ESQUIVE
La passagère ne parlait pas beaucoup. Elle avait une beauté ordinaire et le sourire facile. Forte d’un rôle devenu trop naturel, Flo bassinait l’inconnue des récits insolites d’une vie New-Yorkaise qu’elle inventait, sur le tas, à mesure qu’elle débitait. Cette dernière hochait la tête obligeamment et, dès que ses mythos s’essoufflaient, l’enjoignait, l’air poli, de poursuivre ses aventures.
Flo jubilait sans frein de ses talents d’actrice.
Ses fabulations allaient bon train quand, soudain, un craquement glaçant lui coupa la chique. Flo pila, la semelle bientôt fusionnée à l’antidérapant. Son cœur hoqueta, à l’instant où le rocher s’écrasa sur le nez de la bagnole.
Les jambes toujours croisées et les épaules lâches, l’autostoppeuse fixait la conductrice d’un air interdit. Pas franchement choquée.
Flo se surprit à haleter.
— C’est pas passé loin…
L’inconnue se pencha en avant et, les yeux jaugés sur le pare-brise, jauga l’effrayante altitude de la montagne. Son œil, pourtant, était distrait.
La paume de Flo pressa le coin du siège.
— On y va ? la pressa la passagère.
— Je ne sais pas… Ça fait beaucoup de gravats…
— Tu décroches et ça passe.
— Ça peut encore tomber, non ?
— Il ne faut pas avoir peur.
— Je n’ai pas peur.
— Ah bon ? On aurait dit…
— Ça m’a juste surprise. Tu sais pas depuis combien de temps je trompe la mort !
— Ah oui ? Vraiment ? Et avec qui ?
Un rire franc balaya l’angoisse qui rongeait les sangs de Flo. Ses faux ongles ripèrent sur le frein à main, puis le moteur gronda.
— C’est reparti mon kiki !
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