Chapitre 25 : Valentine
C’est un agent de sécurité qui me trouva baigné de sang, dans la chambre, et l’esprit vagabondant dans pièce, tournant en rond comme un poisson dans son bocal, abandonnant mon corps à ses malheurs. On me raconta ensuite que je ne fis pas le moindre mouvement pendant plusieurs jours et que mes yeux sont restés vides et rougis par les larmes pendant autant de temps. Les autorités de l’établissement me gardèrent à l’écart, drogué à différentes substances médicamenteuses pendant plus d’un mois. Je ne me souviens de rien de cette période. J’étais désormais à mon tour dans l’œuf, en direction du bloc d’exécution. Je vivais mieux la situation que je ne l’aurais cru. Quelque part c’était une justice que de m’envoyer à la mort après ce que j’avais fait subir à Valentine. Son image me hantait et j’enrageais de colère qu’elle ne put pas entendre mes excuses, qu’elle ne puisse pas constater mon insuffisante souffrance. Je lui dédiais mes futures douleurs comme si elles allaient permettre d’effacer mes actes. Je ne pouvais plus attendre qu’on me tue enfin et me griffait la peau pour apaiser Valentine. Il fallait éviter de penser, absolument ! Ne pas penser. J’allumais mon récepteur pour m’abrutir devant n’importe quel message.
« Ce soir, ne ratez pas le nouvel épisode de « A Life for A Life, A Clone for A Clone » ! March va devoir prendre la vie d’une clone prostituée elle qui a été élevée pour intervenir sur des canalisations entartées. Elle ne sait pas du tout y faire ! Lors du dernier épisode, un client a refusé de payer sa prestation. « Je vais pas payer ça, c’était complètement bidon, des clones comme toi on peut en baiser dans les gouttières n’importe quand... » Des propos qui ont hautement choqué la jeune fille. Ce soir sera l’occasion pour elle de faire la rencontre de … »
Je m’effondrai au sol, contre la paroi de l’œuf, les poignées en sang, et hurlant à la mort pour couvrir cette voix dans ma tête. Je criais pour qu’elle ne puisse plus se faire entendre, je pleurais pour la noyer, je m’allongeais pour qu’elle puisse m’achever. Les médecins m’ont laissé quelques médicaments en cas de crise. Je décidai d’en avaler un ou deux, ou trois. Je tentai de saliver pour les faire passer et finalement décidai de les croquer et de goûter à cette douce amertume bien méritée.
« Ecoutez, ce type d’émission est un scandale, on paye très cher pour produire et former des clones, ce n’est pas pour les mettre là où ils ne sont pas à leur place. Cela n’a aucun sens de vérifier ce qu’on sait déjà.
— Enfin SBAn141-Benton, c’est du divertissement. Qui ne s’est jamais demandé ce que cela donnerait de ne placer un clone hors de son périmètre ?
— C’est justement ce que je critique, Il dort ?
— Bien sûr c’est toujours la même chose, Smith debout.
— Smith ? Transportez-le. »
Les médicaments avaient agi rapidement. Je m’étais endormi durant le transport. J’avais été conduit dans une pièce sans lumière, attaché sur un lit grinçant, au sein d’un bâtiment qui semblait vieux. Les quelques rayons qui passaient sous la porte métallique me laissaient entrevoir des murs en briques légèrement délabrés et porteur d’une odeur que je qualifierais de « fétide ». Je ne captai plus de diffusions cérébrales extérieures. Pas de chance, je n’allais pas pouvoir voir la jeune March échouer lamentablement dans son nouveau rôle de pute.
« Ça parle mal Adi ! Surveille ton langage !
— Ça alors Anabella ! La télépathie fonctionne à nouveau ! »
Je fus très heureux, au-delà de ce que j’espérais encore possible de l’être, d’entendre sa voix. Puis je me demandai si j’avais le droit de ressentir un sentiment de bonheur, aussi fugace fût-il.
« Pourquoi t’aurais pas le droit d’être heureux, qu’est-ce que t’as encore fait ?
— Ameer ! Vous êtes vivants tous les deux ?
— Ah mon pauvre, t’aurais dû rester là ou t’étais. Je t’assure, c’était mieux répondit-il d’une voix faiblarde.
— Tais-toi Ameer ! repris Anabella, elle aussi d’une petite voix. Je ressens beaucoup de détresse chez toi Adi, j’espère que ça va. »
Il était difficile pour moi de contrôler mes pensées, je n’aurais de toute façon pas pu garder le secret plus longtemps. Et si ce n’était pas moi qui leur racontais les derniers événements, je craignais que Valentine ne le fasse. J’entrepris alors de tout leur dire. Dans un exercice d’ouverture d’esprit, ou plutôt d’ouverture de pensées, je les laissais chercher ce que bon leur semblaient à l’intérieur de ma psyché pour qu’ils reconstituent les morceaux de mon passé proche. Je demandai à Valentine si ça ne la dérangeait pas. Elle me dit que non.
