chapitre 6

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Elle termine son travail, saisit son vieux sac et prend le sentier des douaniers. Elle marche en regardant les îles lointaines où elle n’ira jamais et plus près de la côte les blocs de granit découverts par la marée. C’est le paysage qu’elle connaît depuis l’enfance et elle le voit à peine. La mer lui est étrangère. Elle la regarde depuis la côte comme un monde inaccessible. La mer et le feu bougent comme la vie mais devant eux, on est seul. Ce sont des choses indifférentes, parfois méchantes. Elle aime mieux les plantes. Pourtant elle voudrait parfois être une géante et pouvoir s’étendre de tout son long jusqu’à l’horizon sur l’immense surface mouvante dont la voix la console la nuit.

Ici, on se méfie de la mer. En été, ce sont surtout les touristes qui fouillent les îlots sur leur bateau pneumatique. Il y a eu des pêcheurs autrefois. Il n’y en a plus beaucoup. La côte est trop difficile. Les hommes ont été embauchés dans la marine marchande. Ils passent des mois loin de chez eux et ne reviennent que pour faire des enfants.

Sur le parking de l’hôtel des Sternes, un chien fouille les poubelles. Il la regarde arriver et lui emboîte pensivement le pas. Elle passe devant le camping désert et ses sanitaires de ciment gris, et s’engage ensuite sur la presqu’île. Herbe rase, cyprès peignés en drapeau par le vent dominant sur une lande déserte. Quand elle atteint le bout, le chien fait demi-tour. Le chemin se termine et elle s’engage dans la baie, sur la vase durcie parsemée de coquillages et marche jusqu’à un îlot qui s’élève à quelque distance, dans la brume : Roc'h Vras, une petite colline que la mer cerne deux fois par jour et que traverse un chemin dans l’odeur des cristes-marines.

Des hommes y ont vécu. Des plantes et les ruines d’une ferme en témoignent. Des touffes de dactyle marquent les endroits où se trouvaient les pâturages disparus et des fougères ont remplacé les labours. Il y a aussi un dolmen à demi tombé. Mais maintenant plus personne n’habite là. Seule une parcelle est encore cultivée dans une pente face au sud. C’est un champ de pommes de terre dont les feuilles vert amande sont déjà bien développées. Les tubercules ont commencé à se former. La récolte sera bonne. L’idée que ce sera peut-être elle qui récoltera ici l’année prochaine lui semble incroyable et dilate son coeur.

Crenn est là, au bout de la parcelle. Silhouette noire et maigre, à peine plus grande qu’elle. Elle s’approche timidement. Il regarde quelque chose qu’il tient dans sa main et qu’elle ne peut pas voir. Il lui jette à peine un coup d’oeil :

— Regarde ça, lui dit-il.

Et il lui tend une hache préhistorique de pierre polie.

— Elle était au bout du champ, je l’ai trouvée hier et je l’ai cachée dans un coin. Je vais l’apporter à Guillaume, l’instituteur, il donne quelque chose à ceux qui lui ramènent des pierres comme ça.

Puis il se tait et, comme Suzanne ne prend pas la pierre, il la frotte gauchement entre ses doigts déformés par l’âge pour en faire tomber la terre et il reste un instant muet devant cet objet qui a traversé le temps jusqu’à lui.

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