Le croque-volaille
Dehors, j’entendis un drôle de tintamarre. Les poules caquetaient « Au secours ! » et le coq fut interrompu dans son « Cocorico ! » matinal.
Que se passait-il dehors ? Je bondis hors de mon bocal jusqu’à la fenêtre, mais ne vis rien de spécial, alors je humai l’air ambiant à la recherche de mon petit déjeuner.
La porte s’ouvrit et le crapaud-cide entra. Je vis tout de suite à son air qu’il avait dû s’adonner à quelques actes répréhensibles. Je voulus en informer ma zumaine, mais elle dormait et je sentais qu’elle avait besoin de repos. Je repensais à ma promesse et me dit qu’il était tant de la mettre à exécution. Je décidai de ne pas quitter Crapovore du regard le temps que Prune se réveille.
Je vis Crapovore prendre mon zumain malade, le mettre dans une grande bassine et la remplir d’eau chaude.
« Enfin une bonne action ! » me dis-je en plongeant dans le bain malgré le regard noir du zumain louche.
– Crooooooaaa !, lui fis-je, remarquer. Ce qui veut dire « Je t’ai à l’œil ! ».
Sans le quitter du regard, je fis ma toilette tout seul, car il était hors de question que cet olibrius me touche ne serait-ce qu’une seule de mes cuisses.
Je barbotais allègrement, quand Prune poussa un soupir et se réveilla. Elle parla au zumain crapaud-cide de sa voix douce et vint me sortir du bain avec délicatesse en m’offrant son plus beau sourire. Oui bon d'accord, son plus beau sourire, elle le réserve à son mâle au bois dormant.
Elle me déposa sur le lit et m’emmitoufla dans une de vos peaux de rechange. Il y faisait chaud.
– Croaaaaa , Tiens une odeur connue.
Mon cerveau me joue des tours ou quoi ? L’odeur de Prune se trouvait en deux endroits différents. Mes yeux allaient de ma zumaine à la peau que vous appelez « vêtement ».
Je m’y vautrais avec plaisir, les narines plongées dans le vêtement, à l’endroit le plus odorant, j’étais au paradis.
Tout à coup, sa voix douce se fit plus alarmante :
– Mais ! Qu'est-ce que c'est que ces taches de sang sur le plancher ?
Elle se crispa, adieu, mon petit paradis ! Je levais la tête vers elle ahuri et la vis se précipiter dans le jardin en poussant des cris.
– Croaaaaa croiiaaaa ? Que se passe-t-il ?
Je ne sais pourquoi, je sentis que ça allait barder pour le zumain couvert de pustules, probablement la pénitence pour avoir trop mangé de crapauds. Il avait une tête de celui qui a fait une grosse bêtise et qui va passer un sale quart d’heure.
Il y avait de l’électricité dans l’air et j’attendis ma zumaine quelque peu inquiet. Le temps me parut fort long et je commençais à regretter de ne pas l’avoir suivie.
Je trépignai sur mes pattes et croassais aux nouvelles, mais apparemment Crapovore s’affairait et comptait m’ignorer.
– Crooaaaa croooooaa crowaaaaaaa ? Qu’as-tu encore fait pour la contrarier à ce point ?
– Croaaa ? où est-elle ?
Je voulus bondir pour la rejoindre, mais mes pattes étaient empêtrées dans le tissu et plus je gesticulais, plus je m’enfonçais.
– CROAAAaaaa croooooaaaaaaa croooooaawawaaaaaa ! Au secours, à l'aide qu'on me sorte de là !
Je croyais ma fin proche, persuadé que Crapovore jubilait de me voir prisonnier, quand les mains de ma sauveuse me saisirent et me déterrèrent de ma tombe de coton.
– Oh Aldo ! Tu ne t’es pas fait mal ?
– Croooooooaaaaaaaa !, lui dis-je, les yeux encore effrayés, mais reconnaissants.
J’étais tout de même un peu honteux, car j’étais censé la protéger pas l’inverse. Je voulus lui faire des bisous avec ma langue, mais sa joue était hors d’atteinte. C’est une mouche qui s’y colla. Elle fut la bienvenue après toutes ces émotions !
Certaine que j’étais sain et sauf, elle déchargea sa colère sur Crapovore. Elle hurlait à réveiller un mort, au point que je sentis mon dormeur bouger et gémir.
– Croah croah ! Prune, le dormeur se réveille !
Mais Prune ne m’entendait pas, trop occupée à chasser le croque-volaille.
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