V – Bourrasque et désespoir

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 Après avoir relaté à Iris les détails de ma virée bourduréenne, je me faufilai sous le vitrage de la serre, où la chaleur et les parfums herbacés m’accueillaient à nouveau. À l’instar de Talia, le soleil restait caché derrière l’horizon.

 — Pourquoi avoir détruit l'âme de végétaux inoffensifs ? gémissait un revenant tout proche.

 Face à cet écho du désespoir en devenir, j'optai pour l'ignorer. Je me focalisai sur les mouvements de la silhouette floue, au-delà de la verrière embuée. Est-ce Talia ?

 Les marmonnements incessants finirent par éroder ma patience. Un simple claquement de doigts libéra une bourrasque de vent, projetant le fantôme. Heureusement, la nécessité de respirer m'est épargnée ; car, à une telle intensité, le souffle m'aurait sûrement manqué durant deux longues minutes.

 Au moment précis où mon pouvoir éolien se tarit, mon talisman – ce catalyseur m’évitant les tracés de cercles inutiles – cessa ses vibrations, et la porte vitrée de la salle de classe s'ouvrit. Mon ancienne protégée y pénétra. Son regard se posa instantanément au centre du massacre végétal.

 — Orion ! Je vais te buter ! hurla-t-elle, sans prêter gare à l'heure matinale.

 Ni une ni deux, elle déguerpit en direction de l'académie. Elle sillonna le parc à toute berzingue. Elle emprunta, ensuite, l'entrée la plus septentrionale. Son pantalon de cuir noir émettait un ridicule couinement. J'éprouvais quelques remords en me divertissant de cette ironie.

 Une fois la bibliothèque dépassée, elle gravit l'escalier en conservant la même ardeur. Elle s'engagea, par la suite, sur le chemin menant à l'amphithéâtre consacré aux cours de droits thaumaturgiques et civiques. Cavalière, elle fit intrusion et traversa la pièce jusqu'à l'estrade. Là, d'un coup de pied rageur, elle percuta le pupitre. La douleur accentua davantage sa colère.

 — Orion ! Je sais que t'es dans ton bureau. Sors de là tout de suite !

 — Talia, que peux-tu me vouloir à une heure si précoce ? bredouilla une voix étouffée, somnolente.

 Subitement, elle martela les battants. Surgit finalement, un grand gaillard, la cinquantaine, aux cheveux châtains striés de gris aux tempes. Ses yeux marron, assortis à son costume impeccable, provocateurs, un brin intimidants, me frappèrent. Voyons ce que ces charmantes gens tirent de leur confrontation.

 — Qu'ai-je donc encore fait pour te courroucer ? s’enquit-il, ne daignant pas lui faire face.

 — T'as nécrosé les plantes des élèves !

 Sous l’influence de cette déclaration, il pivota. Il leva un sourcil et retroussa ses babines.

 — Et ? Je dors mal en ce moment. Est-ce un crime si grave de chercher le sommeil ?

 — Mais... Mais... En plus t'assumes ! pesta-t-elle, frappant de son pied engourdi le plancher branlant.

 — Tu ne vas pas pleurer pour de quelconques travaux pratiques sans intérêt, la nargua-t-il, en frottant son index le long de ses cils.

 — Va crever ! rugit-elle en quittant les lieux, le visage déformé par la rage.

 Orion, resté seul, secoua doucement la tête. Il murmura :

 — Encore un tour de Zara ou de Thaddeus. Ils ne vont pas être sourds ce soir.

 Avant qu'il ne regagnât son office, un inconnu accourut à l’intérieur de ce dôme. Son apparence se distinguait par une neutralité si criarde qu'elle en devenait ostensiblement remarquable. Tout chez lui exhalait l’insipide, de ses boucles rêches à la teinte indéfinie, jusqu’à sa peau elle-même, et ses orbites, presque cendrées. Il se morfondait au milieu de sa grisaille ordinaire.

 — J'ai entendu crier. Tout va bien ? sonda cet olibrius.

