AU FOND DE L’EAU

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C’était le bon moment, la reine était jeune, inexpérimentée et surtout encore touchée par le deuil de sa mère. Il fallait profiter de sa souffrance pour combler le vide laissé dans son cœur. Dragus s’était fait beau pour l’occasion, ses bijoux les plus prestigieux étaient mis en avant. Il s’était lustré les cheveux et ses écailles n’avaient aucun défaut. On ne pouvait que lui reprocher leur grande différence d’âge. Mais qu’importe ! Dans quelques années, elle ne se verrait plus.

Le personnel du palais, c’était facilement laissé corrompre, la reine avait un caractère plutôt difficile. Une seule personne était encore un obstacle à son plan, la gouvernante. Elle avait élevé la petite princesse et semblait n’avoir aucune faille dans son dévouement pour elle.

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Sybille se promenait dans les champs de coraux près du palais. Son garde laissa passer Dragus après un échange discret de coquillage.

— Majesté ! Quel plaisir de vous voir ici, vous êtes resplendissante parmi ces coraux.

— Dragus, que me voulez-vous ?

— Moi ? Mais rien, votre majesté. Je passais au palais pour prévenir de mon absence prochaine. Je vous ai alors vu ici, toute triste, et j’ai pensé pouvoir vous divertir un peu.

— Vous partez ? Pour aller où ? Sybille se dirigea vers une éponge moelleuse et l’invita à se joindre à elle.

— Je vais me rapprocher des côtes plus chaudes, là où l’eau est transparente. J’ai comme on dit : une envie de soleil en journée et de lune la nuit. Ici, nous sommes bien trop profonds.

— Mais c’est normal, c’est pour ne pas être vu de la surface…

— Oh, vous savez, les humains, je les connais bien avec tous les voyages que j’ai fait. Ils ne s’occupent plus de la mer, il ne s’intéresse qu’à leur “terre”. De vous à moi, cette règle ancestrale, de fuir le contact avec la surface est un peu dépassée maintenant.

Dragus prit un air désolé et commença à jouer avec une petite anémone comme si de rien était.

— Vous savez, ma reine, votre peuple espère beaucoup de vous…

— C’est-à-dire ? Il espère quoi ?

— Que vous rajeunissiez toutes ces traditions justement… Bon, j’ai assez abusé de votre temps, votre majesté, permettez-moi de me retirer.

— Attendez, restez encore un peu et décrivez-moi où vous allez séjourner, s’il vous plaît.

— Et bien, je vais dans la mer Méditerranée, c’est une petite mer fermée. Il y a peu de courant d’eau, la marée est très faible là-bas.

— Comment pouvez-vous entrer si elle est fermée ? S’étonna Sybille qui buvait chacune de ses paroles.

— Votre majesté est perspicace, on peut rentrer dans cette mer par le détroit de Gibraltar ou le canal de Suez. Et ses côtes possèdent encore beaucoup de petites criques sauvages, non-accessible aux humains. Je possède une petite maison pas très loin du pays qu’ils appellent la Grèce. L’eau y est verte et transparente, nous donnons sur une plage enclavée, couverte de sable blanc. Des falaises abruptes nous protègent des regards indiscrets. Je vous ramènerai bien des fleurs de là-bas, mais elles ne survivraient pas l’immersion dans la mer et le voyage.

— Oh ! Quelle chance vous avez là, Dragus, comme j’aimerais voir ces merveilles !

— Mais majesté, vous le pouvez, vous êtes la reine des mers et des océans. Qu’est-ce qui vous en empêche ?

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Sybille n’en pouvait plus de vivre dans ce palais. Depuis la mort de sa mère, et surtout depuis son intronisation, elle avait envie de secouer toutes ces traditions archaïques, histoire d’en décoller la vase qui s’y était agglutinée depuis des millénaires. Dragus avait raison, elle n’était encore qu’une jeune sirène, à peine seize ans, mais elle savait que son espèce pouvait vivre de nombreuses années. Sa mère aurait été là à la création du monde ! Non, vraiment, il fallait du sang neuf dans ce royaume. Mais de là, à se montrer en surface, il y allait un peu fort tout de même. La mine boudeuse, elle se résolut à appeler son intendante pour réfléchir à une solution.

— Fidga, toi ma nourrice, tu es au service de ma reine depuis de nombreuses années, quel conseil pourrais-tu me donner pour nous sortir de cet ennui ?

— Eh bien, peut-être pourriez-vous aller voir l’une de vos sœurs pour vous changer les idées dans leur palais ?

— Oh non, elles penseraient que je ne suis pas capable d’assumer mon rôle et essayeraient de prendre ma place.

— Alors pourquoi ne vous occuperiez-vous pas d’aller chercher votre frère à la surface ?

Sybille lâcha le coquillage qu’elle essayait d’ouvrir sans trop y croire.

— Un frère ? À la surface ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Votre majesté, bien sûr, vous ne pouvez pas vous en souvenir, mais vous avez un frère jumeau. La reine vous a séparé, à la mort de votre père, pour le protéger. Il est à la surface chez votre grand père.

— Comment cela est-il possible ? Pour le protéger, mais de quoi ? Pourtant, Mère ne devait engendrer que des filles…

— Votre père, le dernier prince n’avait pas que des amis au palais. Certains n’aimaient pas son caractère, d’autre simplement qu’il soit humain. Beaucoup ont pensé que la maladie de votre mère était due au fait qu’elle est transgressée la loi pour lui. À sa mort, cette haine s’est déplacée sur votre frère, son fils.

— Est-ce vrai ? Ma mère serait morte à cause de lui ? Fulmina, la nouvelle reine.

— Bien sûr que non, Sybille, voyons. Gronda, doucement Fidga. Votre mère était très âgée, et la fatigue s’était installée depuis déjà bien longtemps. Seule la lune pouvait la maintenir en vie, et à la mort de votre père, elle a refusé de prendre un nouvel émissaire. C’était son choix.

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