CHAPITRE 43 : l’apocalypse virale
Je m’entretenais en privé avec Ronald pendant qu’Anabella dormait. Miroslav m’avait annoncé qu’il souhaitait rentrer chez lui. Le petit Priam avait besoin de lui, surtout les premiers jours. Il fut raccompagné par des membres de l’ordre avec quelques vivres. Je questionnais Ronald sur la ville de New Age city. Le scientifique d’Human Lab semblait dire que les informations de l’algorithme génétique qui régissait notre monde moderne provenaient de cet endroit. En tant qu’ancien dirigeant d’Human Lab, Ronald connaissait très bien toutes les organisations qui tournaient autour de la création de clones dans la société.
Un ordinateur central, l’un des derniers, était effectivement situé dans une base protégée de New Age city. Il s’agissait de l’un des derniers endroits protégés sur Terre. L’ordinateur en question était redondé 4 fois, au cas où un accident malencontreux viendrait à en rendre un ou plusieurs hors services. A l’origine, chaque grande ville équipée d’une usine de production possédait sa propre unité « fille » en réseau avec les unités « mères » de New Age city. Au fur et à mesure des siècles, les unités filles ont été remplacées par des gestionnaires holographiques dépendants qui reproduisent les instructions de l’unité mère. Ainsi, si les instructions de l’unité mère changeaient, celles des unités filles également. J’ai rapidement pu en conclure que le noyau situé à New Age city contrôlait tout. Si ce noyau venait à disparaître complètement, dans ce cas, les unités filles deviendraient autonomes et les algorithmes reprendraient séparément sur chaque unité fille en partant de la sauvegarde la plus récente. Cette disposition empêchait, au vingt-troisième siècle, que la perte totale du centre de New Age City, pour une raison ou une autre, bien qu’improbable étant donné les quatre niveaux de redondance aussi bien matériels qu’électriques, n’induise pas la perte totale de l’algorithme. Cependant la manipulation du système n’ayant pas été prise en compte, j’ai pensé qu’une instruction demandant la suppression de l’algorithme sur l’unité mère pourrait vite s’étendre à toutes les unités filles du monde.
Je touchais au but. Ronald se montrait impatient d’avoir une vision concrète de nos actions. Je tentais d’esquiver les réponses mais mon aura de « messie » devenait insuffisante pour le calmer. « Prophète Ameer, vos fidèles attendent. Ils attendent que leur vie change, que votre venue leur apporte ce que ce monde ne leur a pas donné ». Les idées se sont bousculées dans ma tête. Je n’osais pas lui proposer un plan qui ne lui serait pas directement profitable. Je le sentais capable d’avoir des réactions inattendues et peut être violentes. Je ne pouvais pas non plus lui cacher ce sur quoi nous étions en train de travailler. Il m’avait donné trop d’informations et nous en avions déjà trop dit. Etant donné son passé, il avait tout intérêt à rejeter ce système dont il avait subi l’injustice. Je décidai donc de lui donner un début de réponse.
« Ronald, cette société est malade. J’ai besoin de me rendre à New Age city et d’atteindre l’unité mère qui gère l’algorithme de production des humains.
— Oui prophète Ameer, les hommes ne sont pas dignes de votre bonté. Seuls les membres de l’ordre vous sont fidèles et vous aident. Nous méritons de diriger ce monde. Faites de nous les créateurs du nouveau monde. Je peux remodeler les clones à ma façon, pour que…
— Stop, Ronald ! Je ne suis pas là pour que tu remodèles le monde à ta façon. »
Je vis les yeux de Ronald s’éteindre, son visage se fermer. Il prit une inspiration, baissa légèrement la tête puis me fixa du regard. Je notai à cet instant qu’il possédait une arme sur lui, le genre d’arme dont j’avais constaté les dégâts. Il me questionna sur un ton plutôt affirmatif : « Vous avez bien l’intention de faire de nous des êtres divins. »
Je me sentis pris de panique. La vérité ne semblait pas prête à le satisfaire. Anabella entra dans la pièce à cet instant et répondit « Pour faire de vous des êtres divins, nous avons besoin de restaurer notre puissance et d’augmenter encore le nombre de nos fidèles. Pour cela, nous devons détruire les unités mères qui prennent le contrôle des clones et créent des êtres dénués d’âmes. Seuls quelques élus comme vous ont su transcender leur condition ». J’avais trouvé sa remarque particulièrement culottée et risquée mais finalement plutôt intelligente quand on devine la personnalité de Ronald, et surtout bienvenue vu l’urgence de la réponse attendue. L’intervention de Bella eu son effet sur Ronald qui détestait ses semblables issus d’une gestation artificielle. « Je vois, répondit-il après un long silence, veuillez pardonner l’impertinence de mes questions. Nous ferons le nécessaire pour que vous puissiez atteindre les unités mères de New Age City ». Il quitta la pièce me laissant seul avec Anabella. « Merci, lui dis-je simplement, une fois de plus, tu as été à la hauteur. Que ferais-je sans toi ?
