CHAPITRE 39 : Une lanterne vers le brouillard
Dans la voiture, Anabella était présente. Je l’ai questionnée sur le petit. Elle m’a dit qu’elle l’avait confié à Miroslav. Miro avait été invité à monter mais il avait préféré rester avec le petit.
« Vous m’avez sauvé, commençais-je.
— Oui, ô voyageur du temps.
— Qui êtes-vous ? demandai-je simplement en jetant un regard abasourdi à Anabella qui me regarda également étonnée.
— Quelqu’un qui vous attend depuis longtemps, répondit-il en souriant. »
Je regardai Anabella une fois de plus. Ses yeux étaient grands ouverts. Elle ne semblait pas inquiète. En y regardant de plus près, on pouvait déceler sur la commissure de ses lèves, un début de sourire, ou peut-être pas. Mais la sensation qu’elle fut excitée par ce nouvel évènement inattendu me parvint, sans doute parce que je l’étais moi-même. Un espoir naissait, à partir de rien.
« Ou nous emmenez-vous ? » demanda Anabella. Elle n’eut point de réponse satisfaisante. « Vous le verrez très vite » avait répondu notre chauffeur. Les questions se multipliaient, mais comme un accord tacite, nous décidâmes tous deux, comme si nous étions encore reliés par nos amplificateurs, que nous allions profiter de la route et ne pas poser de question.
Ce fut bien le minimum de se concentrer sur le chemin car en réalité il n’y avait pas de route. La vieille Chevrolet du vingt-deuxième siècle, tellement vintage, peinait à rouler dans une campagne herbeuse. Les secousses causées par le terrain cumulées à des trajectoires tout à fait inhabituelles et imprévisibles me donnèrent des hauts le cœur. Je vis qu’Anabella n’était pas très bien non plus. Il me sembla que le chauffeur tentait d’éviter certaines zones cultivées non praticables par le véhicule. Il fut d’ailleurs probable que pour rester discret, il esquivât toute zone non déserte pour échapper à la vue des agriculteurs modernes, jonchés sur de vieilles machines hautes de cinquante à soixante-dix mètres.
Nous éloignant de la ville, la nature reprit ses droits et les massifs montagneux recouverts de pins se firent finalement plus imposants que les gratte-ciels de verre et les reflets colorés des arcs-en-ciel artificiels de la ville. Après une vingtaine de minutes, la voiture rejoignit une vieille route recouverte d’herbes et de mousse, abandonnée à l’évidence. Nous roulions sur le vestige de l’époque qui fut la nôtre. Çà et là, des racines d’arbres avaient soulevé et craquelé le bitume. Il fallut tout de même rouler très lentement. Malgré son aspect accidenté, la route devint droite et mes hauts les cœurs finirent par passer. Je repensais à la mort à laquelle j’avais échappé de peu dans les locaux d’Human Lab et je fus pris d’une fatigue extrême. Je fermai les yeux. Puis je sentis qu’Anabella, ivre de fatigue, s’autorisa un répit et installa sa tête contre moi pour se reposer elle aussi. Quand je rouvris les yeux, Bella était réveillée et la voiture arrêtée.
« J’attendais que tu te réveilles, me dit-elle.
— Cela fait longtemps que nous sommes arrêtés ?
— Je viens juste de me réveiller moi aussi.
— Depuis quelques minutes seulement, entreprit de répondre le chauffeur. Il va falloir descendre car on ne peut plus progresser en véhicule. »
A l’extérieur, une silhouette encapuchonnée également attendait à l’orée d’une forêt. Bella et moi descendîmes de la voiture. Le chauffeur recouvrit la voiture d’une bâche faite de feuillage. « Suivez-moi prophètes ». Anabella sourit, m’interpella d’un coup de coude et chuchota « Carrément « Prophètes » ! ».
Le second homme qui s’avéra être une femme s’inclina devant notre arrivée. « La grâce de votre présence m’enchante prophète Saliba, prophétesse Lucchesi ». Ce à quoi je répondis « Bonjour » … Bella prit son rôle au sérieux, elle esquissa un sourire et posa sa main sur la joue de la jeune femme. Celle-ci ne s’en sentit pas digne et s’inclina encore plus. Puis nos deux hôtes dévoilèrent deux beaux chevaux. L’un totalement blanc, l’autre totalement noir. Tous deux étaient équipés d’une couverture en guise de selle sur laquelle un symbole de soleil était représenté avec une silhouette humaine en son sein.
