtés tandis qu’il gardait les yeux rivés sur les maisons. Un éclair illumina subitement le ciel, lui permettant d’apercevoir une maison à deux pas. L’ultime lueur d’espoir.
Dans son dos, la jeune fille le suivait, plus lentement que tout à l’heure. Sa démarche était malhabile, comme si elle n’avait pas couru depuis longtemps. Alors qu’il venait de franchir la limite du pont, ses jambes cédèrent et il s’effondra.
Les mains éraflées par sa chute, il se frottait les jambes pour tenter de faire partir la douleur qui lui transperçait le corps. À ses pieds, le téléphone ivoire responsable de sa chute. Ce dernier était intact, sans la moindre fêlure, contrairement à lui qui aurait sûrement un sacré bleu s’il sortait vivant de là.
Avant qu’il n'ait le temps de se relever, l’inconnue s’aggripa à ses pieds et rampa sur ses jambes, le forçant à retomber au sol. Malgré sa maigreur, elle semblait peser le poids d’un rocher. Il tenta de se redresser, se tortillant, se débattant, mais ses jambes se retrouvaient bloquées. Romain déglutit en voyant le visage macabre se rapprocher du sien. Cette fois, il était fichu.
- Ne t’en fais pas petit humain, je prendrais bien soin de toi. Tu n'as pas à avoir peur, minauda-t-elle d’une voix mielleuse. On sera heureux ensemble. Quelle chance tu as de m’avoir à toi pour toujours !
- Je ne suis pas à toi, je ne t’appartiens pas ! Laisse moi partir, je dois retrouver Sarah.
- Tu n'as pas encore compris que tu ne reverras jamais ta chère petite Sarah ? Il est trop tard pour elle, elle est déjà l’une des nôtres.
- Je refuse de te croire. Ma Sarah n’est pas une chose hideuse et sale comme toi.
Un rire éraillé qui se transforma bientôt en fou rire lui répondit et un nouvel éclair illumina le visage de la jeune fille.
- Pauvre petit incapable de voir la vérité alors qu’elle lui crève les yeux. Te cacher à toi-même la véritable nature de ta Sarah ne te servira à rien. Il est déjà trop tard.
- Que lui as tu fait, sale monstre ? lança Romain en agrippant les poignets glacés de son agresseuse.
- Tout doux, je n’y suis pour rien. Tu es le seul à blâmer dans cette histoire, susurra-t-elle en se léchant les lèvres. C’est entièrement de ta faute si elle en est arrivée là. Même en me voyant, tu ne comprends toujours pas.
- Quoi ? Qu’est ce que je ne comprend pas ? Parle espèce de folle !
- Chuuuuut, tu vas gâcher notre moment tous les deux, dit-elle en récupérant son téléphone. Mais ne t’en fais pas, nous serons ensemble pour toujours, personne ne te prendra à moi.
Le poids du rocher disparut de son corps et il fut entraîné, traîné plutôt, vers l’une des rambardes du pont. La poigne qui le tenait était de fer et un bleu se formait déjà sur sa peau.
- Lâche moi ! Laisse moi partir !
Annotations