CHAPITRE 38 : Human Lab
En pleine nuit, éclairé par une lune sans nuages, je conduisais Bella dans les décombres des quartiers abandonnés aux égarés, jusqu’à la l’entrée de la périphérie de la ville, là où siégeait Human Lab. Nous débâtions de mon objectif. La reproduction sexuée était l’anti contrôle génétique absolu, un moyen de rétablir le brassage des gènes, la part d’aléatoire nécessaire à la liberté des Hommes, au retour de leur libre arbitre. A l’approche de l’arrière du bâtiment, l’odeur, déjà désagréable des bidonvilles, se faisait de plus en plus forte et acre. Nous aperçûmes au loin quelques silhouettes fuyantes, sans doute celles de ceux qui étaient trop sauvages pour rejoindre les égarés. Les malheureux qui ne s’étaient jamais vraiment éloignés de leur lieu de naissance. Puis en avançant encore, gisaient sur le sol quelques corps sans vie qui appartenaient à ceux qui n’avaient pas survécu à leur première journée dehors. Nous assistions au spectacle de ceux qui étaient sortis directement malades ou tout simplement qui avaient trop de faiblesses pour que la nature ne leur donne pas plus le droit de vivre que leurs créateurs.
« Ameer tu crois que c’est une bonne idée ? Tu ne sais pas ce que tu vas trouver là-bas.
— Non, je ne sais pas, mais je vais remonter la chaîne et trouver ceux qui décident que les clones ne sont pas conformes. Cette boîte contient forcément les meilleurs biologistes. Je les forcerai à m’aider. »
Je serrai le manche d’un poignard que m’avait offert Miroslav et dont le fourreau était attaché à une ceinture de fortune constituée d’une simple cordelette.
« Bella, je pense que nous devons agir vite. Ici, l’uniformisation a rendu les comportements criminels négligeables. Profitons du fait que les systèmes de sécurité sont légers voire inexistants. Bientôt, nos actions auront des conséquences et il ne sera plus aussi simple de pénétrer dans ce type de bâtiment. C’est le moment ou jamais. J’entre.
— Ok, je viens avec toi, tu vas encore faire n’importe quoi. »
Je souris à Bella, heureux durant quelques secondes de sa présence. Puis je me reconcentrai sur ma mission incertaine et improvisée pour ressentir cette boule dans les tripes. Pas celle qui s’invite lorsqu’on doit monter sur scène devant un public. Pas celle non plus qui s’incruste avant un examen important. Plutôt celle qui attendait cachée au plus profond de moi en attendant que ce soit mon heure. Celle qui sonne le gong et qui hurle « Prépare-toi maintenant ! ». Mais j’étais avec Bella et mes jambes ne flanchèrent pas.
L’enceinte de Human Lab était devant nous. Depuis l’arrière du bâtiment, on pouvait voir l’immense logo surélevé dépasser. Il n’était plus temps de se poser des questions et d’hésiter. Nous entrâmes dans l’enceinte par une petite cour extérieur, rempli de poubelles. En nous approchant des sacs plastiques transparents qui débordaient des containers en plastique, l’odeur se fit pestilentielle. Les relents étaient si forts qu’ils bloquèrent chimiquement ma respiration. Cette odeur, ni de pourriture, ni d’excréments, mais bien organique, roua mon estomac de coups comme l’aurait fait un boxer profitant d’une accolade de repos de son adversaire. Je me mis à tousser d’une toux rauque et irritante. Anabella grimaça et s’enlaidit comme je ne le crus pas possible. Une peur panique de faire du bruit m’envahit et je tentai de faire demi-tour tandis qu’Anabella me retint. Je m’approchai alors d’une poubelle pour y rendre le contenu de mon estomac, et bien plus. Mon regard se fixa alors plus précisément sur les ordures. Un œil humain m’observait vomir depuis l’intérieur d’un de ces sacs. Un œil perdu au milieu d’un amas de chair et dont la paupière avait fui l’horreur de ce monde. Pris d’effroi, je reculai alors vers Anabella qui me retint une fois de plus. « Tu vois, tu commences