chapitre 34
— Qu’est-ce que ça a soufflé. J’ai pas souvent vu ça. Le toit de la cabane est parti dans la lande !
— Oui, dit Suzanne.
Sans ajouter un mot, elle avise la petite barque plus loin, au milieu d’un océan de ronces où affleurent des rochers couverts de lichens dorés et elle s’élance aussitôt pour aller la chercher en bondissant d’un bloc à l’autre avec une agilité qui amuse Sergueï puis tous deux la réinstallent après avoir réajusté quelques tôles et quelques pierres. Ensuite ils se reculent un peu pour voir l’ensemble et Sergueï murmure pour lui-même :
— C’est un peu le mausolée de Crenn…
Suzanne ne comprend pas le mot mausolée mais elle en devine le sens. Crenn a été son bienfaiteur, elle ne l’a pas oublié. Elle descend sur la grève, y ramasse des plumes de goélands et les plante tant bien que mal sur le toit. Cette fois, la cabane est bien terminée. Elle ouvre un peu plus la porte et fait quelques pas en se baissant un peu car le plafond est très bas. Il fait sombre, même si un peu de jour passe entre les pierres. La bouteille de vin que Crenn ne boira plus est renversée à côté de la chaise et le verre a roulé un peu plus loin. Tout au fond à gauche les sacs de jute où Guillaume a dormi et à droite une masse sombre dont Suzanne comprend que c’est la vieille veste de Crenn. Mais le tissu en est comme gonflé et forme un sorte de boule. Elle s’en approche, le touche et retire aussitôt la main : c’est chaud et mou, il y a quelque chose de vivant là dessous. Elle fait un pas en arrière en se heurtant au plafond. La chose n’a pas bougé, Suzanne se rapproche et elle tire doucement le tissu : Ki Du s’est réfugié là depuis la mort de son maître. Il l’attend ou, à défaut, il attend la mort dans l’odeur de celui qu’il aime.
Sans se retourner, elle dit à Sergueï resté à l’extérieur :
— Ki Du est là, c’est le chien de Crenn, il a dû nager jusqu’à là en ne le voyant pas revenir. Il a des algues sur le dos.
— Le pauvre, dit Sergueï sans réelle conviction et après un temps il ajoute, maintenant tu vas pouvoir récolter les pommes de terre puisque Crenn ne le fera plus. Je viendrai en prendre un sac.
— Je veux bien, dit Suzanne mais elle ne quitte pas des yeux le dos frissonnant de Ki Du. Je reviendrai demain.
***
Annotations