SOUS LA SURFACE

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L’enfant grandit et devint un beau jeune homme de seize ans, grand et fort. Il avait la peau pâle et les yeux clairs des gens de son pays. Ses cheveux blonds et longs, étaient attachés en une natte basse. Le vieil homme avait tenu sa promesse et avait pris grand soin de l’éduquer. Il lui avait appris tous les mythes et les légendes de la mer qu’il connaissait, ainsi que l’écriture et les calculs. La navigation, le commerce et les lois des hommes n’avaient plus de secrets pour lui.

Un jour où l’automne commençait à se faire sentir, une créature sortit de l’eau devant la plage du vieil homme. De couleur bleue, elle avait les traits fins et la taille svelte. Ses cheveux de varechs verts ornaient les côtés de son visage harmonieux et cascadaient sur ses épaules menues. Elle s’inclina respectueusement devant Eldrik, qui était en train de couper du bois. Il s’était arrêté la hache à la main, tétanisé par cette vision enchanteresse.

— Votre Altesse, j’ai le regret de vous annoncer la mort de votre mère, la reine des océans et des mers. Vous devez venir avec moi au palais pour assumer votre rôle princier.

Surpris par une telle apparition, il agrippa plus fermement sa hache.

— Mais voyons, ce n’est pas possible, je ne peux pas respirer sous l’eau… Et pourquoi m’appelez-vous, Altesse ?

Il se dirigea vers la maison à reculons, sans quitter la créature des yeux, lorsque son père arriva avec peine.

— Fils, il faut que je te raconte d’où tu viens. Le vieil homme avançait doucement, appuyé sur sa canne. Tout en s’asseyant sur son banc de bois, il commanda : va dans mon bureau, et rapporte-moi le grand grimoire. Celui que tu rêvais de lire, il y a peu.

— Mais, je… Oui, père…

Détachant enfin les yeux de l’apparition qui lui souriait, Eldrik tendit sa hache à son père. Rougissant jusqu’aux oreilles, il se dirigea vers la maison d’un pas rapide, non sans continuer à jeter des coups d’œil curieux à l’étrangère par-dessus son épaule. Il revint quelques instants après les bras chargés d’un gros livre relié de cuire qu’il déposa doucement dans les bras de son père.

— Tu es, un jour, sorti de la mer, dans les bras d’une créature semblable à celle-ci. Elle t’a confié à moi après m’avoir raconté ton histoire, et depuis ce jour, tu es mon fils et tu le resteras à jamais. Tiens, prends ce recueil, il contient tout ce qu’elle m’a raconté ce soir-là.

Eldrik soulagea le vieil homme du poids du livre et s’assit pour le feuilleter.

— Aujourd’hui, nous allons nous séparer, mais saches que je suis fier de toi, et le serai à jamais. Ma porte te sera toujours ouverte, ainsi qu’à ton peuple.

Se levant difficilement, il retourna alors vers sa maison, laissant derrière lui le jeune homme, qui lisait, avec fascination, l’histoire de sa naissance sous le regard perçant de la créature marine.

Eldrik n’en revenait pas, Fidga n’avait pas menti, il pouvait respirer sous l’eau. La créature, bien plus forte que lui, l’y avait maintenue de force, alors qu’il se débattait durant plusieurs secondes. Quand ses poumons cédèrent, il prit une grande goulée d’eau salée et étrangement, il ne se noya pas. Grâce à cette mort symbolique, il s’était même transformé. Son cou s’était fendu de deux ouïes, tandis que ses mains et ses pieds s’étaient palmés. Sa vision était devenue plus sensible à la lumière et sa peau avait pris la même teinte bleutée que la messagère.

Il suivit alors son guide vers les grands fonds, admirant au passage des myriades de poisson multicolore vivant près des récifs de coraux, qui s’éloignaient sur son passage. Plusieurs épaves de navire de diverses origines, reposaient sur les fonds sableux. Ils étaient à présent le lieu de vie d’une faune et d’une flore riches et généreuses. Tandis qu’ils s’éloignaient davantage vers le large, ils croisèrent des tortues de mer en migration.

— Regarde et fais comme moi !

Fidga s’approcha d’une tortue et l’agrippa, se laissant transporter nonchalamment sur son dos. Quand le jeune prince s’approcha à son tour, il remarqua que les tortues avaient de larges écailles bleues, parfaites pour s’accrocher, et qu’elles ne semblaient nullement gênées par leur présence. Elles continuaient à nager calmement, se laissant glisser dans les courants.

#

Le palais royal était construit au pied d’une falaise, au plus profond de l’océan. Ses murs, percés de vastes arches ouvragées, étaient sculptés à même la pierre. Des coraux et des éponges aux couleurs vives poussaient çà et là, entre des grappes d’algues aux dégradées de vert.

La lumière pâle des grands fonds ne pénétrant pas jusqu’à la salle du trône, les architectes royaux avait installés, à des endroits stratégiques, des globes contenant des bactéries bioluminescentes. Leur lumière, qui devait normalement se refléter sur les murs de la salle, recouverts de nacre irisée, était aujourd’hui à l’agonie.

Le palais était en deuil. Des poisson-lanternes erraient çà et là, éclairant les pièces de leur lueur blafarde. Ils projetaient des ombres inquiétantes sur les murs, tels des cinéastes sans convictions. C’étaient des poissons des profondeurs après tout, les affaires royales ne les intéressaient guère. Là, au centre de la salle, une jeune fille pleurait, lovée sur le fauteuil royal.

Fidga se racla la gorge.

— Votre Majesté, voici votre frère, Eldrik. Votre Altesse, voici votre sœur, Sybille, notre reine.

L’adolescente se redressa abruptement. Le dos droit sur ce siège bien trop grand pour elle, elle avait l’air d’une enfant en plein caprice. Elle éloigna ses cheveux rouges de devant son visage d’un geste brusque, ajusta ses nageoires et posa son regard noir sur les intrus.

— Alors voilà la cause de la mort de ma mère ?

— Votre majesté, nous en avons déjà discuté. Vous n’êtes pas responsable du déclin de votre mère, et votre frère non plus.

— Ma mère ne donnait naissance qu’à des futures princesses, avec l’aide de son humain, émissaire de la lune. Mais cette fois-ci, elle a conçu deux enfants. Moi-même et… toi ! Puis elle est tombée malade, s’est affaiblie et a fini par en mourir ! Alors si, tu es la cause de sa mort !

— Je suis désolé, je ne connaissais rien de ton peuple jusqu’à aujourd’hui, si ce n’est des mythes et des légendes et je ne savais même pas que j’avais une sœur.

Sybille toisa son frère d’un regard assassin, les bras croisés, elle bouillonnait intérieurement de ne pouvoir crier son injustice. Elle ne comprenait pas ce que cet avorton pourrait lui apporter, il n’était décidément pas fait pour vivre au fond de l’eau. Les excroissances sur sa tête étaient grotesques, ses nageoires étaient atrophiées et visiblement, il n’y voyait rien du tout.

— Votre majesté, votre mère a demandé que votre frère joue un rôle dans la gestion du royaume.

— Non ! Seules les princesses, ses filles, sont censées gouverner les autres mers et océans de la planète en son nom.

— Mais je ne peux pas gouverner, dit Eldrik d’une voix blanche, je ne connais rien à ce monde. Et puis je ne veux pas rester vivre sous l’eau, ma vie est aussi là-haut…

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