chapitre 33
Quand le jour se lève, le silence est total. Le petit bois de cyprès n’existe plus. Ça sent la résine. Elle fait le tour de sa maison. Rien n’a bougé. Mais l’épave d’un petit bateau de bois fraîchement repeint a été laissé par les vagues, exactement au milieu de la plage. La banquette de terre sur laquelle passait le sentier s’est effondrée. La côte a reculé. Dans la terre creusée pendant la nuit, on voit apparaître de nouveaux galets enchâssés là depuis très longtemps. Un déplaisant amas de terre mêlée d’herbes et de goémons a été abandonné par les flots au milieu du sentier. Suzanne y aperçoit une tache blanche et s’en approche. C’est une jeune sterne morte. Sa gorge est teinte d’un rose incroyablement doux au centre et d’un blanc très pur sur les côtés. Elle la retourne du bout du pied et va cueillir une fougère pour l’en recouvrir. Venue d’on ne sait où, une branche s’est retrouvée au milieu de la plate-bande des salades. Les plants d’artichauts et de fèves se sont couchés. Et il y a partout des petites branches tombées avec des feuilles vertes. Mais ce n’est pas grave, tout ça va repartir.
Maintenant il faut qu’elle aille voir si le nom de Fabrice a résisté aux vagues de l’autre côté de l’île. Devant l’hôtel, quelques personnes commentent la tempête. Un groupe d’hommes dans lequel elle reconnaît le maire du village, parcourt le sentier des douaniers pour voir les dégâts causés par la mer. Elle traverse la baie jusqu’aux grandes plaques de pierre où elle l’a écrit quelques jours auparavant. Le nom est presque intact. Sur la dernière lettre est le mazout est un peu effacé, d’ailleurs elle ne l’avait pas bien formée. Elle refera ça facilement. C’est la marée basse mais la mer est encore effrayante en bas de la dalle de granit. Elle monte et descend avec des bruits de succion. De longues algues sombres fuient et reviennent sous les rochers au gré des remous.
***
À la mairie, Sergueï non plus n’a pas bien dormi. Les tôles du toit ont fait un bruit infernal jusqu’à ce que l’une d’entre elles soient emportées par l’ouragan.
Quand il repart au travail, un client lui apprend la mort de Crenn. Cela ne le surprend qu’à moitié, il avait bien senti que le vieux paysan était au bout de son chemin quand il était venu lui dire qu’il allait cesser de travailler Roc’h Vras. Les cultures vont être livrées à elles-mêmes désormais. Il décide d’aller voir comment elles ont passé la nuit.
La marée est très basse, la mer est retirée dans un endroit où il n’est jamais allé; Il retrouve le chemin de terre dans les plantes maritimes.
La hutte de Crenn a un peu souffert de la tempête : la porte est toujours debout, elle a seulement été entrouverte par le vent, les tôles qui couvrent l’arrière sont restées à leur place sous les blocs qui les ont retenues mais la moitié de barque qui formait l’avant du toit s’est envolée à une dizaine de mètres. La cabane de Crenn est face au Nord. En regardant vers le large où la mer gronde encore, Sergueï distingue la silhouette de Suzanne qui vient de quitter le chaos granitique. Elle marche difficilement sur les rochers recouverts d’algues très glissantes et aborde Roc’h Vras. À la grande surprise de Sergueï elle lui adresse un sourire et il se sent soudain plus libre de lui parler.
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