CHAPITRE 30 : La face cachée d’Egality City

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Miroslav me fit découvrir un monde différent, dont je soupçonnais à peine l’existence et qui était pourtant si proche de là ou j’avais toujours vécu. Nous marchâmes dans le quartier des égarés au rythme du vieillard, ce qui me convenait parfaitement. Tous m’observaient de loin, comme un ennemi de jadis désormais de la famille et sous la protection de Hicks et Miroslav. L’endroit où Miroslav m’avait soigné était définitivement luxueux en comparaison de la moyenne des taudis qui croisaient ma route, flottants dans la boue, rouillés par les ans, souillés par les rats. Miroslav m’avait, disait-il, nourri au bec et m’avait enfourné régulièrement de l’eau dans le gosier, du sucre et quelques aliments broyés à l’aide d’un tube. Il avait désinfecté ma plaie et pansé mes blessures.

« Tout ça n’est pas le fruit du hasard, disait Miroslav. Le fait que vous soyez venu à moi, le fait que je sois médecin parmi les Egarés, le fait que moi je sois là et que vous, vous ayez survécu dans des conditions difficiles ! Vous auriez simplement dû mourir, ou rester à l’Asile, mais vous êtes là et vous parlez avec moi… Et avec Hicks, ajouta-t-il, qui ne rate pas souvent sa cible.

— Je crois qu’on peut dire qu’il ne m’a pas raté. D’ailleurs, pour qui m’avais tu pris Hicks ?

— Oh tu te décides à me parler, ça me fait plaisir gringalet ! C’est bon signe. Je t’ai pris pour un de ces tatoués d’Human Lab, le genre qui fait le sale boulot. Le genre qui relâche les mioches quand ils ne savent pas encore parler, et qui a fait de nous ce que nous sommes. »

Hicks avait un franc-parler assez hors du commun, du moins comparé aux clones de la ville, et semblait finalement plus éduqué que ce que la première image que j’avais eu de lui ne laissait paraître. Miroslav compléta :

« J’ai beaucoup observé la ville. Pour eux, les égarés sont un problème, un problème honteux qu’ils n’assument pas d’avoir créé. Human Lab est pointé du doigt alors pour nous rendre dociles, et pour nous tuer subtilement à petit feu, ils nous mettent des déchets industriels à disposition qui nous servent de drogue. Ils en donnent naturellement à tous ceux qu’ils balancent dehors, ça les aide à supporter la faim, parfois le froid, la maladie, n’importe quoi en fait.

— J’ai vu un homme dans un état proche du coma quand je suis arrivé dans le quartier, j’avais entendu dire que c’était répandu mais je n’aurais jamais cru que tout était organisé par Human Lab. C’est affreux. Comment survivez-vous ?

— On fait comme on peut, répondit Hicks. On file dans les champs à l’extérieur et on vole un peu de la production. En très petite quantité c’est plutôt toléré mais on a rapidement la sécurité au cul. Parfois on file discrètement dans les quartiers habités et on fait les poubelles. On a les rats aussi qui nous sortent parfois d’un hiver difficile… Et puis… quand on n’a pas le choix… on considère que les plus faibles nous offrent leur cadavre. C’est pour ça que quand un salaud de la ville s’approche trop d’ici, il arrive qu’on lui fasse la peau. Non pas que ça m’amuse tant que ça de le faire, mais il faut comprendre qu’ici il y a des gens qui ne savent même pas parler et qui ont faim. Je suis désolé pour ce que je t’ai fait Adi, si tu permets que je t’appelle ainsi, mais si je n’avais pas essayé de te tuer, les autres t’auraient dévoré vivant.

— Tu me fais froid dans le dos ! Ne me laissez pas ici tout seul s’il vous plait, demandai-je sous les rires de Miroslav. Dites-moi, à propos de savoir parler, comment se fait-il que tu sois si éduqué Hicks ?