La jeune femme monta sur le cheval blanc et me fit signe de monter. Je regardai Anabella, peu enclin à voyager séparé d’elle. Elle et moi avions bien conscience qu’aucun de nous n’était en mesure de prendre les rennes et qu’il fallait consentir à se séparer. Elle s’installa donc sur le cheval noir avec l’aide de notre chauffeur tandis que je montai sur le blanc. Nous pénétrâmes la forêt et traversâmes un chemin rocailleux qui nous emmenait vers des hauteurs. La jeune femme et moi chevauchions devant, lentement, car notre cheval semblait recouvrir d’une blessure récente comme en témoignait le bandage qu’il portait sur la partie musculeuse d’une de ses cuisses.
Nous sortîmes totalement du bois pour avancer au soleil, toujours plus haut. Enfin, le chemin devenant impraticable, il fallut poursuivre à pied. Anaïs, la jeune femme qui nous guidait, attacha les chevaux dans un petit cabanon rempli de foin rouge. Puis nous reprîmes la marche. Nous parvînmes à un petit sommet qui donnait vers une sorte de gouffre. Il semblait être constamment à l’ombre de plusieurs parois formant une cheminée. Notre guide pointa du doigt une zone en contrebas. Cette zone semblait difficile d’accès au premier abord, mais au fur et à mesure de notre avancée vers le bord de la paroi, un chemin aménagé de façon rudimentaire apparut. Nous descendîmes donc en contrebas sillonnant sur une corniche aménagée d’une main courante. En bas, un renfoncement dans la paroi se rétrécissait en entrée de grotte.
Anabella s’arrêta. « Ecoutez, on n’a pas posé beaucoup de questions, mais il serait temps de nous dire ou vous nous emmenez. ». Notre élan d’optimisme s’était éteint dès que la perspective d’entrer dans un endroit clos se présenta à nous. Anaïs nous regarda en souriant, elle se plaça sur le côté de l’entrée et nous fit signe d’avancer. Une chose était évidente, nous avions déjà fait notre choix en pénétrant dans le véhicule. Il n’était plus temps de redouter un accueil hostile. Autant aller jusqu’au bout. Je m’engageai dans l’entrée de grotte, ouvrant le chemin. Anaïs me suivi, puis Anabella se décida. Au bout de quelques mètres, les parois rocheuses laissèrent place à du béton. Un petit escalier de caillebotis descendait sur cinq ou six marches et donnait vers une grande pièce haute sous plafond, une sorte de hangar aux murs relativement peu décorés. En bas de cet escalier. Un homme nous attendait, décapuchonné. Nos deux guides nous laissèrent avec lui. Il semblait avoir passé quarante ans, chose assez rare dans nos observations depuis notre retour sur Terre. Sa tête me disait vaguement quelque chose.
« Soyez les bienvenus, commença-t-il. Je suis BiCd1001- Ronald. ». Il dégageait une certaine assurance et portait plusieurs tatouages camouflés par ses vêtements. « Venez, suivez-moi nous allons nous installer pour discuter, quelle merveille de vous voir, je n’en crois pas mes yeux ». Anabella et moi suivîmes Ronald un peu plus loin dans la pièce. Il y avait quelques affichages sur les murs, rien de très visuel. Des installations d’origines inconnues qui ne devaient plus avoir une grande utilité. Au centre quelques vieux canapés étaient disposés face à face le long de petits édifices. Il s’agissait de petites dalles de béton hautes, comme des socles. Il y en avait trois en plein centre de la pièce.
Nous nous approchâmes des canapés. Ronald prit place sur l’un d’eux. Anabella et moi nous mîmes côte à côte sur celui d’en face. Ronald nous regardait et souriait. Il s’apprêtait probablement à entamer la conversation mais prit le temps de ne rien dire, laissant s’installer un silence inconfortable. Mon regard alla se poser un peu partout autour de moi. Trois couloirs sans portes partaient de cette pièce centrale. J’observais ensuite les dalles de plus près. Je vis qu’Anabella faisait de même. Je reconnus un logo familier ainsi qu’une inscription sur chaque socle. Il était écrit Vernes III alpha, bêta et gamma…
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