II – Matinée académique

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 Ma nuit de contemplation se concluait, l'odeur du pain grillé parfumait l'air tandis que j'admirais le soleil luire d'une couleur orangée. Les couverts tintaient, ma progéniture finissait son repas. Quant à l'aube, elle glissait par-dessus les toits de Bourdur.

 Je me souvenais de chaque mur, de chaque rue, de chaque plante. Toutefois, je remarquai de menues différences : lors de mon décès, les arbres étaient verts, touffus. Aujourd'hui, leurs parures s'empourpraient. Ils se singularisaient par leur fragilité ; l'été se terminait. J'observais ces fluctuations : les pavés des ruelles luisaient sous la rosée, la tour de garde avait été rénovée, quelques maisons s'étaient fissurées. La ville avait vécu, sans moi.

 Après un petit-déjeuner sobrement réconfortant, Iris prit la route vers l’académie, s’engageant sur la voie centrale. Je la suivis en flottant.

 — Papa, est-ce que les autres peuvent te voir ? asséna-t-elle, son timbre teinté d’une légère inquiétude.

Toujours pragmatique, ma belle.

 — Non, ma chérie. Seul l’invocateur peut détecter un esprit ou un spectre, susurrai-je.

 Elle hocha la tête, un tantinet rassurée. Cependant, je vis au fond de son regard une lueur de préoccupation.

 — Alors, sois discret, s'il te plaît. J’ai pas envie de passer pour une folle devant mes amis.

 À peine ses mots atteignirent-ils mes tympans, elle ajusta la lanière de son sac et secoua sa main à l’intention d'une demoiselle rousse qui m'était inconnue. Cette dernière plissa ses yeux mordorés, cala ses lunettes et lorsqu'elle la reconnut enfin, elle s'empressa de la rattraper. Pourquoi revêtait-elle déjà la tenue d'hiver ? Sa cape épaisse en laine grise, ornée d'un col en velours vermeil, contrastait avec l'uniforme d'été d'Iris et des autres élèves alentour. Mon héritière portait une blouse légère en lin blanc, brodée finement aux poignets et une jupe bleu marine, plissée, tombant juste au-dessus des genoux. Je haïssais ces costumes.

 — Alex, t’as utilisé ton pouvoir de lignée ce matin ? demanda mon trésor, un sourire malicieux au coin des lèvres.

 Son amie disposa une mèche derrière son oreille avant de répondre, un soupçon de fierté dans la voix.

 — Ouais, j’ai voulu me débarrasser de Finn. Il est gentil, mais collant comme pas possible.

 — C’est pour ça que t’as froid avec cette chaleur ! ricocha ma fille en riant.

 — Je me les caille, ouais. Tu peux me réchauffer si tu veux.

 — Tu as tes chances avec cette gamine, haha ! ironisai-je, profitant de mon invisibilité afin de me placer entre elles.

 Alex observa ma descendance qui tentait de me balayer, comme elle aurait chassé une mouche. Son sourcil s’arqua et sa bouche s’entrouvrit. Iris fit mine de rien et se détourna du côté des magasins proches. Après divers coups d’œil rapides, la vision d'un jeune homme pimpant au loin sembla la sauver.

 Il arborait une touffe noire, volontairement ébouriffée, un style qui tendait à défier le vent lui-même. Son regard d'un indigo profond et mystérieux lui apportait un élan sauvage, félin. À ses côtés se tenait une adolescente aux cheveux blonds, rétifs ; ils refusaient toute discipline. Ses pupilles fascinantes, d'un vert marbré de marron, lui conféraient indéniablement du chien.

 J’examinai attentivement le garçon. Soudain, son identité fut une évidence. Kai Lee. Comment n’avais-je pu le reconnaître tout de suite ? Ce garnement, autrefois si espiègle, était devenu un beau gaillard, pourtant, son visage ne changeait pas. Il était le meilleur ami d'Iris. Il s'incrustait régulièrement chez nous. C'était une véritable tornade à la curiosité insatiable. Le temps s’écoule, mais certaines choses restent immuables, me dis-je en le voyant rejoindre Iris et Alex énergiquement.

 — Lysander Faye ! s'écria la blondinette étrangère.

 Elle tira la langue à l’encontre de Kai. Ils semblaient proches. En revanche, ma fille et sa camarade la dévisagèrent, non moins que s'il s'agissait d'une alien.

 — Euh... Oui... bafouilla-t-il, voici Lyse, ma nouvelle voisine. Elle est super sympa, vous verrez.

 — Alex Umbra.

 — Waouh, t'es de la famille des manipulateurs des ombres et des illusions ?

 — Ouais, c'est à cause de son pouvoir de lignée qu'elle s'habille en ours polaire avec cette chaleur, répondit le jeunot.

 La rousse lui asséna un violent coup de coude dans les côtes, pendant que ma chair et mon sang pouffait avant de se présenter :

 — Moi, c'est Iris Béryl, t'es en deuxième année toi aussi ?

 — Non, en première. T’inquiète, on se croisera dans les couloirs, pas vrai Kai ?

 Il acquiesça. Ils reprirent leur itinéraire en direction de l'académie qui se dressait devant nous, imposante et familière. Au moment où ils s'approchaient de la grande porte, une vague de souvenirs me submergea, me ramenant à mes propres années entre ces murs recouverts de lierre. Le hall principal, vaste et baigné d'une lumière douce, se parait des mêmes bannières anciennes. J’aurais aimé être en mesure de sentir l'odeur des vieux grimoires qui se mêlait à celle de la cire des bougies. La vie me manquait-elle ?

 Lyse leur adressa un salut rapide, puis se retira vers sa classe. Les trois autres prirent ensuite le chemin du cours de Mirabel Durandal.

 Mirabel, cette harpie sournoise, le mentor de feu mon épouse. Elle avait eu l’audace de recueillir mon orpheline. Je la respectais autant que je la détestais. Enviais-je sa capacité hors-norme en magie de l'eau, les facultés de son ascendance ?

 — Reprenons notre cours sur les esprits et les spectres, lança-t-elle, l'installation et le sempiternel appel terminés. Mademoiselle Béryl, pouvez-vous me dire ce qu'est un écho du désespoir ?

 — Euh…

 Elle ne connaissait visiblement pas la réponse.

 Alors que sa professeure secouait la tête, je l’effleurai et lui murmurai doucement à l'oreille. Elle répéta immédiatement mes mots.

 — Ah, si ! Je sais ! Les échos du désespoir sont, euh... les esprits morts, euh... présentant un état de profonde dépression. Et… ils sont incapables de trouver la paix et sont piégés à l’intérieur d’une boucle de souffrance.

 Mirabel opina du chef, satisfaite.

 — Très bien. Mademoiselle Lumisel, quels sont leurs pouvoirs ?

 La jeune femme à la longue crinière brune, impeccablement soignée, planta fermement ses pieds au sol et se redressa d’un seul mouvement fluide. Je la jaugeai, cherchant à déceler la moindre hésitation. Elle répondit sans faillir. La question paraissait trop simple pour elle.

 — Ils projettent leurs souffrances subjectives sur les vivants, les plongeant dans une tristesse intense. Ils peuvent également provoquer des visions de la fin du monde ou de la perte de tous les êtres chers, sapant la volonté de vivre de leurs victimes.

 Je constatai son assurance froide, son air hautain, quand elle toisa mon enfant, le nez en l'air. Ses manières parfaites, son intonation glaciale, tout en elle dégageait une prétention irritante. Elle serait en mesure de défier ma petite, à contrario, jamais elle ne l'égalerait. Je t’ai à l’œil.

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