IX – Le jour pour agir
Le chant du coq résonna au sein de l'air frais du matin. À la faveur de cet appel strident, mes yeux visèrent l'horizon. Les premières lueurs du soleil émergeaient timidement, chassant avec une douceur les ressentiments de la veille. Je m’abandonnai à la brise qui dansait à l’aide des feuilles dorées. Je m’animai en quête de la cambuse d’Iris, espérant la trouver éveillée, prête à discuter des événements à venir. Elle dormait encore, son visage paisible enveloppé au cœur de ses draps. Ses cils, délicatement posés au-dessus de ses pommettes, tremblaient à peine. Navigue-t-elle entre nos deux mondes ? Je restai là un instant, à l’observer, mon ingéniosité déjà emportée au fond d’un tourbillon de réflexions.
Comment détruire George sans qu’elle ne me le demande ? Non ! Ce représenterait une félonie, un acte précipité, l’inanité d’un apprentissage.
Je caressai mon bouc, grimaçai et plantai mes ongles dans mon éther.
Cela nourrirait des doutes en elle. Ressentirait-elle la nécessité de s’en débarrasser ?
Cependant, si je trahis qu’il s’agit du mari de cette mégère, je risque de réveiller en elle des remords qu’elle ne devrait pas assumer. Ce fardeau, je refuse qu’elle ait à le vivre. Enfin... Dois-je nécessairement le lui épargner ?
Il serait assurément plus sage de les laisser, elle et ses camarades, le terrasser. Ce n’est qu’un vulgaire écho, moins qu’une ombre. Oui ! Voilà ! Elle a besoin de se confronter à ces écueils, de les affronter exempte de mon ingérence. C’est ainsi qu’elle grandira, qu’elle se fortifiera.
Je resterais en couverture, prêt à intervenir si ce vieux chameau se révélait le fleuron de son art. Comment convaincre Iris ? Comment la guider vers cette décision ?
Je chassai de mes pensées ma nouvelle maxime alors qu’elle ouvrait les paupières. Elle sursauta.
— Ah ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu me regardes en train de dormir ? T'es pas bien.
Levée du pied gauche…
— Je te prie de m’excuser, ma chérie, je ne voulais nullement t'effrayer. J'ai dépassé le seuil de ta chambre cinq minutes avant ton éveil, me défendis-je en levant les mains.
— Oh ! Pardon… Euh… Si j'ai bien compris mes cours, vu que je suis l'invocatrice, tu n'as pas le droit de me mentir. C'est ça ? s'enquit-elle, une ride se creusant le long de son front.
— C'est bien cela. Toujours est-il que les esprits peuvent se montrer dangereux. Ne pas mentir ne signifie aucunement tout dévoiler. L'omission, d’après notre lien magique, n'est en rien considérée comme un mensonge. Ne l’oublie jamais.
Je remarquai sa grimace accompagnant sa réflexion, subtile, certes, mais aisément percevable. Elle secoua ensuite la tête et m'offrit un flamboyant sourire.
— Va-t-on s’opposer à l'écho aujourd'hui ?
— Toi, certainement. Zara, également. Thaddeus, cela me semble… incertain.
J'espérais que taire ma contribution la pousserait à m’inviter. Elle s’en abstint. Elle continua à bavasser pendant qu’elle se coiffait. Je me réfugiai à l’intérieur du mur lorsqu’elle se vêtit de son uniforme. Et je patientai, bouillonnant non moins qu’un fauve en cage, tandis qu’elle prenait son repas en compagnie du démon ridé qui l’hébergeait. Libre de mes mouvements, dépourvu de but, errer me semblait pire que le néant.
Une fois accoutumé à l'idée de surseoir à mes attentes, je la guettai. Elle accourut au seuil de sa turne. Elle s'empara, à la hâte, de son sac en cuir marron, une réplique exacte de celui qui habillait sa mère jadis. Elle s'échappa au pas de course. À peine autorisai-je le spleen à s’accaparer mon âme et eut-elle franchi la porte qu'elle fit demi-tour.
