Chapitre 4

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Lovely - Billie Eilish (Ft Khalid)

Hailey

J’ai toujours aimé cette forêt, j’y suis souvent allée en vélo pour m'y ressourcer. Je ne sais pas si c’est une bonne chose que de l’amener dans un des endroits qui me permet de faire le vide. Là où je m’évadais lorsque Leean passait son temps à s’acharner, là où je continue de venir pour faire le point ou croquer à loisir sans ressentir toute la pression du lycée. Là où je peux m’exprimer telle que je suis sans peur du regard des autres. Lorsqu’il a fallu trouver un lieu pour le TD, c’est le seul paysage qui m’est venu en tête. Sur le coup, je me suis sentie acculée et j’ai eu besoin d’aller dans cet endroit qui me fait tant de bien. Mais avec le recul, je ne sais vraiment pas si c’est une bonne idée. Des semaines que je l’évite, tout ça pour l’amener dans mon antre. Je me mettrais des claques parfois ! Cependant, ça m’ennuie qu’il pense que c’est à cause de lui que je repousse toutes ses tentatives de rapprochement, car il en est tout autre. C’est encore une fois à cause de Leean. Lorsqu'elle a vu qu'Alec m’avait retrouvée dans les toilettes du lycée et qu'apparemment il refusait ses avances, elle est venue me trouver et m'a menacé comme avant. Certes, je ne suis plus cette petite fille apeurée de douze ans, mais est-ce que ma tranquillité retrouvée mérite que je la gâche pour lui ? Oui, ce mec est canon, pas besoin de se mentir. Oui, il me plaît. Je vois bien les œillades qu’il me lance parfois pourtant, je ne sais pas si j’aurais la force de tout envoyer en l’air et lever une rébellion contre la reine des abeilles.

Côte à côte, Alec me suit en silence depuis une quinzaine de minutes. Sa promiscuité me perturbe. De temps à autre, nos bras ou nos mains se frôlent, déclenchant une bouffée de chaleur dans mon ventre. Lorsque nous arrivons enfin, la nuit commence à tomber en ce début d’octobre. Nous faisons face à cette vieille bâtisse en pierre. Le toit est complètement détruit et la nature a repris ses droits recouvrant Stone House d’une pellicule de mousse, de lichen et de lierre.

— Ouah ! C’est superbe comme endroit Hailey !

Ses yeux pétillants examinent les détails tandis que ses mains se rapprochent des murs pour les toucher. Je suis émue de le voir s'enthousiasmer pour ce lieu qui m’est cher. Je sais qu’il ressent la magie que dégage la maison. Ça a beau être devenu une attraction touristique, il semble se connecter, comme je le suis, à ces pierres.

— Oui. C’est le deuxième endroit dans Portland où je me sens comme chez moi après le PAM, je lui avoue. Je viens ici dès que j’ai besoin de me ressourcer.

Je discerne son regard sur moi comme une caresse. Nos yeux s’ancrent un instant avant que mon téléphone ne se mette à vibrer dans la poche arrière de mon jean. À la fois soulagée et à contrecœur, je me détourne pour lire le message que je viens de recevoir sur le groupe Whatsapp qu’on utilise avec TJ et Betty.

[TJ : Tout est Ok ?]

[Betty : Laisse-la ! Qu’est ce que tu veux qu’A. lui fasse ?]

[TJ : J’ai le droit de m’inquiéter, oui !]

Amusée, je pianote toutefois une réponse rapide afin de calmer les cousins.

[Moi : Tout est OK. On vient d’arriver à Stone House. A+]

Je décide de mettre mon téléphone en silencieux pour ne pas être dérangée. Je connais très bien le côté surprotecteur de TJ, il serait capable de m’appeler toutes les quinze minutes pour être sûr que tout aille bien.

— Désolée, c’était TJ et Betty.

Il hoche le menton.

— Vous semblez très proche.

Est-ce un… reproche, que je ressens au ton de sa voix ? Je secoue légèrement la tête et décide de ne pas m’attarder dessus.