 Orion, les paupières closes, serra la mâchoire. Un soupir sonore franchit ses lèvres. Puis, contre toute attente, il offrit à son interlocuteur un sourire bienveillant. Le droit lui va divinement. Un menteur né.

 — Une minuscule altercation avec notre chère Talia. Rien de transcendant.

 — Oh ! Me voilà rassuré.

 — Puis-je ? interrogea le professeur de droit en désignant la porte de son cabinet d’un geste désinvolte.

 — Oui, oui. Pardonne-moi, mon ami.

 Le bel homme plissa son nez, claqua la langue au contact de son palais et se retira en affichant une nonchalance feinte. Je scrutai l'individu terne qui demeurait planté là, à l'image d'un macaque, les bras ballants. Subrepticement, ses yeux s’illuminèrent. Ils se teintèrent d’un blanc laiteux, comme s'ils avaient été plongés au plus profond d’un liquide opalescent.

 — Qui êtes-vous, spectre ? somma l’étranger.

 — Rafael Béryl.

 — Le père de la petite Iris. Je vois, je vois.

 — La moindre des politesses serait de vous présenter, lui rappelai-je en empoignant le portrait de mon épouse, mon talisman.

 — Dorian Valombre, professeur de potions, de chimie et d'alchimie.

 — Comment avez-vous su que je me trouvais là ? le pressai-je, en grinçant des dents.

 — L'instinct, l'habitude. Nommez cela de la manière que vous le souhaitez. Il semblerait qu’un écho du désespoir sévisse au sein de l'académie. Ne serait-ce pas vous, par hasard ?

 — Plaît-il ? Oseriez-vous m'insulter de la sorte ? N'ai-je pas l'air d'un gentilhomme respectable ?

 — Pardonnez-moi. En effet, vous n'êtes certainement pas réduit à cela. Accepteriez-vous de nous aider à chasser ce fantôme problématique ?

 — Un de vos disciples devrait pouvoir s'en charger. Ne leur enseignez-vous plus les bases ?

 Ses iris réapparurent lentement, sous l’apparence d’un éclat y retrouvant son espace après une absence prolongée.

 — Je ne peux plus vous voir, cependant, vous restez en capacité de m'entendre. Vous avez raison, un étudiant est en mesure de s'occuper de ce genre d'esprit dès la première année. En revanche, si vous tombez sur lui, raisonnez-le ou chassez-le. Cela évitera des souffrances inutiles, ajouta-t-il avant de sortir de l’hémicycle que les aspirants magiciens se presseraient bientôt de remplir. Je suis maintenant tenu de me méfier. Il n'est pas net.

 J'émergeai de ma torpeur, ayant patiemment attendu l'arrivée d'Iris et de ses camarades. Je me glissai à l'ombre des premiers sièges où trônaient ma fille et Alex Umbra.

 — J'aime pas les cours du mercredi, se plaignit la jeune rousse.

 — Ça va, il y a pire.

 — Tu dis ça parce que t'as toujours les meilleures notes à ses cours, répliqua Alex, ses sourcils se fronçant légèrement.

 Me voilà léger comme une plume ! Sa remarque fut bienfaitrice, éblouissante, salvatrice. Mon trésor, je suis fier de toi.

 — Je te filerai mes fiches. Mais tu dois m’aider à piger les potions.

 — En plus d'être belle, t'es un amour !

 Je profitai de leur complicité dans le but de me manifester auprès de ma fille. Elle sursauta. Instinctivement, elle appliqua sa paume contre sa tempe gauche.

 — Qu'est-ce que t'as ? demanda son amie, intriguée par son mouvement soudain.

 — J'ai cru avoir oublié la broche pour mes cheveux, mentit maladroitement mon enfant.

 — Non, t'inquiète, tu l’as.

 — Il y a un esprit dangereux au cœur de l'académie, fais attention de ne pas l'attirer, la prévins-je.

 Bien qu'elle en pâlît, elle opina du chef imperceptiblement.

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