VII – Entre écho et déboire
Quelle déception ! Comment ai-je pu m’affaiblir à ce point ? méditai-je, alors que ma fille et ses amis dévoraient goulûment leur repas. Mes larmes s’étaient taries, mon désespoir également. En revanche, ma haine demeurait entière, authentique. Pourtant, mon plus grand désarroi était l’ennui. Une misère monotone digne d’un philosophe sans idée. Par conséquent, je vagabondais, contemplant l’oasis de quiétude de l’académie : le parc. À proximité de l’érable, sous lequel mon inutilité se singularisait, un kapokier géant dominait l’espace. Il fournissait de l’ombre aux asters, aux chrysanthèmes et aux anémones qui se mariaient en un jardin d’automne au summum du raffinement. Mon dépit, qui entamait sa lente disparition, allait soudain s’enflammer. Orion Sylve, si élégant, écrasait les fleurs en vue de rejoindre à la hâte ses deux enfants qui, non loin, étaient allongés.
— Vous êtes là ! Imaginez-vous la honte que j’ai eue à cause de vous ? hurla-t-il, ses postillons volant en direction de la petite Zara.
— Mais..., tenta-t-elle.
— Il n’y a pas de mais ! Nécroser les plantes de notre enclos est une chose. Celles de la serre de Sombrelune en est une autre !
— Ça va, c’était juste un TP, railla Thaddeus.
— Juste un TP ! Croyez-moi, ce soir, vous n’allez pas être sourds ! Bande de…
Il s’interrompit. En effet, le sinistre Dorian Valombre se tenait proche. Son dessein était certainement d’accoster ce paternel s’égosillant.
— Filez !
Les jumeaux se dévisagèrent. Ils échangèrent une grimace. Des fossettes se dessinèrent en miroir aux creux de leurs joues.
— Vous allez filer, oui ou non ?
Ils ne se firent pas prier et déguerpirent sur le chemin de l’entrée septentrionale. Ces deux-là ne se rendent pas à la bibliothèque. Fascinant !
— Orion, mon ami, je voulais m’excuser, car j’ai entendu la dispute.
— Ce n’est rien.
— Je crois comprendre que tu cherches une punition pour tes garnements. Est-ce que je me trompe ?
— Qu’as-tu à proposer ? se réjouit Orion, un rictus ourlant ses lèvres.
— Je cherche à chasser un esprit mineur, rien de dangereux.
— Tu as carte blanche. Je suis pressé, ajouta-t-il, ses deux pouces visant au-dessus de son épaule gauche.
— Parfait ! jubila Dorian, tandis que son alter ego lui avait déjà tourné le dos.
— Oh ! J’allais oublier. Merci, précisa l’homme coquet en virevoltant dare-dare.
Consécutivement à cet interlude désopilant, je décidai de me dissimuler à l’intérieur du plafond du laboratoire, où la grisaille ambulante devait dispenser une leçon à mon trésor. Je mis à profit l’intervalle entre la conclusion de la pause déjeuner et les premiers mots de Valombre afin de concentrer mon essence magique. Si elle concocte une potion, autant que ce soit une franche réussite !
L’univers se destinait à me contrarier. Ils étudièrent la théorie. Me voilà au sommet d’une puissance telle, que je serais en mesure de tout détruire. Et eux ? Ils vont suivre une dictée ! Que de désillusions.
— Nous allons étudier le fonctionnement de deux solutions : le nuage d’esprit et la fiole de pousse. Qui peut m’indiquer ce que produisent ces potions ? interrogea l’être dégingandé qui se prétendait professeur.
— Le nuage d’esprit rend possible de révéler un esprit mineur pendant un quart d’heure. La fiole de pousse permet d’accélérer la croissance des végétaux. La plante, avec un flacon, va grandir d’environ dix jours en une nuit, s’empressa de répondre Alex, sans prendre la peine de lever la main.
