XV – Des truites et une épine

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 Vendredi, aussi inutile qu’exaspérant ; voilà ma mort qui se confina un nycthémère complet. Des peccadilles, n’atteignant pas la cheville d’un nabot, tapissèrent cette journée. Qu’avais-je appris ? Qu’iris était invitée, en remerciement de l’aide apportée à la cadette des Néroli, au chalet de leur famille près du lac ? Broutilles ! Qu’elle m’avait, à l’instar d’un châtelain un soir de bal, envoyé valser tandis que je cherchais à l’aider à approfondir ses leçons ? Trahison ! Malgré cela, ne m’eut-elle pas convié à l’accompagner ? Évidemment ! Une fin de semaine à surveiller des simplets inaptes à fermer leur braguette ou à être un tantinet courtois. Mon exclusive envie : me pendre. Or, l’univers m’avait ôté cet ultime plaisir.

Rafael, Rafael, Rafael ! Le plus illustre thaumaturge serait-il sur le point de vaciller ? Serait-il devenu une engeance, un vil dévoreur de l’esprit ? Non ! Par conséquent, maugréer est contre productif. Va, protège ta fille et souris ! méditais-je longuement, pendant qu’Iris remplissait une valise, anciennement mienne.

 — Ma chérie, je te conseille de prendre un gilet. Les nuits, à proximité d’un bassin, s’avèrent généralement fraîches.

 — Papa ! Je suis plus une gamine…

Oh, si ! Tu l’es…

 — …je suis capable de faire mes bagages toute seule !

 Ma gaîté revint aussitôt. Elle croisait les bras, son pied frappant régulièrement le sol. Elle serrait si fort la mâchoire que l’émail de ses dents illuminait la pièce. Un moulin aurait pu moudre du grain à cause de son souffle. Qu’elle était belle, mon trésor. Elle avait rehaussé ses paupières d’une touche de khôl, appliqué une potion à l’effet de rosir ses pommettes, revêtu une robe à fleurs de la même couleur que ses iris : un doppelgänger de sa mère à un âge identique.

 — Je te préviens, si tu me fais honte ce week-end, je te renvoie au fond du néant ! me menaça-t-elle, brandissant une trousse qui contenait indubitablement son matériel de coiffure et de maquillage.

 — Si mon existence te gêne tant, je m’en vais l’y rejoindre de ce pas, osai-je, dans le but de l’effrayer.

 Je n’aurais certainement pas dû. Elle affichait dès lors une ressemblance manifeste avec un panda. Après des excuses mutuelles et un énième coup de pinceau afin de rattraper son aspect clownesque, je lui demandai :

 — Comment te rends-tu sur place ?

 — Bah ! À pattes !

 Elle me morigénait à l’aide d’une grimace. Ce comportement signifiait que la réponse aurait été évidente. Or, la téléportation aurait eu l’air somme toute pratique.

 — Pourquoi ne pas user de magie ? m’enquis-je, curieux face à ce manque de raisonnement.

 — De un, la téléportation est interdite pour les étudiants. De deux, je ne sais pas l’utiliser. De trois, rester trois heures paralysée, très peu pour moi ! énuméra-t-elle, chaque mot plus rapide que le précédent.

 — Tu ne me tiendras pas rigueur si je vous y attends ?

 — Pas le moins du monde ! affirma-t-elle, clairement heureuse de ma proposition.

 Ne désirant aucunement la gêner davantage, je concentrai l’éther ceignant chacune des particules qui constituaient mon corps spectral. À l’instant précis où j’initiai le sort, elle parla. Je fus incapable d’en entendre quoi que ce fût. L’image de ma puce disparut et l’eau se matérialisa… en surplomb de mon crâne…

 Ce moment d'inattention me condamna à soixante-dix minutes de méditation subaquatique, parmi algues et poissons. Comment promptement se ridiculiser ?