déjà à faire n’importe quoi ». Elle avait enturbanné un morceau de tissu autour de son visage pour protéger son nez des odeurs agressives. Puis elle m’en tendit un que j’enroulai comme un foulard. Cette protection fut bien maigre et ne m’apporta qu’un réconfort psychologique. C’était tout ce qui fut nécessaire à la reprise de mon avancée. Bella restait plusieurs mètres derrière moi. Au fond de la cour se trouvait une porte, la seule visible. Je me dirigeai vers elle et tentai de l’ouvrir. Elle était fermée de ce côté. Je tournai la tête vers Anabella pour lui faire signe qu’on n’entrerait pas par là. Anabella garda le regard fixé sur la porte. Je me retournai alors pour constater qu’un homme se tenait devant moi, le poignet d’un petit garçon au visage tuméfié dans la main. Mon regard croisa le sien. Il eut peur, ou honte, je ne sais pas. Il lâcha le petit qui resta figé sur le pas de la porte et me sauta dessus. J’essayai d’agripper mon poignard, mais il me fit trébucher et plaqua mon bras au sol avec son genou. J’eu à peine le temps de hurler de douleur qu’Anabella stoppa nette la bagarre en enfonçant la dague qu’elle m’avait volé dans la nuque de mon agresseur. Celui-ci s’écoula sur moi pour un ultime câlin. Anabella peina à le déplacer. « Il est trop lourd Ameer, aide-moi ! ». Je me libérai du poids mort, encore confus, et abasourdi par l’assurance d’Anabella. » Elle me tendit mon poignard après l’avoir essuyé. « Garde le, je pense qu’il est plus utile dans tes mains ».
Le petit garçon était calme et bloquait la porte ouverte. « Qu’est-ce qu’on va faire de lui ? demanda Anabella
— Je ne sais pas, on ne peut pas faire demi-tour maintenant, répondis-je. Est-ce que tu me comprends ? demandai-je en m’adressant au garçon haut comme trois pommes.»
Il ne répondit rien. Il ne semblait pas savoir parler. Tout juste marcher.
« On ne peut pas non plus l’emmener avec nous, dit Anabella.
— Je sais. Il faut que tu le prennes avec toi. Que tu le ramène chez nous, près de Miroslav.
— Ce n’est vraiment pas le moment, s’inquiéta-t-elle.
— On peut toujours le laisser là, mais qui sait où il va aller, et si nous allons revenir ? On n’a pas le choix, si on l’abandonne il risque de mourir.
— Ah putain ! Je le ramène. Fais pas le con Ameer. »
Bella repartit avec le gamin et jeta le poignard à mes pieds. J’entrai seul.
A l’intérieur, l’air était filtré et l’odeur nauséabonde avait totalement disparu. J’étais dans une petite pièce de quelques mètres carrés qui devait servir de sas. Une autre porte donnait vers une pièce immense, haute de plafond et d’une propreté qui faisait immédiatement oublier la décharge humaine par laquelle nous étions arrivés. Il s’agissait d’un laboratoire. Au milieu de la pièce, plusieurs lits étaient équipés de divers dispositifs d’analyses médicales. Tous les lits étaient vides. Sur les murs, des capsules de verre étaient disposées les unes à côté des autres. La majorité d’entre elles contenaient des embryons en gestations, des bébés, des fœtus, de jeunes enfants. Un affichage digital indiquait le type de clone dont il s’agissait et un écran trois dimensions comparait en permanence le génome du petit être avec celui prévu par la théorie. Tous les affichages indiquaient cent pourcents sauf un, orange, indiquant quatre-vingt-dix-neuf pourcents situé à une vingtaine de mètres de moi. Un homme en blouse banche semblait s’affairer devant la cellule à quatre-vingt-dix-neuf pourcents. Il jeta un œil sur moi mais ne parut pas s’en inquiéter. Je restai bloqué quelques secondes. Il me fixa. Je me remis finalement à bouger et il me lâcha du regard pour retourner à ses activités. Ce fut une décision risquée mais je décidai de m’avancer vers lui puisqu’il semblait seul et non hostile. L’homme releva la tête. Lorsque je fus à quelques mètres de lui, il m’adressa la parole.
