chapitre 3

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Sergueï passe devant la salle des fêtes. C’est l’heure de sa promenade. Tous les soirs, il marche comme ça, très tard dans la nuit en espérant qu’ensuite il trouvera le sommeil. Comme le vent souffle des bourrasques de pluie, il a décidé de s’abriter un instant dans le hall d’entrée et il jette par curiosité un coup d’oeil par les portes entrebâillées d’où sort une musique acide. Il connaît l’endroit pour y avoir assisté une fois à une conférence. Au fond, au-dessus de la houle des têtes, il relit le message généreux et naïf inscrit sur le mur à côté de l’escalier qui monte à la scène :

Quoi que tu fasses, où que tu sois

Les jeunes ont besoin de toi.
Aide, agis et pense,

Ils seront demain la France.

C’est écrit en bleu, jaune et rouge. Le blanc n’aurait pas été visible sur le plâtre.

Pour lui autrefois, et vue de Russie, la France c’était d’abord Paris et ensuite la Côte d’Azur. La littérature, la langue, la douceur du climat, la douceur de vivre enfin… Ça n’avait rien à voir avec ce qu’il a découvert en arrivant dans ce village, rien à voir avec ces gens arrimés les uns aux autres par ces airs barbares, ces chants incompréhensibles et ces voix criardes ! Des femmes d’âge respectable dansent gravement. Le nylon de leurs robes à fleurs semblables à des tabliers se balance gravement aussi. Des femmes françaises ça ?

Seul le jeune homme assis à la buvette a de l’allure. Il est élégant mais viril. Il lui rappelle le panache des jeunes aristocrates russes sortant de leur Cercle sous la neige à Moscou. Que fait-il là-dedans, seul devant son verre?

La ligne des danseurs défile devant l’entrée et Sergueï aperçoit la petite Suzanne que tout le monde connaît dans le pays mais aussi beaucoup de gens qu’il n’a jamais vus. Le fest-noz annuel de la commune est apprécié des connaisseurs de la région.

Guillaume, l’instituteur qui habite l'appartement proche du sien, est là aussi et il a l’air ravi. Il se démène comme il peut pour essayer de suivre le pas à la fin de la chaîne. Son sourire tranche avec la réserve des autres et il ne voit pas qu’il agace ses voisins en agitant les bras plus que de raison. Son regard croise celui de Sergueï mais comme ses mains sont prises, il ne peut lui faire de signe amical. La danse l’entraîne. Il se contente d’un sourire plus radieux encore et d’un hochement de tête auquel le Russe répond de la même façon avant de s’éloigner.

Fabrice redresse le col de son long imperméable et quitte la buvette comme un bateau quitte le port. Il sort sans un regard autour de lui. Sergueï n’est plus là pour le voir partir. C’est dommage, il sait remarquablement bien sortir d’une pièce. Il pleut encore un peu sur le parking balayé par le vent qui vient de la grève toute proche. Il retrouve la grande Citroën blanche d'occasion dont il est fier et rentre chez lui, soulagé de partir.

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