VI – Une larme pour Béatrix
La discrétion prédominait au cœur de l'amphithéâtre, où Orion ébauchait un cercle thaumaturgique mineur aérien à la surface du tableau sombre. Des contours, émergea une pâle lueur safranée, qui faiblit jusqu'à disparition. Le professeur inspira pleinement, ferma les paupières et leva délicatement sa main droite. Soudain, un zéphyr sillonna les lieux et anima les parchemins entassés sur la chaire. Ceux-ci s'élevèrent, s'envolèrent et se déposèrent méticuleusement au sommet de chaque pupitre.
Subséquemment à sa démonstration surprenante, bien que commune, il s'agenouilla un instant. Il cherchait à normaliser sa respiration. Les étudiants, dont la nonchalance n'avait d'égal que la droiture de leur enseignant, en profitaient pour lire le contenu du rouleau.
Article 147 : Invocation de Spectres Dévastateurs
1. Interdiction générale
Il est strictement interdit, pour toute personne dotée de capacités thaumaturgiques, d'invoquer ou de tenter d'invoquer un marionnettiste de l'âme ou un dévoreur de l'esprit. Ces entités spectrales, classifiées comme les plus dangereuses parmi les spectres connus, présentent un risque extrême pour l'intégrité mentale, émotionnelle et physique des individus, ainsi que pour la sécurité publique.
2. Considérations éthiques
Les marionnettistes de l'âme, capables de manipuler les âmes et de contrôler les corps de leurs victimes, ainsi que les dévoreurs de l'esprit, qui provoquent des dégâts cérébraux irréversibles, sont réputés pour leur cruauté et leur pouvoir destructeur. Convoquer de telles entités va à l'encontre des principes fondamentaux de la magie éthique, qui exige que tout usage de pouvoirs surnaturels soit orienté vers le bien-être et la protection de la vie.
3. Pénalités pour infraction volontaire
Toute invocation volontaire d'un marionnettiste de l'âme ou d'un dévoreur de l'esprit constitue un acte criminel de haute gravité. Les forces de l'ordre sont autorisées à procéder à l'arrestation immédiate de l'individu responsable. En cas de culpabilité, l'accusé sera passible d'une amende de 150.000 bors, correspondant à dix années du salaire minimum, ainsi que d'une peine de cinq ans d'emprisonnement.
4. Cas aggravés
Si l'invocation entraîne des dommages corporels ou mentaux graves à autrui, ou s'il est prouvé que l'acte a été commis dans le but de causer délibérément du tort, la peine peut être augmentée jusqu'à dix ans d'emprisonnement, assortie d'une amende pouvant atteindre 300.000 bors.
5. Défense et recours
Toute personne accusée en vertu de cet article a droit à une défense équitable devant un tribunal. Les circonstances atténuantes, telles qu'une invocation involontaire ou sous la contrainte, pourront être prises en compte pour la réduction de la peine.
Pendant le déchiffrage laxiste par la meute de babouins d'une des lois les plus cruciales de notre société, j'abordai Iris en vue de lui susurrer :
— Regarde, ma douce, l'ampleur de ce que tu aurais pu libérer ; c’est pour cela que je te conjure de rester vigilante.
Sa tête se pencha en avant, ses yeux s'humidifièrent et sa lèvre inférieure s'avança. Je ne me résignai pas à cette tristesse. Cette petite moue, empreinte de regrets, me transperça la poitrine. Si seulement j'étais apte à fusionner avec son cœur afin de la rassurer ! La haine me hantait déjà à l’égard des paroles qui seraient prononcées. Orion...
— Mademoiselle Béryl, aujourd'hui, nous aborderons un sujet particulièrement sensible, avec un exemple tragique lié à votre famille. Si vous préférez ne pas assister à cette leçon, alors, je vous en dispense.
Les macaques jetèrent leur dévolu sur mon trésor, certains brillaient de moquerie, d'autres se paraient de surprise, cependant, la plupart s'éclairaient d'une curiosité malsaine.
— Ça va aller, professeur Sylve, affirma-t-elle, transformant sa précédente grimace en un sourire franc qui me réchauffa, ne serait-ce qu'une seconde.
— Sachez que, si vous trouvez le cours trop difficile émotionnellement, vous êtes libre de sortir. C'est valable pour chacun d'entre vous, ajouta-t-il en accompagnant ses mots d’un signe apaisant en direction des visages ahuris.
Par conséquent, le grognement simiesque s'intensifia autour de l’amphithéâtre, comparable à des vagues se fracassant contre les rochers. Zara et Thaddeus, en revanche, restaient silencieux, ébahis, suspendus aux anecdotes que leur père cracheraient.
Les flammes de l'enfer auraient été dans l'incapacité d'étancher ma soif de souffrance. J'aurais livré mon âme dans le but d'assister à la déchéance de ces engeances : les Durandal. Pitié, faites qu'il la ferme !
— Un peu de silence, je vous prie ! Vous n'êtes pas sans savoir que les faits-divers font parler d'eux très longtemps. Vous êtes donc au courant que l'époux de votre professeure de sortilèges fut accusé d’assassinat. Avant son procès, il choisit de se suicider, ne supportant pas son geste, commença-t-il, scrutant attentivement les réactions de ma fille. Vous vous demandez certainement où je veux en venir ?
Miséricorde ! Ces singes se gaussent de mon désespoir ! Bien qu'impliqués, Iris et, dans une moindre mesure, Kai, se satisfaisaient de cette histoire.
— Mort, George Durandal fut innocenté pour le meurtre de Béatrix Béryl. Il avait été possédé par un marionnettiste de l'âme, invoqué par son frère lui-même trente ans auparavant, qui le poussa à user d’un sort de feu envers sa victime. Voyez comment ces esprits sont vicieux, attendant des décennies afin d’accomplir leurs méfaits. La jalousie est dangereuse, parfois malfaisante.
Aussitôt, au règne du mutisme succéda le vacarme, où bavardages, cris et autres grommellements devinrent incessants. Tel un linceul, cette cacophonie m'étouffait. Mes espoirs suffoquaient. Mon âme se retrouvait insipide, brisée, nue, exposée. À mon plus grand désarroi, je découvrais qu'un fantôme pouvait pleurer. Iris descella immédiatement ma douleur et quitta discrètement l’hémicycle. Au summum de la transparence, je la rejoignis. Sous un érable aux feuilles mortes, elle me souriait.
— Ça va, papa ?
— Ne t'inquiète pas, il ne peut plus rien m'arriver dans mon état.
— Tu sais, t'as le droit d'être triste ou en colère. Moi, je n'ai pas connu maman, j'étais trop petite. Mais, si ça te fait du bien, on peut en parler.
Nous discutâmes jusqu’à l'arrivée impromptue de trois silhouettes au loin : Alex, Kai et, à ma grande stupéfaction, Zara.
— Tout va bien, Iris ? demanda Kai, en se frottant les cheveux.
— Moi oui, mais, hésita-t-elle, mon... père, non.
Les trois jeunes gens se figèrent, leurs sourcils s’arquant de concert.
— Ne le dites à personne, mais j'ai réussi à invoquer son esprit. Malheureusement, il était présent lors de ce cours pas franchement joyeux.
— Je savais Serena puissante en sortilège, mais t'es encore meilleure qu'elle ! s'exclama Zara, ses yeux s'écarquillant.
Ma fille rougissait, tandis que je m'interrogeais, un brin égayé, sur la manière dont je devrais gérer ces quatre adolescents.
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