« N’avancez plus ! Si je ne me trompe pas, vous n’êtes pas autorisé à être ici ? Où est passé ScBi4330-Porter ?
— Il est dehors, avec un gamin difforme.
— Dehors vous dites ? Que fait-il ?
— Vous savez très bien ce qu’il fait.
— Oui, et je sais que ça ne prend pas une minute...
— Il va revenir…
— J’en doute…
— Et bien attendons un peu et vous allez voir.
— Ok attendons, me répondit-il. »
Je fis un pas vers lui.
« N’approchez plus j’ai dit.
— Bien, je reste à ma place.
— Qui êtes-vous ?
— Je cherche … l’ordinateur central.
— Pardon ? de quoi parlez-vous ?
— Où sont définis les génomes de chaque type de clones ?
— Vous ne m’avez toujours pas dit qui vous étiez !
— …
— Vous êtes un égaré. Forcément. Vous n’avez le type d’un clone. Et vous avez tué Porter.
— Non, il va revenir.
— J’attends mais n’approchez pas »
Je compris alors qu’il me faisait patienter pour une bonne raison. Il était convaincu que son collègue était mort, et il avait raison. Il ne me laissait pas approcher car il n’était pas en mesure de se défendre mais il avait dû appeler du renfort. Je décidai d’avancer tout de même et en courant. L’homme prit peur mais réagit trop lentement. Je l’agrippai à la gorge tout en lui pointant mon poignard sur la jugulaire.
« J’ai tué ton ami. Tu vas répondre à toutes mes questions ou je te planterai ce truc dans la gorge et je te couperai les couilles pendant que tu te videras de ton sang.
— Oui je vais répondre, bredouilla-t-il.
— Tu vas m’accompagner là ou vous programmez les génomes des clones et tu vas me montrer où se trouve le gène qui permet la reproduction sexuée.
— Vous êtes malades. Je ne sais pas faire ça. Personne ne sait le faire ! »
J’entamais une légère saignée bénigne pour montrer que je ne plaisantais pas. J’hurlai « DIS MOI !
— Votre demande n’a pas de sens. La reproduction n’est pas commandée par un seul gène. C’est un ensemble de gènes qui orientés harmonieusement donnent les conditions nécessaires à la reproduction. Ce n’est pas à la portée d’un clone de maîtriser ça. C’est issu de millions d’essais réalisés par des algorithmes qui tournent depuis des siècles.
— Amène-moi à ces machines !
— Elles ne sont pas ici ! Elles ont trop d’importance pour être dans un lieu si peu surveillé. L’Algorithme est sous surveillance militaire.
— L’Algorithme ?
— L’ordinateur qui réalise les opérations, les essais, qui analyse les données de toutes les entreprises, qui détermine de quoi la société a besoin… et qui conserve le détail de tous les génomes.
— Mais vous avez forcément les détails, vous fabriquez les clones. Ne te moque pas de moi je suis à bout de patience.
— Oui on les fabrique, mais on ne sait pas ce qu’il y derrière chaque gène ou chaque combinaison d’allèles. On reproduit le modèle à l’identique et c’est tout.
— C’est incroyable, m’étonnais-je. On a aussi perdu le savoir ! Ou est-il ce fameux « Algorithme » ?