— Tu viens pas ?
— Désires-tu mon soutien ?
— Je pense qu'on devrait y arriver, mais je serais rassurée de te savoir à mes côtés.
Elle essayait de feindre l'assurance, cependant, ses yeux signalaient un scepticisme indigent. J’y reconnaissais cette exigence tacite de sentir une présence protectrice. Je mis tout à exécution de manière à masquer l'allégresse qui s’accroissait en moi. Néanmoins, ce fut comblé, volant auprès des oiseaux, que je la rejoignis pour la leçon de potion de Valombre, le taciturne.
Je le lui avais promis. Je n'interférai pas lors de leur préparation du nuage d'esprit, bien que mon effarement grandît à mesure que le mélange tournait, menaçant de déboucher sur un résultat quelque peu infructueux. Afin de m'occuper les synapses, je préférais m'immiscer au milieu de la conversation agitant les garçons du groupe de ma fille et de Zara : Thaddeus et Kai.
— Hé ! Kai ! murmura le blondinet, sa vision ne vacillant pas.
— Hum ?
— Ça te dit pas d'utiliser ton pouvoir de lignée ?
— Mes parents me saoulent en me cornant qu'il est risqué.
— Fais pas ta chochotte ! se moqua Thad en clignant de l’œil gauche.
— Une autre fois... répliqua le brun, mi-ferme mi-hésitant.
— T'es pas cool !
— Fermez-la et aidez-nous ! ordonna Zara, son scalpel vissé sur eux.
Elle pourrait les foudroyer, tant les éclairs jaillissant de ses mirettes sont manifestes. Ils s’avéreraient indubitablement plus performants que son arme de pacotille.
Lorsque la sonnerie retentit, je me doutais que le pantin vêtu de gris allait exercer son pouvoir lié à son ascendance. La perspective d'être à nouveau démasqué ne me plaisait guère. Dès lors, je m'échappai. Je me faufilai à travers le tableau noir. Il m’offrait un havre temporaire, suffisant dans l’intention d’écouter discrètement.
— Zara et Thaddeus Sylve, venez me voir, lança Valombre de sa voix glaciale.
Le tintement d’un liquide au contact d'un verre accompagna ses paroles.
— Oui ? demanda-t-elle.
— Votre solution est aux normes, vous pouvez la garder pour l'exploiter contre l'écho du désespoir.
Ce massacre ? Convenable ! Quel pitoyable enseignant.
— Merci, professeur, dirent-ils de concert, préalablement à leur évasion de l'antre de ce mort-vivant.
Les sourcils encore arqués, je les observai se disperser. Je me dirigeai, à posteriori, à proximité de mon ange qui attendait patiemment son amie en entortillant une mèche de cheveux.
— Zara, c'est Cassie qui est hantée !
— La sœur de l'autre triple buse de président ? répondit-elle, un brin moqueuse.
Mon enfant acquiesça d'un simple signe du menton. Je leur emboîtai le pas jusqu'au réfectoire. Elles repérèrent aussitôt la jeune femme tourmentée, assise seule, ses épaules voûtées sous le poids invisible du fantôme de George.
— Cassandra ? tenta Iris. Je sais que ça ne va pas.
Le regard de la cadette Néroli se leva d’un iota. Un sourire forcé se dessina au creux de ses commissures.
— On t'a préparé de quoi te remonter le moral. Joins-toi à nous, improvisa Zara, son ton adouci d'une fausse légèreté.
— Ça va, ne vous inquiétez pas…
— Entre copines, on s'entraide ! Alors, suis-nous ! ordonna-t-elle en pinçant les lèvres.
N’attendant pas de réponse, elle attrapa fermement le poignet de Cassandra et la tira. Non sans résistance, elle la mena en direction de l'aile septentrionale, inéluctablement déserte à cette heure-ci.
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