La sirène et le pâtissier 1/

4 minutes de lecture

( + 18 ) ( Tw : cringe et sexe ) (Ceci est un thriller psychologique érotique, et non une dark-romance)

Dans cette pièce froide et aseptisée, résonne le son du papier griffonné par un stylo à plume hors de prix. L’homme assis en face de moi tente ce que j’imagine être un début de sourire, mais ce n'est qu’une vaine tentative de m’amadouer, je le sais bien. Mon regard fuit le sien pour s’attarder sur l'austérité de ces lieux.

A-t-on déjà vu salle plus minimaliste ? Une table, deux chaises et au mur un plan d’évacuation d’urgence, au cas où je sois assez con pour ne pas retrouver la porte derrière moi. À ce merveilleux décor s’ajoutent des miroirs, trop de miroirs, qui augmentent le vide et l'anxiété que je sens naître en moi.

Je sais pourquoi je suis là. Lui aussi. Me replonger dans cette histoire ne sera pas facile. J’y ai tant perdu. Mais…

— Je suis disposé à faire un effort, si c’est ce que vous attendez de moi, annoncé-je enfin à voix haute.

Mon interlocuteur stoppe son écriture et baisse son carnet, ne laissant dépasser que ses yeux au-dessus de grosses lunettes. En silence, il sort un dictaphone, aussi vieillot et dépassé que sa cravate canard, qu'il dépose devant lui.

— Très bien. Alors je vous écoute, répond-il en activant l’enregistrement. S’il vous plaît, commencez par le début. Quand tout a commencé …

— Quand tout a commencé ? J’ai perdu la notion du temps. Cela remonte déjà à un petit moment. Dès la toute première fois que nous nous sommes croisés, mais est-ce bien utile de ressasser si loin ?

Un raclement de gorge pour toute réponse, l’homme insiste d’un bref mouvement du menton.

— Ok, j’imagine que vous savez ce que vous faites… Je suppose qu’il faut être rigoureux et n’oublier aucun détail ? Et bien,vous allez être servis, je vous garantis.

Alors…

La première fois que je l’ai vue… Attendez que je me souvienne… C’était au mois de mai, ou peut-être juin. Ah, si ça y est, ça me revient :

Lorsque Kader, notre chauffeur, nous a lâché presque du jour au lendemain pour suivre sa copine au Canada, il y a eu ce moment où nous ne savions plus comment assurer les livraisons des deux domaines. La forge et l’Aérion faisaient – et font toujours partie– de nos meilleurs clients. Leur demander de venir chercher eux-mêmes leurs pâtisseries n’aurait pas été à la hauteur de notre réputation. Nous sommes les meilleurs du département, certes, et je tiens à notre standing.

Bien évidemment, ce jour-ci, lorsque Madame Emeline Martinelli, notre contact du Domaine de la Forge, m’a demandé si les livraisons étaient toujours d’actualité, je répondis que oui, sans véritablement savoir comment j’allais procéder.

Quand je raccrochai, la remarque au ton acerbe de Renan ne me laissa pas le choix.

— Tu te démerdes, se dédouana-t-il, en partant dans la boutique.

C’est ainsi qu’un vendredi, je me retrouvai à conduire le véhicule de livraison, vêtu d’une chemise paré du logo de mon entreprise. Dans le module réfrigéré, trois pièces montées calées avec soin m’incitaient à conduire avec précaution, sans à-coups.

La livraison de l’Aérion fut expédiée en quelques minutes.

Une grosse heure plus tard, j’arrivai pour la toute première fois au domaine de la Forge. La grille d’entrée, une véritable pièce d’orfèvre, s’ouvrit pour dévoiler un jardin des plus luxuriants.

Tandis qu’au pas, je roulais sur le chemin de gravier rose, tout m’amenait à m'extasier sur les lieux. Des fleurs à profusion, des sculptures végétales. D’ordinaire, ce genre de fioritures me laissent froid, mais là, il faut bien avouer que tout était calculé pour donner une impression de perfection.

Garé sur un parking sous les arbres, je patientai en consultant le document qui tenait lieu de commande, avant de rencontrer mon client officiel, ou plutôt son attachée commerciale, Madame Emeline Martinelli.

— Vous, vous n’êtes pas Kader ! souligna une voix malicieuse dans mon dos, que je reconnus aussitôt.

Faisant face à mon interlocutrice, le trouble m’envahit l’espace d’une seconde en découvrant la personne en face de moi. Cette voix posée et douce à la diction parfaite que j’avais eu au téléphone tenait plus de la femme d’âge mûr que d’une de mon âge. Mon esprit en avait fait le portrait d’une personne proche de la retraite, petite dame aux cheveux d’argent, polie mais presque rigide, le genre à porter une chaîne à ses lunettes. Mais pas du tout.

De ma génération, adorable, plantureuse, des yeux si bleus, c’etait en fait une jeune femme qui n’avait rien à voir du tout avec ma représentation. Si différente de ce que je m'étais imaginé. Si jolie dans cette lumière de fin de journée ensoleillée. Cette flagrante différence me figea sur son image un court instant, mais assez pour sentir un léger malaise s’installer. Afin de ne pas passer pour un rustre en la fixant trop longtemps, d’instinct je baissai le regard. Erreur de débutant. C’était désormais sur son généreux décolleté que mes yeux curieux s’attardèrent. À croire que l’une des statues de nymphe de l’allée avait quitté son piédestal pour venir m’accueillir. Ma réaction ? Déglutir bruyamment. Comme je me sentais con : je n’étais pas ce genre d’homme ! Du moins pas comme ça, pas en face.

Elle, ne réagit que d’un sourire lumineux.

— Karl, Karl Delmart, annonçai-je en tendant ma main.

Elle me salua poliment puis arqua un sourcil.

— Le grand patron de la pâtisserie Delmart-Freillac se déplace en personne ? Que me vaut cet honneur ?

Elle entreprit de me faire visiter les lieux, et je ne me fis pas prier. Pour une fois que je sortais de ma pâtisserie, de la paperasse et du chocolat, j’avais envie de profiter d’un moment de calme. Alors que j’aurais dû la suivre sagement et m'intéresser à ce qu’elle prenait le temps de me montrer, je luttais contre moi-même.

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