 Cent soixante-douze truites passées, je fus susceptible de me mouvoir. Je fuis à brûle-pourpoint cet enfer aqueux et me réfugiai sur la rive. Surpris par sa présence, je traversai une méconnaissable Cassandra. Sa peau foncée, ses yeux bleus et son sourire irradiaient l’extase. Elle grillait déjà grâce à l’astre diurne. Son frère, Finnian, s’employait d’entreprendre l’unique compétence qu’il maîtrisait. Pelle en main, il creusait. En adolescents prévisibles, ils feraient un feu de camp. Puissent-ils ne pas incendier la forêt.

 Puisqu’il ne se tramait nul événement digne de MON intérêt, je pénétrai à l’intérieur de la demeure. L’entrée, quoique ornée de boiseries taillées soigneusement, se soustrayait à la finesse. Leurs dorures cherchaient à imposer un luxe démodé. Un tapis bordeaux, d'une épaisseur grotesque, étouffait le plancher. Juste un pas supplémentaire et le salon s’étalait lourd d’un mobilier excessif. Les canapés de cuir brun tentaient en vain d'ajouter une once d’aise. Quant à la cheminée, sa pierre semblait dressée à la gloire de la banalité.

 La cuisine brillait d'un éclat, certes, honorable ; pourtant ses étagères se révélaient bondées de provisions superflues dans le cadre d’un séjour rustique. L’étage ne se montrait guère mieux loti. Un couloir étroit, bordé de battants de chênes, menait à des dortoirs qui promettaient, inéluctablement, un confort similaire : prétentieux et faux.

 Cependant, un détail éveilla mon attention : un passage discret, fuselé et légèrement incliné, aboutissait au grenier. Je l’empruntai, et l’atmosphère changea immédiatement : une bibliothèque, un véritable havre de savoir. Les rayonnages, méticuleusement construits, s’élevaient jusqu’à la mansarde. Chaque étagère dévoilait une série d’ouvrages surannés. Ah ! Ce lieu suintait le calme.

 En revanche, l’irritation se fraya un chemin sous la forme de mademoiselle je-sais-tout Serena Lumisel, assise en tailleur, un livre ouvert au-dessus de ses genoux.

Rien qu’une épine dans le pied.

 Que lisait-elle ? En vue de répondre à cette interrogation primordiale, je m’approchai et entamai le déchiffrage. Quel ne fut pas mon bonheur ; cette petite était-elle douée ? Le sortilège de destruction d’âme, coûts et danger, par Rafael Béryl ! Une des pierres angulaires de la branche thaumaturgique, que jadis, je fondai ! Ravi, je me décidai de chaperonner cette adolescente en attendant l’arrivée de mon enfant.

 Immanquablement, elle ne parut pas comprendre l’essence même de cette thèse. Las, Iris déballant ses affaires au sein de l’une des chambres, je la rejoignis.

 Lysander Faye, autant échevelée qu’à l’accoutumée, lui emboîtait le pas. Il y avait en outre Alex Umbra, la jeune rousse, ainsi que Zara Sylve. J’entendais également les voix de Thaddeus et de Kai qui, à la manière de bambins, braillaient parce qu’ils se baignaient. J’avais beau secouer la tête, l’écœurement restait ancré. La blonde mal coiffée sortit un flacon rutilant. Elle le remua et annonça au moyen de sa fierté de paon :

 — On va bien s’amuser !

 — Qu’est-ce que tu nous as ramené ? demanda la jumelle du babouin.

 — Un sérum de vé-ra-ci-té ! Il faut qu’on s’organise une partie d’action ou vérité dans le week-end, avec les garçons.

 Elles paraissaient emballées, à l’exception notable de la rouquine.

 — Vous… vous êtes sûres ?

 — Allez ! Fais pas ta rabat-joie ! cria ma fille, en poussant son triceps. Ça sera trooop stylé !

 Elle dégaina son arme habituelle, son sourire. Le combat était gagné.

Quelle vérité vais-je apprendre ?

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