chapitre 22

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lundi 14 heures. Crenn.

Crenn se rend sur Roc’h Vras pour finir son travail. Si le champ n’était pas sur une île, il pourrait se servir d’un buttoir tiré par un cheval mais il doit tout faire à la main.

Au port, les scouts sont en train d’embarquer sur de jolis bateaux d’un genre ancien. Ils sont sept ou huit. Le plus âgé est à la manoeuvre et donne des ordres. Le petit garçon est assis derrière le banc de nage, à même le fond. Cherchant sûrement à ne pas gêner. Peut-être consigné là par les autres. Ils sont bien habillés et leurs uniformes impeccables sont à peine dérangés par leurs gestes. Ils se parlent à mi-voix et semblent bien s’entendre. Leurs embarcations montent et descendent le long de la jetée au gré des mouvements de l’eau verte et profonde.

Crenn ne passe jamais par là. Il faut qu’il ait besoin d’aller sur l’île pour cela. Pendant l’été, les plages appartiennent aux touristes et il ne fréquente que le bourg, à deux kilomètres à l’intérieur des terres. Comme les paysans qui, en général, se méfient de la mer. Deux fillettes le dépassent en courant. Elles parlent une langue qu’il ne comprend pas. Plus loin un groupe parle allemand. On dirait qu’ils évitent de crier trop fort. Quand même, ça lui fait drôle d’entendre cette langue. Pendant la guerre, c’est lui qui guidait les aviateurs vers la grève où la Résistance les renvoyait en Angleterre… En pleine nuit et la peur au ventre… Il pourrait en raconter des choses si on le lui demandait. Surtout en breton. Mais on ne le lui demande pas, et puis il ne saurait pas raconter. Il faut avoir appris. Quand il essaie, personne ne comprend ses histoires et ça l’énerve. Il en aurait bien d’autres à raconter aussi sur les résistants de la dernière heure. Ceux qui ont profité de l’occasion pour régler d’anciens comptes, la famille massacrée pour avoir accepté de vendre un cochon aux Allemands : « Tous tués, même le chien et la grand-mère ». Une autre famille sauvée pour de la nourriture offerte jadis à un enfant pauvre… « Là je n’irai pas, ceux-là m’ont donné du pain quand j’étais petit ». Comment dire tout ça ? Et à qui ? Et surtout pourquoi maintenant ?

De grands garçons construisent un château de sable devant la mer montante. Ils le garnissent de laminaires pour qu’il résiste plus longtemps aux vagues. Ils ont l’âge qu’avait Crenn quand il a commencé à travailler aux champs avec les autres et il trouve qu’ils sont trop grands pour jouer ainsi comme des petits. Il ne s’attarde pas. Quelqu’un comme lui ne s’arrête pas pour observer une scène de cette sorte. Et puis il n’a pas de temps à perdre. Après Roc'h Vras, il faudra qu’il aille chercher des betteraves avec sa brouette pour ses vaches.

Maxime le voit s’éloigner, avec ses vêtements sales et pauvres. Sa bonne éducation lui a appris qu’il ne faut pas penser de mal d’autrui. Mais comment peut-on ne pas penser ce qu’on ne doit pas penser ? Il faut bien repérer déjà que c’est une mauvaise pensée, il faut donc y penser un peu avant de se faire croire qu’on ne le pense pas ! Ce qui compte surtout c’est de ne pas dire le mal qu’on pense. Ça, c’est possible, bien sûr, mais on ne peut pas se forcer à éprouver de l’amitié pour ces autres-là ! Même si on doit aimer son prochain comme soi-même, on ne peut que faire semblant et alors c’est du mensonge ! C’est aussi un péché !

C’est compliqué. Il n’arrive pas à s’y retrouver et se le reproche. Il se dit qu’il en parlera en confession, mais pas avec le père qui encadre le séjour.

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