Le rituel
Assis sur une pierre polie par l'eau, Eliott Delambres contemplait le lac du Maupuy.
Comme à son habitude, avant qu’il ne parte de nouveau, il s’était rendu dans cette ancienne carrière de pierres abandonnée depuis de nombreuses années.
Avec le temps, un trou d’eau s’était formé dans son creux. D’environ quinze mètres de profondeur les gens du coin l’avaient naturellement appelé le « lac du Maupuy ». Eliott aimait s’y rendre et assister au lever du jour en toute tranquillité.
De chez lui jusqu’au lac la route lui avait appartenue à lui seul. Il se plut d’ailleurs à jouer des virages au volant de la D.S restaurée de son grand-père. Sa parfaite connaissance des routes sinueuses, des chemins de terre escarpés et sa maîtrise habile des virages soudains lui conféraient un bon degré de conduite.
Conducteur scrupuleux et averti, il connaissait la région comme un enfant du pays la connaitrait. La journée, ces merveilleux paysages au charme bucolique et verdoyant inspiraient un sentiment de quiétude et de sérénité.
La nuit c’était toute autre chose.
Dans l’obscurité, la succession des champs et des bois laissait entrevoir une atmosphère nocturne plus inquiétante. Avec l’éclairage des phares qui jouait sur les formes indistinctes, l’imagination fertile de n'importe quel conducteur pouvait toucher à son paroxysme. Si on avait entendu parler de l’une des nombreuses apparitions de la dame blanche contées par les plus sincères ou les plus cyniques du coin, un sentiment d’effroi pouvait venir nous envahir à tout moment. Et comme à l'orée de chaque bois, personne n’était à l’abri d’une rencontre avec un animal sauvage ; sanglier, cerf, chevreuil et autres animaux des bois épris d’une envie de traverser la route, le sentiment de sécurité n’était jamais très élevé chez les conducteurs peureux. Ce n’était pas le cas d'Eliott Deslambres au vu du système de freinage qu’il n’utilisait pratiquement jamais; il aimait ça, conduire de nuit.
Eliott était incapable de se rappeler le nombre de fois qu’il avait emprunté ce chemin mais, la toute première, si. C’est lorsqu’il atteignit le bourg de Saint-Léger-Le-Guérétois que des images plus précises lui revinrent à l’esprit.
C’était pour l’école. Il devait être âgé d'une dizaine d'années. Son instituteur de l’époque, Monsieur Darchis, aimait à embarquer ses élèves dans des projets pédagogiques aussi fous qu’ambitieux. L’un d’eux fut celui de réaliser un reportage sur l’histoire de l’ancienne carrière de pierre située près de la commune.
Eliott rapporta l’idée de son maître d'école au cours d’un repas dominical en famille. Quelle ne fut pas sa surprise d’éveiller si vivement l’intérêt de son grand-père. Ce dernier entreprit de prendre part au projet pour le plus grand plaisir de ses camarades et de sa famille. Ancien prisonnier durant la seconde guerre mondiale, il était souvent perdu dans ses souvenirs, et celui-ci l’avait soudainement raméné dans le présent.
Cet évènement fut le début d’un lien privilégié entre un grand-père et son petit-fils qui se traduisait par un respect et une admiration mutuelle. Ils eurent bien des choses en commun malgré la différence d’âge. Ce papy résistant était revenu des camps et au contact de son petit-fils, il lui arrivait l’espace de courts moments d’oublier l’horreur de la guerre.
A ses côtés, il retrouvait son âme d’enfant.
Plus tard ce grand-père lui apprendrait à conduire à l’abri des regards dans un sentier tout près de chez lui, il lui ferait découvrir tous les coins merveilleux de la région, lui raconterait les contes et les légendes du pays, éveillerait en lui la pleine fierté d’être creusois. Et encore aujourd’hui, Eliott Delambre était non seulement fier de ses origines mais il n’hésitait pas à le transmettre à ses filles.
Et le souvenir s’estompa en même temps que la voiture ralentissait pour se garer sur le bas-côté. La portière de la D.S s’ouvrit, d’une manière franche. Une grande silhouette d’apparence masculine en sortit. Vêtu d’un jean et d’un pull sombre passe-partout, de chaussures de marche, l’homme, de corpulence athlétique se dégourdit les jambes et après avoir refermé derrière lui, il resta planté à côté de sa voiture quelques minutes dans l’attente de ce moment tant attendu. C’était celui ou la brise fraîche et boisée vint caresser chaque trait de son visage, où l’air pur venait enivrer ses narines. C’était son corps sur lequel il perdait le contrôle durant l’espace de quelques secondes, sentant chacun de ses muscles se contracter pour se relâcher aussitôt, apaisant chaque membre. C’était cet aspect vivifiant qui l’amenait à ne pas regretter de s’être levé si tôt.
Il finit par respirer un bon coup puis se rapprocha du coffre de sa voiture et l’ouvrit pour en sortir un vieux sac à dos, Soudain, il entendit un bruit. Gardant son calme légendaire, il continuait tout en restant en alerte. Il se retourna pour gravir le chemin de terre qui donnait accès au bois . Il se retourna quant tout à coup, un bruit grossier de chaussures rampantes l’amena à regarder par sa droite puis à lever son bras gauche … Et d’un coup, il immobilisa une masse informe vêtu d’un vieux jean sale et d’un vieux swaeat poussiéreux. Cette masse à la fois vivante et mouvante se débattit maladroitement et empestait la gnôle. Eliott n’eut aucun mal à la maîtriser et à l’immobiliser au sol. La masse informe se releva, et un visage connu apparut soudainement à Eliott. Après l’avoir immobilisé au sol, il releva l’homme :
« Frédo ?! »
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