— Il est à l’extérieur de la ville, quelque part pas loin de New Age City. »
A cet instant la silhouette d’un homme immense apparu au bout de la pièce. Ceci confirma ce que j’avais compris. Le scientifique gagnait du temps pour permettre à la sécurité rouillée d’arriver. Un faisceau lumineux clignota au loin et en une seconde, la tête du scientifique explosa. Une vague de chaleur intense lécha mon oreille. Pas envie de me prendre ce rayon de la mort, je lâchai le scientifique sans tête et partis me réfugier près d’un des lits centraux dont le pied était large et métallique. Impossible de retraverser entièrement la pièce. Il me fallait trouver rapidement une solution car en une dizaine de seconde, mon assaillant serait à mon chevet, et là, plus question de m’en sortir avec mon poignard. Sur ma gauche, en traversant quelques mètres à découvert, une paroi ouverte menait vers une seconde partie de laboratoire. Sur ma droite, également après deux ou trois mètres à découvert, il y avait une porte mais pas moyen de savoir si elle était ouverte et si elle ne menait pas vers un cul de sac. Je décidai de tourner autour du pied métallique en fonction des déplacements du garde mais j’avais besoin de le voir ne serait-ce qu’un minimum. Je déplaçai ma main en hauteur pour attraper, sur une petite table à hauteur du lit, une coupelle argentée réfléchissante destinée à accueillir des instruments médicaux. Je la saisis et rapatriai immédiatement ma main. J’entendis une nouvelle fois le chargement du faisceau lumineux qui fit exploser la table. Il me sembla évident que cette arme prenait environ une seconde, peut-être un peu moins, à charger. Par conséquent, cette seconde de chargement, cumulée aux réflexes du garde pouvait me permettre, si j’étais assez rapide, de sauter vers l’autre côté du laboratoire. J’orientai la coupelle pour voir derrière moi. Le garde se déplaçait vers sa droite. Je tournai donc légèrement à gauche. J’entendis l’arme charger mais rien n’explosa autour de moi. Il faisait fondre l’épais pied d’acier du lit. Ce fut l’occasion parfaite de m’enfuir. Je sautai donc vers la gauche, vers l’autre partie de la pièce. Cette partie du laboratoire était dans l’ombre. Plusieurs sorties m’étaient offertes, mais ces sorties étaient éclairées et je préférai éviter d’être exposé. Je m’installai alors sous une paillasse et constatait qu’il n’y avait pas de fond. J’entrepris alors de traverser le laboratoire en restant à couvert sous les paillasses successives. Le garde perdit patience et se mit à tirer partout. Les tables et éviers volèrent en éclat. Les cellules de gestation se mirent à bouillir puis explosèrent inondant le laboratoire de liquide amniotique et condamnant d’avance de nombreux futurs clones.
« Merde ! » cria-t-il.
Je profitais du fracas général pour me mettre à courir vers la première partie du labo et regagner la seule porte dont j’étais sûr de l’issue, celle par laquelle j’étais arrivé. Le garda chargea une nouvelle fois son arme mais peina à viser correctement à cause du sol désormais très glissant. Je regagnai la première porte qu’il fit sauter derrière moi. Puis j’ouvris la deuxième et m’extirpai, gluant de ce laboratoire placentaire.
Je me mis à courir près des poubelles. Je n’avais plus la possibilité de me cacher. Désormais, l’étendue derrière le bâtiment était dégagée. Sortir de la cour ne m’assurait pas la fuite. Je sentis une nouvelle fois l’arme se charger, sans doute la dernière fois. J’avais perdu. Je vis passer un faisceau lumineux à coté de ma tête. Je touchai mon oreille, elle n’avait rien. En me retournant, je vis l’uniforme du garde flotter vaguement sur un amas de chair bouillant.
« Oh grand Messie. J’espère que vous n’avez rien ! »
Derrière moi, se trouvait un petit homme encapuchonné. Il sortait d’une voiture ressemblant à celles que j’avais connu de mon temps. Une voiture à essence, qui ne circulait pas sur des rails magnétiques ou je ne sais quoi. Une voiture qui pouvait aller n’importe où, avec un volant.
« Vous n’avez rien ? répéta-t-il, incliné. Il ne faut pas rester là. Montez ! ».
Je montai.
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