« Adi tu crois en Dieu ?
— En qui ?
— Okay… se désillusionna Ameer.
— Enfin, je sais qui c’est. C’est un être supérieur créateur de l’univers et des Hommes en qui les Hommes d’avant croyaient.
— C’est à peu près ça. Mais tu sais c’est une manière bien réductrice de voir les choses. Je ne cherche pas à te convaincre de quoi que ce soit, mais qu’est-ce que tu ressens aujourd’hui, à propos de … enfin tu sais, de Valentine.
— Je me sens, je ne sais pas, monstrueux peut-être. J’ai détruit une vie pour rien, la vie de quelqu’un qui m’aidait, la vie de quelqu’un de bien…
— Tu trouves ça injuste ? C’est bien la justice que tu cherches en te griffant les avant-bras non ?
— Sans doute oui.
— Tu penses qu’il existe une justice divine Adi ?
— Je ne sais pas, non probablement. Il n’existe rien.
— S’il n’existe rien, ce que tu as fait à Valentine n’était pas si terrible. Elle a dû être surprise quelques instants, avoir mal une minute et c’est tout. Tu te fais beaucoup de mal pour pas grand …
— Arrête tais-toi ! Ne dis pas ça !
— Donc tu admets qu’il y a plus que « rien ». Tu ne comprends pas parce que tu n’es pas comme les autres clones, tu es plus proche de nous que tu ne le penses. Et les humains, c’est comme ça, ont besoin de croire en quelque chose pour ne pas perdre espoir. La vérité vraie, personne ne la connait, choisis celle qui t’arrange. Ce qui est sûr c’est que quelle que soit ta croyance, ce n’est jamais une mauvaise chose d’avoir un sens moral. Si Valentine n’existe plus, tu peux passer à autre chose. Si Valentine existe encore elle lit tes sentiments, elle sait que tu t’en veux, que tu te torture pour elle, c’est une forme d’amour quelque part non ?
— Non, elle me hait pour ce que je lui ai fait.
— Si elle te haïssait vraiment, tu serais toi aussi en colère contre elle, tu serais en colère contre l’établissement qui n’a pas su voir ta folie monter et prendre les mesures nécessaires, tu serais en colère contre la terre entière. Tout ce que je vois chez toi, c’est de l’amour, ça veut dire que tu es quelqu’un de bien, et ça veut dire que si Valentine te voit, c’est ce qu’elle ressent. Interroge là tu verras. »
J’interrogeai Valentine.
« Valentine, tu me hais ?
— Mais non !
— Si ! Tu dois me haïr pour ce que j’ai fait.
— … »
Alors que je discutais avec Valentine, Ameer et Anabella pensaient entre eux sans que je fisse réellement attention à leurs propos, absorbé par mon dialogue avec la défunte.
« Ameer, tu l’entends ?
— Oui, ça va pas bien.
— Dieu ? C’est tout ce que t’as trouvé ?
— Je ne sais pas, j’ai commencé là où je pouvais. Il a besoin d’une spiritualité quelle qu’elle soit à ce stade-là.
— Il a besoin de médocs !
— Ce que je dis ne peut pas lui faire de mal. Il n’a plus de raisonnement logique. Commençons par le réconcilier avec sa Valentine, on lui fera comprendre plus tard qu’en fait il était en train de se pardonner.
— Oui, pour ce qu’il lui reste, ce qu’il nous reste de temps ici, de toute façon…
— Ouais, de toute façon…
— Je t’aime
— Je t’aime aussi Bella. »
« Tu as raison Ameer, repris-je. Elle ne m’en veut pas c’est dingue.
— Tu vois ? C’est parce qu’elle t’aime. Maintenant, montre-lui que tu es quelqu’un de bien, continue d’avoir de belles pensées et elle sera heureuse avec toi.
— Merci Ameer. Je pleure de joie ! Ameer, Anabella, je dois vous dire…
— On sait, répondit Anabella. Ce n’est pas grave ne t’inquiète pas ! »
J’avais désavoué mes amis quand ils étaient loin de moi. Mais je vis ensuite à quel point ils m’apportaient beaucoup, à quel point les choses semblaient claires avec eux, à quel point ils étaient une lumière pour moi ! Je ne savais ce qu’ils avaient vécu tout ce temps, mais ils trouvaient encore la force de s’occuper de moi ! Jamais plus je ne les abandonnerais !
« Oh non !
— Qu’y a-t-il Anabella ? demandai-je.
— Ils reviennent ! »
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