— Des conneries, rétorqua-t-elle en souriant. Un peu comme quand on est ensemble finalement.
— Ahah, pour être franc, je me demande si cette discussion ne nous a pas fourrés dans une galère dont nous n’avions pas besoin. Mais tu as raison, tout seul j’aurais fait une autre connerie. Et moi je te le dis, elle aurait été pire.
J’embrassai Bella, d’une part dans le but de débusquer ces petits instants de bonheur au milieu de cet enchaînement d’épreuves et de tensions, mais aussi pour marquer le départ d’une nouvelle mission, une de plus, et qui requerrai tout de même, en ce qui me concerne, un certain courage. Il fallait nous préparer !
Les treize jours de calcul étaient écoulés et j’avais préparé plusieurs copies de notre nouvel algorithme, celui qui n’en était plus tout à fait un. Ce « Virus » ne devait pas nous échapper et comme je suis plutôt prévoyant, j’en avais préparé six. Deux pour Bella, deux pour Miro et deux pour moi. Ce fut sans doute inutile que chacun d’entre nous en possédât deux mais j’imaginais d’avance des situations où il eut été pratique de posséder un double. N’ayant confiance qu’en nous trois, je n’en ai pas prévu plus. Le gestionnaire holographique du QG de l’ordre de Darwin constituait également un exemplaire du virus. Il ne restait plus qu’à l’installer. Une mission simple au regard de tout ce que nous avions parcouru jusqu’à présent. Et pourtant, mon ventre se nouait comme si je m’apprêtais à affronter ma première bataille. Ce fut bien ma première bataille qui se préparait en quelque sorte, mon premier combat armé. Car en effet la stratégie était simple : neutraliser les forces de défense ennemies, et c’est tout, en tout cas, au premier abord. Ce fut la stratégie annoncée à Ronald. En revanche, celle qui m’importait réellement possédait une nuance. D’après nos renseignements, et selon toute cohérence étant donné l’absence de besoin de protection de ce nouveau monde, les défenses militaires du centre ICFHP, c’est ainsi qu’il s’appelait, étaient tout à fait sommaires. Les clones militaires étaient toutefois sélectionnés et entraînés pour être de bons combattants. Cependant il était pertinent de compter sur une absence totale de préparation. Il y avait fort à parier qu’aucun de ces clones n’ait jamais été impliqué dans un conflit quelconque ou n’aient jamais eu à défendre réellement quoi que ce fût. Pour cela, l’assaut qui serait donné aux membres de l’ordre sèmerait un chaos suffisant pour nous permettre à Bella et moi d’en profiter et d’entrer dans la base afin d’y télécharger notre virus. Par la suite, peu nous importait. Au fond, je crois que j’espérais bien qu’ils nous repousseraient, ceci nous aurait débarrassés des membres de l’ordre qui commençaient à devenir un peu collants.
Pour apaiser la peur qui me tordait le ventre, je tentai en vain de me représenter les lieux de la mission. J’imaginais le champ de bataille et les tirs de faisceaux désagrégeant tout sur leur passage. Il est presque impossible de se mettre à couvert de ce genre d’arme. C’est la raison pour laquelle il fallait rester hors de vue. Eviter que l’ennemi ne repère la provenance des tirs, c’était gagner du temps, un temps précieux. Le mot d’ordre était la mobilité. Ne jamais tirer deux fois depuis le même endroit, tourner autour de la base, sauter d’un point de couverture à l’autre, se replier puis revenir, les obliger à quitter leur base et les faire tourner en bourrique. Dans l’idéal, nous resterions furtifs autant que possible, mais Ronald nous a rappelé que la communication par amplificateur d’ondes cérébrales connectait les soldats entre eux et que dès qu’un soldat serait alerté, tous les autres le seraient immédiatement aussi. Nos seuls atouts étaient la supériorité numérique, selon les dernières connaissances de Ronald, et l’effet de surprise. Nos faiblesses étaient les suivantes : l’absence d’entraînement au combat, la difficulté à communiquer et se coordonner sans amplificateurs, la relative méconnaissance des lieux bien que nous ayons eut quelques informations montrant que l’architecture du centre ressemblait beaucoup à celle du centre spatial qui avait accueilli notre retour sur Terre. Nous avons toutefois pris la peine de nous entraîner au tir plusieurs semaines. Cette préparation ne fit pas de nous des professionnels du combat mais permit, à minima de nous donner confiance.