— Oui, ça fait cinq ans que leurs chemins ont croisé le mien. Sans eux, je ne sais pas si je serais encore ici.

Ses yeux devenus instantanément noirs m’observent avec une telle intensité que je me sens nue face à lui, comme s’il pouvait percer tous mes secrets. Je me racle la gorge pour éviter de laisser transparaître le léger malaise qui naît en moi.

— Donc… Euh… Voici Stone House. Viens, il y a une vue de dingue à l’étage.

Une fois sur le palier, le panorama à 360 degrés est phénoménal. Les feuilles commencent à se couvrir de leur couleur de l’automne dans un dégradé de jaune, d'ocre et de magenta. Une brise lèche mes épaules et me fait frissonner. Ce matin, comme je n’avais pas prévu de rester après les cours dehors, je m’étais juste habillée d’un pull fin. Au moment où je me retourne, je surprends Alec qui a enlevé sa veste mi-saison, en train d’ôter son sweat. Tandis que celui-ci le passe au-dessus de sa tête, son t-shirt se soulève légèrement, laissant apparaître une partie de son bas ventre, d’où une ligne de poil s’étend de son nombril à plus bas. Bien plus bas. Trop bas. C’est le rouge aux joues que je détourne les yeux, néanmoins le léger sourire qu'il affiche laisse penser que je me suis fait griller. Il remet son cuir sur les épaules avant de s’avancer vers moi.

— Tiens mon pull, dit-il en me le tendant.

Nos doigts se frôlent un instant. Troublée, je récupère rapidement le sweat que j’enfile pour camoufler mes joues qui ne cessent de s'embraser. Quand le bout de tissu enveloppe ma tête, le mélange de son parfum musqué associé à son odeur naturelle s’insinue dans mes narines, me donne des frissons, le tournis.

— Merci, Alec, je dis dans un petit filet de voix contenu.

— De rien, il te va mieux qu’à moi je trouve.

Il me dit ça tout en me lançant un clin d’œil. Je sors de mon sac mon carnet à croquis et un crayon.

— Tu veux te concentrer sur quelle vue, Alec ?

Il me fixe longuement, un rictus se dessine sur ses lèvres charnues.

— Je ne sais pas trop. Celle que j'ai sous les yeux est déjà pas mal.

Sous le double sens de sa réponse, je ferme les paupières, mes pommettes ne font que me brûler. Je dois être aussi rouge que les feuilles d’automne. Une sensation de froid sur ma joue me fait rouvrir les yeux qui tombent sur ses iris aussi noirs que des obsidiennes. La fraîcheur de sa paume apaise instantanément la chaleur qui bout en moi. Tout en caressant l’angle de ma mâchoire de son pouce, son corps se rapproche du mien. Ma respiration se coupe. J’ai envie qu’il m’embrasse. J’ai peur. Tant d'émotions se bousculent en moi. Ça papillonne très fort dans mon ventre. Nos pupilles ne se quittent plus. Nos lèvres se rejoignent au ralenti. S’emboîtant à la perfection, comme si elles se reconnaissaient, se retrouvaient. Quand il se met à suçoter l’ourlet de ma bouche, je relâche le souffle que je retenais laissant échapper un gémissement.

Mes affaires, que j’avais encore en main, glissent et tombent au sol dans un bruit sourd, mais sans que ni l’un ni l’autre n’en fassions cas. Sa langue profite de cet instant pour s'engouffrer et taquiner la mienne. Elles entament une danse sensuelle, se cherchant, s’enroulant l’une à l’autre, pendant que ses mains se posent sur mes hanches pour me coller contre lui. Chancelante, je m’accroche au rebord de son cuir. Ma tête n’en finit plus de tourner, encore et encore, de toutes ses sensations.