— Ça ne m’étonne pas de vous, mademoiselle Umbra. Faites attention, en première année, j’ai une étudiante qui pourrait vous surpasser, dit-il, affichant un sourire à faire pâlir un revenant.
— Oh ! T’aurais pu me souffler la réponse, râla ma fille en fronçant les sourcils.
— Je risque pas, t’es trop mignonne quand tu tires cette tête !
— T’es pas sympa, tu sais que j’adore ce prof !
— Tu préférerais pas t’intéresser à quelqu’un de ton âge, ironisa Alex.
Je décelai un tremblement irrépressible qui hantait les mains de la jeune rousse. Elle est en colère contre mon héritière. Remarquable ! Pitoyable ! Si j’avais eu conscience que la mort pouvait être si divertissante…
Je me délectai de ma toute-puissance au prix d’une chasse aux fantômes perdus au sein de leur néant personnel, et ce, jusqu’à la fin de cet ersatz de cours. Quelle ne fut pas ma déconvenue lorsque je compris que ma progéniture souhaitait passer du temps en compagnie du pantin de bois. Le convenable Orion m’avait sauvé, bien qu’il fût à l’origine de mon angoisse primaire en ce jour.
— Mademoiselle Béryl, je sais que vous aimez partager le bout de gras avec moi, cependant, je dois parler à Zara et à Thaddeus Sylve. Veuillez rentrer chez vous.
Malgré le manque cruel de clarté d’Iris, je ne pouvais me résigner à la laisser seule. Je la ralliai dans le but de soulager son désenchantement.
— Serais-tu déçue, ma chérie ? m’enquis-je.
— Nan ! Ça va ! mentit-elle, exhibant un sourire plus faux, du moins, que les compétences de ce Valombre. Mais pourrais-tu espionner ce qu’ils racontent ?
Nous partageâmes un véritable instant de complicité et d’allégresse. Sans hésitation aucune, j’acquiesçai et traversai le pan de mur. Mon énergie accumulée détecta le pouvoir de lignée du taciturne. Ne voulant pas être démasqué, je m’arrêtai au centre de la dernière couche de briques. Un œil fut tout ce qui dépassa de l’enceinte.
— Votre père m’a confié la tâche de vous punir sévèrement, lança Dorian, le regard translucide.
— Mais j’y suis pour rien, moi ! s’écria Zara. C’est de ta faute Thad.
— Mademoiselle Sylve, voyez cela comme un défi qui vous permettra de briller. Voyez-vous, je vous demande de poursuivre et d’éconduire un écho du désespoir qui déambule et hante notre académie.
— Mais, c’est hors de notre portée, protesta le jeune homme.
— Parle pour toi ! J’en suis, se réjouit-elle, en frottant ses paumes l’une au contact de l’autre.
— Parfait ! Je vous conseille de rassembler des camarades. Bien que ce soit aisé pour des étudiants de notre noble établissement, un esprit, même mineur, reste dangereux.
Je n’avais nullement besoin d’en connaître davantage. Je reculai de manière à réunir mon âme éthérée et ma puce. Je lui fis part de la conversation. Ses yeux scintillaient avec une intensité outrepassant celle qu’ils avaient manifestée au moment où je lui offris la broche en forme de fleur bleue, héritage précieux de sa mère. Ce même artefact, qui servait à l’amour de ma vie de catalyseur. Ce joyau que jamais ma tendre Iris ne quitterait. Sa chevelure d’or ravivait, aujourd’hui encore, la lueur de sa broche et de mon cœur.
— Papa, je vais aider Zara à traquer ce spectre. Tu pourrais le trouver ? S’il te plaît.
Comment refuser ? Cette bouille enfantine aurait pu me contraindre à accepter quoi que ce fût.
Je fermai les paupières, opinai du chef et m’envolai. Je parcourrais au peigne fin cette école vieillissante. Tant d’infortune, tant d’aubaine, ce fut une journée des plus prospères !
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