— Je pensais que tu l’aurais deviné seul, répondit Miroslav à la place de Hicks. Quand je suis arrivé à Egality city, dans ce quartier, la première personne que je vis fut un jeune enfant d’environ 6 ans. Enfin, pour moi il avait environ 6 ans, mais en réalité il ne parlait pas et marchait encore mal. J’ai su qu’il sortait juste de sa phase de développement et qu’il était abandonné. Je l’ai pris sous mon aile, je lui ai appris ma langue, et je l’ai appelé Hicks, comme mon fils. Puis petit à petit, nous nous sommes regroupés avec d’autres abandonnés, des enfants de préférence car ils étaient moins dangereux pour nous. Nous avons survécu ensemble et formé un noyau dur qui s’est progressivement agrandi. Aujourd’hui, bien que nous n’arrivions pas à tous les sauver, nous recueillons une grande partie de ceux qui sont rejetés par la société.

— Vous êtes un exemple Miroslav. Vous, ainsi que tous les Egarés, n’êtes pas à la place que vous méritez.

— Oh ohoh, rit-il encore. Garde-toi bien de juger qui mérite quoi ! Tu sais, me tutoya-t-il encore, Il est étonnant de constater comment évolue une micro société, sans repères, comme celle des Egarés avant que je n’arrive. C’est impressionnant de voir ce que l’absence de système reproducteur induit dans un groupe. J’aurais pourtant juré que les lois de la survie auraient imposés qu’il s’organise en société, que les individus s’entraident. Pourtant, le constat a été, selon moi et mes humbles observations, que l’absence de descendance poussait les individus à ne vivre que pour eux même, à ne rien développer, à ne jamais transmettre de savoir à quiconque. La survie immédiate, c'est-à-dire la nourriture et l’eau, les forçait à s’entraider sur ces points. Mais au-delà des besoins strictement primaires, ils vivaient tous séparément, se droguaient sans restriction et se laissaient mourir les uns les autres. Un spectacle bien navrant. Je suis tout de même content de ce que j’ai réussi à changer ici… Je ne suis pas là pour rien, répéta-t-il encore. »

Il parlait comme un Homme qui venait d’ailleurs, pensait d’une façon qui m’échappait. Probablement que les Hommes du passé communiquaient avec l’influence de leur foi, un peu comme Ameer m’avait parlé quand je l’eus rejoint ainsi qu’Anabella, dans l’autre section de l’Asile. Il m’avait aidé à accepter mon lien avec Valentine. A cet instant, je me rendis compte que Valentine ne parlait plus, et je ne m’en étonnai pas, je sus qu’elle n’était plus là. Elle avait trouvé son chemin pendant que j’étais absent. C’était sans doute mieux ainsi, mieux pour elle, et mieux pour ma santé mentale. Je ne fus pas triste de son départ. Les choses rentraient dans l’ordre.

En marchant, Miroslav pointa frêlement du doigt un bidon de produits chimiques, sans doute déposé par des gens de Human Lab. Hicks s’empressa de l’ouvrir et d’y mettre un coup de pied en s’assurant que le goulot tombe près d’une zone meuble ou le sol boirait tout, ne laissant aucune flaque se former. Puis, quatre femmes fort athlétiques croisèrent notre route avec des sacs de tissu sur le dos. Elles saluèrent Miroslav et Hicks d’un signe discret, et réciproquement. Sans doute la pêche avait-elle été bonne.

« Je disais, reprit Miroslav, que nous n’étions pas là pour rien. Nous avons des choses à faire !

— Moi j’ai les miennes répondit Hicks. Je vous laisse rentrer seuls. Je viendrai déposer de quoi manger pour vous deux tout à l’heure. Ce ne sera pas le festin des gens de la ville mais c’est mieux que rien du tout. De toute façon il va falloir s’y faire Adi, tu es des nôtres maintenant.

— Merci Hicks. Ne vous privez pas trop pour moi, vous n’avez déjà pas grand-chose à manger.

— Tu as besoin de prendre des forces, tu es encore faible dit-il en me collant une pichenette sur l’épaule. Trois semaines dans le coma ça creuse ! On n’a pas besoin d’une larve ici, on a besoin de quelqu’un en pleine possession de ses moyens. La nourriture c’est un investissement, pas de la charité. Mange ce qu’on te donne ! »

Hicks partit. Il avait dit que j’étais resté trois semaines dans le coma, trois semaines, puis un mois dans un état semi comateux et délirant. C’était une éternité pour mes amis prisonniers. Il ne fallait plus tarder…

Miroslav fronça les sourcils un instant, regardant le sol. Puis son visage se détendit et il reprit son air joyeux.

« Tu tiens encore à peine debout, repose-toi encore quelques temps, ensuite, on va aller chercher tes amis ! »

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