Parés au départ, nous nous miment en route avec l’ordre de Darwin, de nuit, en direction du centre ICFHP à l’extérieur de New Age city. Sur le chemin, nous fîmes un arrêt chez les Egarés. Miroslav, que je savais vaillant, jugea que si l’assaut tournait mal, une personne devrait assurer le rôle de patriarche des Egarés. Il voulut qu’Anabella ou moi restât sur place pour lui permettre de participer lui-même à la mission mais il n’était pas question que je ne fusse pas dans l’action. De plus j’étais le plus à même de déployer le virus une fois sur place. Anabella fit comprendre en un seul regard qu’il n’était pas question non plus de négocier avec elle. Miro resta donc en retrait et nous envoya Hicks en renfort. Il proposa également de mobiliser une vingtaine d’égarés mais d’une part, en plus du fait qu’ils n’étaient pas entraînés au tir, la place manquait dans nos véhicules et d’autre part, bien que je ne fusse pas fier de cet état d’esprit, je préférais épargner les égarés qui auraient subi des pertes.
Quelques heures plus tard, les fanatiques, Anabella, Hicks et moi étions tapis dans la nuit, à l’orée de la forêt qui bordait l’un des coté du centre. Je m’attendais à voir des gardes patrouiller un peu partout. Je m’étais préparé à attaquer un camp militaire, et il n’en était rien. L’un des bâtiments principaux baignait dans la lumière de projecteurs. Un garde posté devant la porte principale s’assoupissait presque d’ennui. Un réseau de petits véhicules lévitant sur rails magnétiques et quelques œufs qui devaient probablement desservir les bâtiments annexes attendait au sol, tous feux éteints, qu’on vienne les déranger. Les autres bâtiments étaient relativement espacés du premier. Ronald m’avait équipé d’un talkie-walkie à l’ancienne. Bella avait le sien, Hicks aussi, sur ma demande, et Ronald conserva le dernier. Une de ces armes futuristes de type LAWS, sur lesquelles nous nous étions entraînés, nous avait été confiée, en plus de la lame que je portais sur moi, et qui avait déjà servi dans la cour d’Human Lab. Hicks n’a jamais voulu abandonner sa fameuse lance. Je m’isolai quelques minutes avec Anabella et Hicks. Nous avions planifié d’arracher une ou plusieurs puces d’accès sur le bras des gardes pour accéder aux différentes zones du centre. J’avais eu peur que des sécurités plus élaborées telles des scanners rétiniens ne soient présentes mais Bella me fit remarquer qu’un système de sécurité basé sur des critères physiques à l’ère des clones était assez peu probable. Il nous fallait partir devant, pour agir sans éveiller les interrogations de nos alliés. Je donnais l’instruction de ne pas lancer l’assaut, soit avant mon signal, soit sans signe de vie de ma part durant quinze minutes, soit tant qu’aucun tir n’aurait été repéré, ceci pour garder un élément de surprise.
Je m’approchais donc discrètement, en restant dans l’ombre autant que possible, la lame à la main, talkie fermé. Anabella et Hicks me suivaient. Nous arrivâmes contre la paroi du bâtiment principal, adjacente à celle qui présentait l’entrée. Pas un bruit. Je demandais à Hicks de faire le tour du bâtiment par l’arrière, prudemment, pour s’assurer qu’aucun garde n’avait échappé à notre vigilance. Aucune tour de surveillance à l’horizon, comme si la surveillance de l’extérieur du bâtiment n’intéressait personne. Après quelques minutes, je vis apparaître le bras de Hicks qui revenait, à l’autre bout de la paroi, vers l’arrière du bâtiment, faisant un zéro avec ses doigts. Un zéro ou un six d’ailleurs ? Je me reconcentrai, c’était un zéro ! Je lui fis signe de nous rejoindre et de rester sur place avec Anabella. « Tenez-vous prêts, je fais le tour et on le prend en sandwich. Mettez votre talkie au plus faible. Dès que je vous bip deux fois, on y va ensemble. »
Je fis le tour du bâtiment pour constater qu’il ne semblait pas y avoir d’autres gardes. Les doigts de Hicks formaient donc bien un zéro. Je me reconcentrai une fois de plus sur ma mission, mon cœur palpitant ne me laissant pas spécialement le choix de focaliser sur autre chose. Arrivé de l’autre côté du bâtiment, et prêt à donner le signal, je pensai qu’il était encore temps de tout arrêter, de faire demi-tour. De toute évidence, je n’étais pas taillé pour l’action. Mon cœur me poussait vers l’arrière mais mon intellect n’eut que peu d’arguments à trouver pour me convaincre. Bella était engagée elle aussi, elle attendait de l’autre côté, pas question de la laisser, il était trop tard. Pas question de retourner la convaincre de se joindre à ma couardise. Pas question de trouver une excuse devant l’ordre de Darwin qui avait rendez-vous avec son destin. Pas question de retourner à une vie misérable et résignée chez les Egarés. Pas question d’oublier la haine qui m’avait envahie à la mort d’Adi, de renier la chance que j’avais de donner un sens à mes actes, de donner une raison d’être au projet Vernes. Pas question d’abandonner Jaxon, Nazeeha, Miro… Je donnai le signal.
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