Chapitre 26 (deuxième partie)

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L'hiver arriva très tôt cette année-là, avec une violente tempête qui souffla juste avant Samhuinn. Le vent était violent, la pluie tombait dru, à ne pas mettre un chien dehors. Pourtant, Kyle et Kyrian sortaient à intervalle régulier pour observer la toiture de la nouvelle aile du château et vérifier les jointures fraîches des pierres. Il n'aurait pas fallu que ce temps-là révélât des faiblesses dans la construction. Après deux jours de mauvais temps, ils semblèrent satisfaits et limitèrent leurs sorties à une ou deux par jour, ce qui était bien suffisant pour les faire rentrer trempés jusqu'aux os.

Cette tempête fut la première d'une longue série, faisant monter le niveau des rivières, causant quelques effondrements de terrain. Les ruisseaux étaient gorgés d'eau, dévalant les flancs de la montagne à vive allure. Le loch lui-même changeait de couleur, se chargeant de boues et de roches arrachées aux rives et à la montagne.

Par une fin de journée pluvieuse, au ciel chargé de lourds nuages gris au point qu'il me semblât que la nuit arrivait déjà, deux hommes se présentèrent au château. Ils étaient venus à pied, leur plaid enroulé autour des épaules. Leurs bottes étaient crottées de boue, leurs bonnets dégoulinaient d'eau. Mais leurs bâtons de marche étaient solides et leur allure, bien que fatiguée, montrait clairement leur endurance. Ils demandèrent à voir Kyrian qui les reçut avec bienveillance dans la grande salle. Il fit apporter une soupe et une cruche de bière fraîchement tirée. A la demande de mon époux, j'assistai à l'entrevue.

Le plus âgé des hommes se présenta comme étant Ian MacIlan, de Finiskaig. Le plus jeune était son fils, âgé d'à peine 18 ans. Il s'appelait Gared. Ils avaient cheminé depuis deux jours, à pied bien entendu, ne s'arrêtant qu'à la nuit noire, pour reprendre leur route avant le lever du jour. Au village s'était produit un éboulement important, comblant en partie le ruisseau qui serpentait entre deux rives abruptes. Le niveau de l'eau était monté très vite, noyant les pâturages alentours et inondant les maisons. Les villageois s'étaient abrités sur les hauteurs, mais ils manquaient de tout. Ils venaient tous deux demander l'aide du laird.

- Nous partirons tôt demain matin, décida Kyrian. Hugues viendra avec moi, Lorn aussi. Et nous partirons avec une charrette bien remplie de nourriture et du nécessaire. Il ne faudra pas oublier les outils, des pelles notamment, pour dégager l'éboulement.

- Ce sera dangereux, my laird, dit Ian.

- Nous verrons ce qu'il est possible de faire. Mais si l'eau passe par-dessus le barrage formé par l'éboulement, il n'en demeure pas moins, de ce que vous m'expliquez, que vos maisons sont toujours inondées.

Kyle, qui assistait à l'entrevue également, se permit d'intervenir, mais uniquement quand les deux hommes quittèrent la salle pour prendre un repos bien mérité dans la petite chambre que nous avions mise à leur disposition et qui était une de celles dont le lit était toujours fait pour les éventuels voyageurs ou visiteurs qui arrivaient parfois tard. Ils avaient confié leurs vêtements trempés à Clarisse et à Madame Lawry qui s'empressèrent de les laver et de les faire sécher dans la buanderie, cette petite pièce ayant été ajoutée au château lors des travaux. Elle servait surtout en hiver et Madame Lawry ne tarissait pas d'éloge pour Kyrian qui avait eu l'idée de la réaliser, car aller laver le linge au lavoir du village, en plein hiver, n'était pas une sinécure. Et elle concluait toujours en disant qu'au moins, le petit monsieur Roy avait des langes bien secs et vite propres !

Kyle donc émit quelques remarques, alors que Kyrian réfléchissait déjà à ce qu'ils allaient emporter.

- Laisse-moi venir avec vous, Kyrian. Ma force pourrait vous être utile pour déblayer. Ces villageois sont certes de solides Highlanders, mais on ne sera jamais pas de trop. Lorn n'est pas aussi bien bâti que moi...

- Certes, dit Kyrian, mais Jennie n'est pas loin d'accoucher...