Il me donne envie de plus, surtout lorsque je sens son plaisir prendre de l’ampleur contre mon bas-ventre. Mais pas maintenant, pas ici, pas comme ça. À contrecœur, je sépare nos bouches gonflées. Ma respiration se fait fort. Son front se pose contre le mien alors qu’il me couvre de chastes baisers sur les lèvres. C’est tellement bon, doux, addictif. Rien à voir avec celui qu’on a échangé TJ et moi. Mais ça, c’était il y a longtemps, une éternité même. Un temps où on se teste se cherche, surtout lorsqu’on se connaît aussi bien que nous deux. Depuis, TJ m’a avoué être plus attiré par les garçons. Hormis moi, personne n’est au courant. Mais ce que j’avais ressenti ce jour-là, n’est rien comparé à ce qu’il se passe dans mes tripes, à ce que j'éprouve dans les bras d’Alec.

— Tu me plais Hailey, murmure-t-il. Beaucoup.

Un sourire s’affiche sur mon visage. Nous restons encore quelques minutes à nous repaître l’un de l’autre pour seul témoin la nature environnante.

Lorsque nous recouvrons nos esprits, le soleil est déjà couché et la nuit nous enveloppe. Nous décidons de reporter nos repérages à un autre jour. Nous récupérons nos affaires et reprenons le chemin de la voiture d’Alec en silence, nos mains entrelacées.

Une fois dans l’habitacle, Alec pose tout naturellement sa paume sur ma cuisse. Je ne cesse de sourire et les papillons ne semblent pas vouloir quitter mon ventre. J’ai l’impression que mon âme flotte au-dessus des nuages. Les sensations nouvelles m’enveloppent et je savoure les émotions qui me gagnent. Je me sens belle lorsque Alec me regarde avec son sourire en coin, je suis bien tout simplement. Qui aurait pu croire qu’un mec puisse me procurer tellement de réconfort en si peu de temps ?

La voiture qui se stoppe dans la rue face à chez moi me tire de ma rêverie. Je me retourne vers Alec. Ses obsidiennes tellement noires pétillent en me dévisageant. La chaleur monte de plusieurs degrés dans l’habitacle. Il s’avance, ses doigts attrapent délicatement une de mes mèches de cheveux et la glisse derrière mon oreille. Son souffle chaud me percute. Ma gorge est sèche, mon cœur et mon corps sont en émois. Ma langue humidifie mes lèvres asséchées. Son regard fiévreux ne rate pas une miette de mes gestes et c’est comme un affamé qu’il se jette sur ma bouche. Nos bouffées se mêlent l’une à l’autre. Nos mains se touchent, se caressent. Lorsque nos respirations se font courtes, elles se détachent presque à contrecœur. Dans un effort, mes paupières se ferment pour m’aider à reprendre pied. Quand je les rouvre, ses yeux me désarçonnent, il m'admire comme si j’étais précieuse.

— Je vais y aller, je souffle.

Sa main caresse une dernière fois ma joue tandis qu’il dépose un léger baiser sur mes lèvres.

— À demain, Hailey.

Allongée dans mon lit, je regarde les minutes défiler sans trouver le repos. Passé cet instant de pur bonheur, la réalité me revient en pleine face. Comment gérer tout ça au lycée ? Une boule d’angoisse grossit inexorablement en pensant à Leean. Non ! Merde, merde et re merde !

Qu’est-ce que je dois faire ? Comment agir avec Alec ? Il va certainement s’attendre à ce que nous soyons en couple. Je le revois au moment où je descends les marches avant que je ne le rejoigne pour aller à Stone House, la main de Leean l'aggripant. Serait-ce un jeu entre elle et lui ? Mais comment expliquer l’alchimie qu’il y a eu entre nous ? Ça ne peut pas s’inventer, non ? Le doute m’habite.

Le sommeil n’est pas venu m'accueillir dans ses bras lorsque la sonnerie de mon réveil se déclenche. Tel un zombie je me lève, puis me rends dans la salle de bain en marchant au radar. Mon reflet fait peur. Les cernes noirs mangent la moitié de mes joues. Je souffle de dépit et entreprends de me préparer.

