Le portrait
Je regardai ma Zumaine dessiner, le regard curieux. Que fait-elle donc ?
J’avançais par bons successifs puis donnais de petits coups de langues sur les fusains.
– Croooooa Berk, mais c’est dégoûtant !
Je la regardai ahuri.
– Croooooooooa. Tu n’as rien de croquant dans le coin ?
Elle était concentrée sur son œuvre. Je reconnus le portrait de notre ange à côté de Prune et du dormeur du temps où il ne dormait pas autant. J’étais sur une table au milieu d’eux. J’admirai un temps le tableau puis, affamé, je me résolus à chercher moi-même ma pitance.
Je n’eus pas loin à aller, une mouche vola sous mon nez. Et zou, dans l’estomac !
Je fis le tour de la maisonnée et la débarrassai des bestioles indésirables. Enfin repus, je retournai près de l'artiste et me mis à mon activité favorite : après la chasse au repas, l’étude des zumains.
Il s'en passait des choses dans cette maison ! Pour un jeune crapaud curieux de tout, j'étais bien tombé !
C'est vrai quoi ! J'aurais pu me retrouver chez une sorcière et atterrir dans un chaudron, ou au mieux lui donner ma bave.
Mouai... Vivre chez une sorcière, ça ne me tente pas : J’en ai vu dans le coin et vraiment, vu la tête qu’elles ont, sans façon ! Je préfère de beaucoup mes zumains !
J’aurais pu être décuissé par des mangeurs de grenouilles qui m’auraient pris pour l’une d’elles… Non mais franchement : Ai-je une tête de grenouille ?
Donc, comme je vous disais, j’aurais pu tomber chez toute sorte de zumains bizarres et louches et même de faux zumains. Croyez-moi, si je vous racontais tout ce que j’ai vu dans ma jeune vie de crapaud, vous auriez les cheveux dressés sur la tête : La nuit, toute sorte de créatures rodent à l’affût de zumain égaré pour… Mais j’arrête là, car je crains de vous effrayer. Revenons-en à ma demeure et à mes zumains.
Donc, j’étais là à penser à la chance que j’avais d’êtres dans ce doux logis, quand j’entendis une douce mélodie. Je fermais les yeux pour en apprécier chaque note. Je reconnaissais l’instrument, car mon zumain, du temps où il ne passait pas ses journées à dormir et à se faire dorloter, me jouait des airs qui me faisaient voyager.
Prune jouait bien, il faut l’admettre et même si elle jouait mal, de toute façon, j’adorais la voir ainsi : elle souriait et semblait voyager dans sa tête. J’eus envie de la rejoindre, car j’étais sûr qu’elle se promenait dans de vers pâturages où des criquets dansaient au vent. Des criquets rien que pour moi !
– Crooooooooaaa croaaa croaa, tu sais, tu devrais goûter c’est drôlement bon, lui dis-je.
Je ne sais pas pourquoi j’avais la certitude qu’un jour, vous finirez par en manger. Ben quoi, intelligent comme vous êtes, vous allez finir par vous rendre compte à quel point ça nourrit son zumain. Tiens, la musique c’est arrêtée !
– Non mais Aldo, retire tes pâtes de là ! Rho ! Il y a des traces partout !
J’entendis mon nom et je fis un bond de joie. J’étais fier de l’avoir aidée dans son œuvre.
– Croooooooaaa croooa ?, ha, tu trouves aussi qu’il est bien plus beau comme ça ! J’ai voulu moi aussi y mettre ma patte.
– Comment vais-je réparer ça moi maintenant ?
– Croaaaaa craaa. Je t’en prie, ce fut un plaisir, lui répondis-je.
Bon, je trouvai qu’elle criait un peu fort et semblait plutôt me chasser avec de grands gestes, mais j’étais fier car Il faut dire que je n’y avais pas été de patte morte : emporté par la musique, j’y avais mis toute ma fougue, tout mon amour. Aussi, je préférai croire que ces gestes étaient des manifestations de son enthousiasme.
–Ah non ! Oust, j'ai dit ! Tu as causé assez de dégâts !
– Croooaaaaaaa croooooaaaa, oui oui, je sais, j’ai du talent pour un crapaud. On m’a déjà dit que j'ai la patte artistique.
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