À LA SURFACE
Il était une fois un vieux marin, qui s’appelait Olaf. Il était veuf et vivait seul depuis que son fils unique s’était perdu en mer. Sa petite maison au toit d’herbe, construite en haut d’une falaise, au bord de l’océan, était entourée d’un jardin qui courrait jusqu’à la mer par un petit escalier et d’une unique route isolée qui conduisait à la ville.
Un beau jour d’été, alors qu’il se reposait assit sur un banc de bois, Olaf vit sortir de l’eau un génie de la mer. Il ne prit pas peur en voyant la créature, car il avait grandi avec les légendes de la mer et du peuple qui y vivait. Il savait que sur terre, il ne risquait rien. La créature, vue de près, était tout de même impressionnante, elle avait la peau bleue comme l’océan et des cheveux d’algues vertes. Sur son cou, palpitaient des ouïes qui bougeaient au rythme de sa respiration. Ses membres étaient agrémentés de nageoires, qui lui permettaient de se déplacer sous l’eau, mais plus difficilement sur la terre ferme.
Arrivant devant l’homme sage, elle posa un genou à terre et lui confia le couffin de coquillage qu’elle portait. Ils se regardèrent dans les yeux un instant, puis la créature ferma ses doubles paupières et Olaf se vit, jeune marin, l’apercevant dans l’eau.
— Je te connais. Je t’ai déjà rencontré, il y a bien longtemps.
Quand il parvint enfin à détacher son regard de l’étrange créature agenouillée devant lui, Olaf observa le berceau. À l’intérieur reposait le plus adorable bébé qu’on eut pu voir. L’enfant avait la peau fine et nacrée qui irradiait de l’intérieur. D’une couleur bleutée à son arrivée, elle se mua en rose pâle sous les yeux ébahis de l’humain. Sa frimousse adorable était ronde, encadrée de cheveux blonds. Ses pommettes dodues et rougies, s’illuminèrent lorsqu’il leur adressa son plus beau sourire, éclatant d’un rire cristallin.
Voyant l’homme âgé déjà sous le charme de l’enfant, l’homme de la mer prit la parole.
— Oui, nous nous sommes déjà rencontrés, mais aujourd’hui ce n’est plus la curiosité qui m’amène. Je suis venu te raconter l’histoire de cet enfant, car il est spécial.
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— Il y a bien longtemps, lorsque le monde était encore jeune, la reine des sirènes et la lune se jurèrent amour et fidélité. Tous les soirs, la lune attirait à elle sa promise et l’océan sans lequel elle ne pourrait survivre. La terre, abandonnée de son eau, se trouvait alors asséchée et stérile. Elle se résolut à s’en plaindre au ciel et il fut décidé que cette union ne pouvait plus durer.
Olaf écoutait les paroles de l’émissaire de la mer. Des images apparaissaient nettement dans sa tête, tandis que l’enfant s’emparait de l’un de ses doigts en gazouillant. La créature poursuivit son récit de sa voix rauque.
— Lorsqu’on les sépara, la lune pleura et de ses innombrables larmes fertiles, naquit le règne animal. Toutes ces créatures se multiplièrent sur la surface de la terre, mais aussi dans les océans et dans les cieux, profitant de ce cadeau inestimable qui leur était offert. Le soleil, fils du ciel, fut alors uni à la lune pour permettre de rééquilibrer l’ordre des choses. Aujourd’hui, il règne sur le jour et veille à la croissance de toute vie, alors que la lune, fille de l’océan, illumine la nuit et les mystères cachés de sa lumière lointaine et froide. Ainsi débuta la danse de l’aube et du crépuscule.
L’humain, bien que désorienté par l’afflux de toutes ses informations, restait imperturbable. Il agita légèrement le devant du couffin pour bercer le nourrisson.
— Mais cette situation n’était pas du goût de tout le monde. La reine des Sirènes continuait à pleurer son amour perdu. Elle l’appelait toutes les nuits, quand sa lumière pâle et froide venait illuminer son palais au fond de l’océan. La lune, regardait alors tristement son aimé et essayait de l’attirer de nouveau à elle, mais elle n’en avait plus la force. Pour apaiser sa peine, elle lui donna alors une créature nouvellement créée par le soleil, l’homme, qui lui ressemblait un peu.
L’image d’un marin, fier et agile, s’agrippant aux cordages de son navire lors d’une tempête, s’imposa alors dans l’esprit du vieil homme.
— Mais c’est mon fils, mon Tobias ! Je le croyais mort, où est-il ?
L’homme posa l’enfant à terre et se prit la tête à deux mains, le regard exorbité.
— Malheureusement, ton fils n’est plus, vieil homme. Lui dit la créature, en ramassant l’enfant pour le calmer. Laisse-moi te conter la suite de l’histoire.
Des larmes s’écoulèrent le long des joues ridées du vieillard, qui venait de renoncer une seconde fois à son fils. Le regard perdu, les bras ballants, il laissa la créature reprendre son récit en sanglotant doucement.
— La lune transforma ce premier humain afin qu’il puisse survivre sous l’eau et lui enseigna comment parler avec elle. Cet homme devint notre contact avec notre mère la lune et sa présence nous est encore indispensable aujourd’hui. Mais, malheureusement, devant son espérance de vie limitée, l’astre de la nuit dut fréquemment le remplacer, afin de pouvoir préserver un lien avec son amante. Ma reine choisissait donc son émissaire parmi les hommes perdus en mer, qui de toute façon n’auraient pas survécu à la nuit et les faibles mouvements d’eau que leur célébration occasionnait ne perturbait pas l’ordre des choses. Ainsi s’installa la danse du cycle des marées.
— Son caprice m’aura coûté mon fils, ta reine est une sorcière ! Dit sombrement Olaf, redressant son visage baigné de larmes, le regard dur et froid.
— Ton fils était condamné par la tempête qui faisait rage, il venait de passer par-dessus bord quand ma reine le choisit pour amant. Auprès d’elle, il devint un prince. Sa vie fut certes brève, mais ton fils fut heureux. Leur amour était sincère, pour lui, ma reine transgressa même la règle qui voulait qu’elle ne donnât le jour qu’à des femelles. Elle lui offrit deux enfants, une femelle et un mâle. Dit la créature, en tendant alors l’enfant au vieil homme abasourdit, maintenant grand-père.
L’humain sortit alors délicatement le petit de son couffin et le leva au niveau de son visage, l’examinant attentivement. Dans un grand éclat de rire, il déclara.
— C’est exact, il a de mon Tobias ce petit ! On dirait son nez et ses yeux. Comment se nomme ce moussaillon ?
— Eldrik.
Le vieillard décida de consigner par écrit l’histoire de son petit-fils afin de la lui raconter plus tard sans rien oublier. Le génie retourna à la mer, laissant derrière lui, l’enfant à la garde de son grand-père. Il lui rappela cependant de l’élever pour en faire, plus tard, l’émissaire des humains auprès du peuple de la mer.
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