Une fois lavée et habillée, je m'efforce de camoufler comme je peux avec du maquillage les dégâts de ma nuit blanche à ruminer. Quand je descends dans la cuisine, un mot de mes parents est accroché sur le frigo : “Nous sommes déjà partis pour rencontrer un fournisseur. Tu as des pancakes au four. Bisous, Mum”. Bon au moins je n’aurais pas à justifier ma tête de zombie. Je me force à avaler le petit déjeuner préparé par mes parents. Ce matin, je n’arrive à rien engloutir, une boule m’empêche de déglutir ne serait-ce que ma salive, alors du solide n'en parlons pas. C’est dépité et en avance que j’attrape mon sac et pars attendre mes amis.

Le trajet dans la voiture a été horrible. J'ai justifié mon attitude par une migraine carabinée. Mais j'ai bien senti que Betty et TJ n'en croyaient pas un mot cependant, ils ont fait comme si tout allait bien me connaissant assez pour savoir que dès que j'en serais prête, je me confierai.

La tête dans mon casier à me cacher, ne sachant toujours pas comment je vais faire face à Alec. Une main se pose sur le bas de mes reins et me fait sursauter. Quand je me retourne, Alec est là à me sourire. Sourire qui se fane dès qu'il aperçoit les stigmates de ma nuit blanche.

— Tout va bien Hailey ?

Est-ce que je vais bien ? Non, assurément. Et ce n'est pas son air concerné et les yeux de Leean qui flamboient dans son dos qui me font me sentir mieux. Elle est là, contre les casiers, son pouce passant d’une extrémité à une autre de son cou en signe d’égorgement, avisant la main d'Alec toujours délicatement posée dans mon dos. Le geste, plus qu’équivoque, me fait frissonner de la tête aux pieds.

— Hailey ?

Le ton inquiet d'Alec a pour mérite de me faire revenir sur terre.

— Euh… Alec. Je voulais justement te parler. Je… euh… hier, je crois que c'était une erreur.

Les mots sont sortis à une vitesse folle, tandis que la main d'Alec se crispe contre ma peau.

— Une erreur, hein ?

Sa voix est blanche, son regard passe en un quart de seconde de l'étonnement à la douleur pour finir colérique. Sa poigne se détache dans un mouvement brusque et c'est comme si je recevais une gifle, que je mérite.

— Je me suis trompé sur toi, Hailey ! tranche-t-il.

Il s'éloigne de moi sans me laisser m’expliquer. Mais quoi ? Que je suis une lâche ? Alors que Leean, qui n'a rien manqué de la scène, le rattrape, passe son bras sous le sien tout en m'avisant un rictus mauvais. J'ai mal, pour ce que je viens de faire, mal dans ma poitrine. La gorge nouée, je récupère comme un automate mes affaires lorsque la sonnerie retentit annonçant le début du premier cours.

Cette journée a été la pire depuis très longtemps. Betty et TJ n’ont pas compris mon silence et que dire d’Alec ? J’en ai mal au cœur et au ventre en voyant, sous mes paupières closes, son visage défait quand je lui ai annoncé que la veille avait été une erreur. J’ai l’impression d’avoir reçu moi-même le coup de poignard que je lui ai porté. Surtout lorsque Leean est passée à côté de moi et que j’essayais de m’expliquer, si cela avait été possible et qu’Alec m’a envoyé paître. Tu l’as bien cherché, Hailey. Malgré moi, toute la journée je n’ai cessé de le chercher des yeux, mais il semblerait qu’il ait séché les cours. Par ma faute.

Quand je rentre chez moi, je file dans ma chambre, sans un regard pour mes parents et pleure toutes les larmes de mon corps. C’est donc à ça que ressemble une peine de cœur ? Putain, pourquoi ai-je tout gâché ? Je me rends compte de tout ce qu’il m’a fait ressentir lorsque j'étais dans ses bras, quand ses lèvres dévoraient les miennes. Cela valait peut-être le coup que je me batte contre Leean. J’ai vraiment tout foutu en l’air. C’est épuisé, les joues humides que je m’endors avec pour seul soulagement le week-end qui arrive.

  PAM : Portland Art Museum, fondé en 1892, il est le plus ancien de la Côte Ouest.

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