- Et tu préfèrerais que je reste seul ici, à me soûler au whisky pour ne pas entendre les plaintes de ma femme en train d'affronter les souffrances de l'accouchement plutôt que de vous aider ? Le bébé n'est pas si prêt d'arriver que tu le dis. Jennie pense qu'il naîtra après la Noël. Nous ne sommes même pas encore en décembre.

Kyrian ne dit rien, mais je devinai à son regard qu'il était un peu soucieux. Certes, la carrure de Kyle serait un atout s'il fallait déblayer, porter des troncs, ôter des blocs de roche. Mais si un accident survenait là-bas et que Kyle se blessait... Je pouvais comprendre sa crainte, sans pour autant trouver d'arguments pour faire rester Kyle avec nous, hormis celui de nous offrir sa protection si nécessaire.

Jennie n'avait pas assisté à la discussion, elle fatiguait vite, son ventre était vraiment lourd et plus gros que le mien ne l'avait été à la même période. Et Kyle partit avec Kyrian le lendemain, accompagnés d'Hugues, de Lorn et des deux villageois. Kyrian me promit de renvoyer Lorn dès qu'ils auraient fait le plus gros pour nous donner des nouvelles, même si lui-même, Hugues et Kyle devaient rester encore plusieurs jours sur place. Comme ils étaient partis avec une charrette, ils ne mirent qu'une journée pour rejoindre Finiskaig car les deux villageois y grimpèrent plutôt qu'aller à pied.

**

Nos hommes furent absents plus de deux semaines, car le temps mauvais et l'importance des dégâts firent qu'ils durent rester sur place plus que prévu. Mais Kyrian tenait absolument à ne repartir de Finiskaig qu'une fois l'inondation résorbée et les villageois réinstallés chez eux. Il voulait aussi s'assurer qu'ils ne manqueraient de rien et évaluer la nourriture qu'il faudrait leur faire parvenir, car les eaux avaient emporté une grande partie des réserves, et notamment du fourrage pour les bêtes. Les pâturages, détrempés par la pluie, ne permettaient plus guère d'y laisser le bétail et, de toute façon, quand la neige surviendrait, il faudrait les nourrir avec du foin.

Lorn revint au château avec Hugues au bout de cinq jours. Ils nous apprirent que le chantier de déblaiement était assez long, mais que Kyrian les faisait revenir pour ramener nourriture et fourrage. Hugues me décrivit à cette occasion comment s'était produit l'éboulement. Je me souvenais bien de la configuration particulière de Finiskaig, avec ce ruisseau très encaissé entre les rives, au point qu'un homme solide pouvait franchir d'un bond les deux rives, à condition qu'il sache bien sauter et avec un peu d'élan. Les villageois ne s'encombraient d'ailleurs pas de pont, se contentant de poser de longues planches au-dessus de la rivière pour traverser. Même les animaux y étaient habitués.

Mais la vallée, tout autour, était assez étroite et l'inondation s'était répandue en hauteur. J'imaginais facilement comment les maisons avaient pu se retrouver en partie sous les eaux, alors que les rives, encaissées, leur offraient habituellement une protection contre ce genre d'aléas. La région n'était d'ailleurs pas du tout marécageuse, contrairement à d'autres zones le long du Loch Nevis.

Hugues et Lorn ne restèrent qu'une nuit à Inverie, pour repartir dès le lendemain, dans la matinée, avec la charrette bien remplie de provisions. Alex s'activait déjà à faire préparer du fourrage à apporter pour les animaux, dans les prochains jours. Il enverrait quatre hommes du village pour escorter le chargement. Hugues emportait aussi les dernières nouvelles nous concernant et il allait pouvoir rassurer Kyle sur l'état de Jennie.

Nos hommes revinrent au château au début du mois décembre, alors que le vent avait viré au nord depuis deux jours, rafraîchissant considérablement l'atmosphère. L'hiver s'annonçait et Kyrian n'était pas mécontent de ce fait : le froid allait aider à assécher les maisons inondées et les terres alentours. Les bêtes pourraient peut-être y brouter quelques jours avant l'arrivée de la neige. Néanmoins, il prévoyait de retourner à Finiskaig au début de la nouvelle année, pour voir comment les choses s'y passaient.

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