chapitre 2

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Au milieu de la salle, au milieu de la chaîne, il y a Suzanne et ses dix-sept ans.

C’est avec sa tante qu’elle a découvert les fest-noz quand elle était petite. Et depuis ce temps-là, elle ne manque aucun de ceux qui ont lieu dans sa commune. Elle est arrivée dès le début de la soirée.

Maintenant elle avance en rythme avec les autres, serrée entre deux danseurs. Comme tout le monde, elle a mis sa main dans la main d’un inconnu sans se poser de questions et sans prononcer un mot. Leurs mains se tiennent, leurs bras se touchent. Des choses se sentent mais rien ne se dit.

Elle n’a même pas regardé ses voisins, elle sait à peine de quoi ils ont l’air. Ils dansent bien. Avec cette énergie muette qu’elle aime et qui monte du sol par les jambes. Leurs mains sont de bonne qualité, une peu plus douce à droite peut-être. Les mains qu’elle rencontre dans la danse sont toutes différentes les unes des autres. Il y en a de dures qui la serrent à lui faire mal, d’autres molles et fuyantes surtout celles de certaines femmes à qui elle a presque envie de faire mal à son tour.

Les hommes évitent de se retrouver côte à côte. Pourtant une fois elle en a vu plusieurs danser ensemble, farouches, concentrés et hors d’atteinte du jugement d’autrui. Ils n’étaient pas beaux mais il se dégageait d’eux une énergie pure, sans chichis, brutale mais non dépourvue d’une grâce étrange et rude. C’est la revanche des timides.

Une fois aussi, et c’était le même soir d’ailleurs, elle a senti un courant traverser tout le groupe. Et les gens ont souri tous ensemble. Mais d’habitude on ne sourit pas en dansant. Les visages sont sérieux, fermés, cachant le plaisir.

Le chant est terminé. On applaudit un peu et on reste là pendant que les sonneurs s’accordent. Parfois on recherche des yeux quelqu’un qu’on connaît pour échanger deux mots. Tout le monde ne supporte pas d’être debout comme ça, au milieu de la pièce sans savoir quoi faire.

Suzanne n’a pas peur de ça. Elle reste là, seule, les yeux fixés sur la scène, jusqu’à ce que les bombardes lancent l'appel qui la fait frissonner. Un air étrange monte, descend, repart sans fin et les mains se reprennent. Collés les uns contre les autres, on attend d’abord un peu pour reconnaître la danse et puis on avance ensemble dans une lente farandole qui s’enroule et se déroule. Parfois, quand même, on rit d’être coincés, de ne plus pouvoir avancer. Il fait chaud, les vitres ruissellent à l’intérieur. Quand on pense à la maison, on a du mal à croire que l’on va y retourner tout à l’heure.

C’est une messe païenne.

Bientôt les vieux s’en vont et la jeunesse s’impatiente pendant la longue installation des instruments électriques. Sur les bancs, il y a des piles de vêtements qu’il faut fouiller pour retrouver les siens avant de partir. Quelqu’un dit dans un micro : « On a trouvé une clé » ...

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