Chapitre 6, partie 1 :
Angelo DeNil :
— Comment ça on a un problème ? m'exclamé-je en fixant le dos de Marx.
Il se tient droit devant moi, sa carrure est si imposante que je ne vois absolument rien à ce qu'il se passe. Will est crispé, si tendu que mon corps réagit en écho du sien.
— Avance ! Bordel, qu'est-ce que tu fais ?
— Chut, tais-toi ! murmure-t-il en faisant quelques pas, sur ses gardes.
— Mais qu'est-ce qu'il y a ?
— Reste là un instant, je reviens, dit-il doucement en s'éloignant.
— Quoi ? Non. Je ne suis pas une jouvencelle en détresse, Marx. Tu me fais quoi là ?
Je le suis alors qu'il râle à voix basse. Je ne sais pas ce qu'il se passe mais il se comporte bizarrement. Enfin, je pense que c'est une habitude chez lui, et d'ailleurs je suis mal placé pour juger après ce que j'ai fait cette nuit. Je n'ai aucune foutue idée de pourquoi j'ai agi comme ça. Je voulais juste être tranquille et ne plus l'entendre papoter comme une gamine en manque d'affection. Je n'ai pas été trop loin, si ? Je n'ai fait qu'effleurer sa jambe.
Il continue d'avancer, le dos légèrement courbé et les bras vers l'avant. J'essaie de voir au-dessus de son épaule en levant la tête et soudainement mon sang se glace tandis que mon cœur part en vrille.
— Putain, c'est quoi ? paniqué-je en attrapant solidement le poignet de Will.
Il marche de moins en moins vite alors que je fixe le truc à poils gris qui rôde autour du van.
— Ça se voit non ? C'est un loup, grogne-t-il.
— C'est jamais seul ça, tu crois qu'il y en a d'autres ?
Il s'arrête, je fais de même. Nous sommes à deux-cents mètres du véhicule et je commence à angoisser très sérieusement.
— Il ne peut pas être seul, on est en forêt, DeNil. C'est évident qu'il y en a d'autres.
Ah bah merci l'encouragement.
— Et on fait quoi s'il nous court dessus ? demandé-je en l'incitant à me regarder.
Il pivote et ses yeux bleus transpercent les miens. Mon corps frémit sans que je ne comprenne pourquoi.
— Tu risques pas de t'enfuir en courant puisqu'après dix minutes de marche t'es déjà au bout de ta vie.
— T'es sérieux ? C'est vraiment pas le moment de te foutre de ma gueule. Il y a un foutu loup, là ! Et puis je faisais de l'accrobranche, ok ? Je suis un peu sportif aussi.
— De l'accrobranche ? Bah c'est parfait, s'il te saute dessus, grimpe à un arbre pour sauver tes fesses.
— Quoi ? Mais c'est pas comme ça que ça marche, et j'avais huit ans, William, putain.
Je le vois tourner en rond autour de moi, je ne sais pas ce qu'il cherche mais je suis certain qu'on fait un boucan pas possible. Le truc à poils va nous bouffer en deux bouchées.
— J'ai pas envie de crever comme ça ! m'exclamé-je en essayant de faire le moins de bruit possible.
Je l'observe arpenter les alentours et me demande bien ce qu'il peut foutre. Sérieux, il joue à cache-cache ?
— On ne va pas mourir, reprends-toi un peu.
— Mais tu fous quoi, au juste ?
— J'en sais rien, je cherche un truc assez gros pour pas qu'il nous massacre la tronche. En fait, c'est un peu comme un gros chien.
— On n'est pas dans un film, tu crois vraiment que tu vas le calmer avec un caillou ?
Il s'éloigne et avance vers une rangée d'arbres alors que moi je suis tétanisé, les yeux fixés sur l'animal qui tourne en rond autour du van.
— Pas un caillou, mais peut-être que ça, ça va fonctionner, dit-il en s'approchant avec une branche si grosse qu'elle pourrait peser plus lourd que moi.
J'hallucine. C'est clair, je vais mourir aujourd'hui.
Il donne l'impression de porter ça comme s'il s'agissait d'une feuille de papier, mais je ne suis pas certain qu'il arriverait à la manipuler avec aisance.
— Sans déconner, tu te prends pour qui ? Un Super Saiyan ?
— Tu vois d'autres solutions, Einstein ?
— Euh... bah j'espère que ton plan va fonctionner, hurlé-je quand j'aperçois la bête se tourner dans notre direction.
Je m'éloigne rapidement quand l'animal s'approche de nous. Will ne se démonte pas. Il reste droit, son énorme bâton bien en main, dressé devant lui.
— William ! Cours ! crié-je en le faisant déjà.
Mes pieds s'alignent à toute vitesse pendant que mon cœur tambourine et que mon cerveau se fait la malle. Il est complètement illuminé ce Marx. Il va se faire sauter à la gorge et à cause de ses conneries, je vais mourir aussi.
— DeNil, sans rire, tu crois que le pourcentage de victoire est élevé quand on fait la course avec un loup ? râle l'autre abruti.
Je m'arrête à plusieurs mètres, caché derrière un arbre. Les paupières fermées, je prie pour que je sois en plein cauchemar. Je n'entends plus rien, ni les grognements de la bête ni Will qui joue du bâton. J'attends, encore et encore jusqu'à ce que quelque chose me touche et que je sursaute en criant comme un crétin terrifié.
— Ferme-la, tu vas lui faire peur.
J'ouvre les yeux précipitamment pour rencontrer le regard bleu de Marx. Il est mort de rire, se fout ouvertement de moi. Je baisse la tête et regarde l'animal qui se frotte à sa jambe.
— C'est quoi ce délire, pourquoi tu ne l'as pas buté ? Et attends, pourquoi il est si petit ? Il paraissait énorme de là-bas, bougonné-je.
— Tu l'as vu plus gros parce que t'avais la frousse, c'est ce que fait la peur sur le cerveau, ricane-t-il. Es-tu au courant qu'un loup n'attaque pas l'homme, sauf s'il se sent réellement en danger ?
Will caresse la tête poilue alors que la bête me regarde et me fait frissonner. C'est vrai que vu sous cet angle, il a l'air inoffensif.
— Comme un gros chien, me rappelle Marx en ricanant encore.
— Attends, t'es en train de me dire que depuis tout à l'heure tu me prends pour un débile profond avec ton cinéma et ta putain de branche d'arbre ? craché-je, le regard mauvais.
— Vengeance, souffle-t-il en se baissant pour positionner son visage au-dessus du mien.
— Donc là, tu n'avais absolument pas peur ?
— Pas du tout, pouffe-t-il.
— T'es un connard. J'ai envie de te foutre une baigne.
— Fallait pas me tripoter, DeNil.
— Vas te faire foutre, tu m'as pas repoussé.
Ses joues rougissent rapidement alors qu'il baisse la tête pour cacher sa gêne. Ça me ferait presque rire si je n'avais pas envie de l'assassiner.
— Tu dis de la merde, et pour quelqu'un qui n'a jamais eu de copine et qui n'est à ce qu'il paraît pas homo, t'éprouves aucunes réticences à toucher un mec, fait-il remarquer.
— J'ai deux jambes moi aussi. On est tous fait pareil, Marx.
— Pas vraiment, tu viens de prouver que t'as pas de couilles, siffle-t-il.
La bête fait quelques pas dans ma direction et son museau frotte sur mon pantalon. Il me renifle de tous les côtés alors que mon corps se tend affreusement.
— Éloigne ce truc de moi, tout de suite !
L'embarras de Will disparaît, il reprend rapidement de l'assurance.
— Il est sauvage, il ne risque pas de m'écouter, se marre-t-il.
— Et tu vas me faire croire que t'as confiance en lui ?
Il hausse les épaules et me sourit.
— Faut lui montrer qu'on ne lui veut pas de mal, c'est tout. Il est encore très jeune, regarde comme il est petit.
— Ouais, et si toute sa meute débarque ?
— On avisera, maintenant vient on va au van les autres ont dû se cacher dedans.
Je râle en quittant l'arbre, suis Will qui est lui même suivi par l'animal. Je me demande bien comment il fait pour marcher en lui tournant le dos. Je ne suis pas serein, malgré qu'il soit devant moi et que sa queue balaie le sol sur son passage. Il renifle partout, flaire comme un chien qui cherche une piste, ça me met mal à l'aise.
Marx approche du véhicule, regarde à travers les fenêtres en tapant dessus pour signaler sa présence. Personne ne semble réagir, alors il continue son manège en approchant lentement de l'ouverture du van. J'observe les alentours, l'endroit où le corps du chauffeur avait été déposé et je remarque qu'il n'y est plus. Mon sang pulse dans mes veines, ce n'est pas normal. Entre le fait que le macchabée ait disparu et le silence qui accueille Will, quelque chose ne tourne pas rond.
— William, attends, l'interpellé-je.
Il se retourne, me fait face et baisse la tête pour me regarder. Il est trop grand, je me sens minuscule et insignifiant à côté de lui. L'animal fait le tour du véhicule et renifle tout sur son passage.
— Le type mort, il n'est plus là.
Il pivote à son tour, s'arrête à l'endroit précis où il l'avait déposé avec Brandon et ses sourcils se froncent.
— Ils l'ont peut-être mis ailleurs, suggère-t-il.
Il hausse les épaules et tape encore sur les fenêtres.
— Judas ? Coach Murray ?
Il monte dans le van après un court silence tandis que j'attends à l'extérieur, ne lâchant pas du regard le loup qui rôde autour de moi.
— Ils vont bien ? demandé-je assez fort pour me faire entendre.
Il ne répond pas mais j'entends remuer à l'intérieur de l'habitacle. Je me hisse sur la pointe des pieds pour voir l'intérieur du véhicule mais les vitres teintées m'en empêchent.
— Il n'y a personne, grommelle Will quand il me rejoint.
— C'est pas possible, dis-je précipitamment. Ils étaient blessés, ils ne pouvaient aller nulle part.
Mon cœur s'accélère, c'est la merde. L'angoisse grimpe davantage en moi, l'appréhension enserre ma gorge de ses doigts crochus. J'attrape mon flacon de médicaments et en avale deux en me laissant tomber. Le choc est brutal, mon postérieur n'apprécie pas la rencontre avec le sol terreux.
— Ils n'ont pas pu partir, Will. Ils nous attendaient !
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