Chapitre 9, partie 1 :
Will Marx :
Je scrute Angelo avec attention, son corps crispé est contre la paroi du bus. Ses bras encerclent ses tibias alors que ses jambes sont remontées vers sa poitrine. Sa tête repose sur ses genoux et ses cils papillonnent. Je reste à distance, assis face à lui, tout en essayant de comprendre ce qu'il vient de se passer. Les dernières brumes du sommeil m'ont quitté. Je suis aux aguets, l'oreille tendue pour tenter de distinguer un bruit qui pourrait donner raison à ses angoisses.
— Il y a quelqu'un, me dit-il si bas que je peine à l'entendre. Je te jure que j'ai vu un homme juste devant la fenêtre, il m'observait.
Il semble certain de ce qu'il dit, paraît terrorisé. Je ne veux pas lui donner tort mais je n'ai vu personne. J'étais là, la tête au-dessus de son épaule alors qu'il s'exclamait qu'un type le regardait à travers les vitres teintées. Mes yeux fixaient le même point que lui, pourtant il n'y avait rien d'anormal à l'extérieur du van.
— Je l'ai vu, Will.
Sa façon de murmurer mon prénom fait apparaître une myriade de frissons le long de ma colonne vertébrale. C'est la première fois qu'il le prononce sans aucune insolence ni provocation. Non, juste un son chuchoté avec l'espoir d'être rassuré. J'aimerais lui assurer que je le crois, mais c'est invraisemblable.
— Même Fraise tournait en rond.
Mes yeux trouvent l'animal étendu sur les sièges. Je l'observe dormir calmement et mon coeur se serre. Il dort depuis que j'ai ouvert les yeux sous les supplications d'Angelo. Je ne l'ai pas vu éveillé depuis notre conversation alcoolisée.
— Peut-être qu'on va vraiment mourir, finalement.
Un soupir m'échappe alors que je pars m'accroupir devant lui. Il fait sombre, mais les larmes qui ruissellent sur son visage brillent sous les reflets de la lune. Je pose ma main sur son épaule pour tenter de le rassurer. Sa lèvre inférieure tremble, je me demande si la coupure qui barre sa bouche lui fait mal. Sa main passe dans ses mèches blondes qu'il rabat sur l'arrière de sa tête. Lorsque je l'observe si apeuré, égaré, j'ai l'impression de voir un enfant. L'image de Jude apparaît sous mes paupières closes. Il fait la même tête quand l'orage gronde et que je dois le prendre dans mes bras jusqu'à ce qu'il se rendorme.
— Je vais aller voir ce qu'il se passe dehors, soufflé-je dans une tentative d'apaisement.
Ses yeux s'écarquillent et sa main attrape mon poignet. Il m'attire vers lui avec force, à tel point que je peine à garder l'équilibre. Son souffle erratique et à l'odeur d'alcool s'abat sur le bas de mon visage. Mon cœur s'enrage, bat désormais trop vite. Je souhaite m'éloigner mais ne bouge pas par crainte de l'effrayer davantage.
— Non, reste ! m'implore-t-il. On ne sait pas qui c'est, peut-être qu'il va te faire du mal.
Mes lèvres s'incurvent malgré moi. J'ignore s'il s'inquiète pour moi ou s'il est terrifié à l'idée d'être seul mais la détresse dans sa voix me touche particulièrement.
— Écoute, il ne m'arrivera rien, dis-je doucement. Je suis certain qu'il n'y a personne dehors, je vais juste aller vérifier pour que tu sois moins angoissé. Ok ?
Il secoue vivement la tête, ses yeux bruns me supplient de ne pas le laisser. Loin de là mon intention, évidemment. Je veux juste le rassurer, qu'il cesse de se faire du mal en imaginant que nous allons mourir cette nuit.
— Je reviens dans quelques minutes.
— Marx, m'interpelle-t-il alors que j'approche de la sortie.
Je tente de le regarder, je ne parviens qu'à distinguer ses yeux pétillants de larmes.
— Fais attention, s'il te plaît.
J'acquiesce, et souris pour l'apaiser. Angelo n'est peut-être pas si insensible et méchant que ce qu'il essaie de faire croire.
J'inspire profondément, expire lentement, comme pour m'armer d'un courage que je ne suis pas certain de posséder. Je dois pourtant y aller. Il le faut, pour éviter à DeNil d'angoisser toute la nuit comme si l'épée de Damoclès était suspendue au-dessus de sa tête, risquant de lui tomber dessus à n'importe quel moment. J'extirpe mon téléphone de la poche de mon blouson. La batterie est faible mais j'en ai besoin pour m'éclairer. J'active la lampe torche, la lumière fait apparaître les arbres à quelques mètres face à moi. J'attrape l'épaisse branche que j'avais déposé contre la carrosserie du van et commence à descendre les marches.
Le souffle court, j'avance doucement. Il y a beaucoup de vent, cela ne me facilite pas la tâche. Chaque bourrasque fait bouger les feuilles et craquer les branches. Je progresse lentement et ne distingue personne, par contre j'entends distinctement les animaux qui errent dans la forêt, plus ou moins loin de l'endroit où je me situe. Je guide la lumière du téléphone dans toutes les directions, tout en faisant le tour du véhicule pour être certain qu'aucune paire d'yeux m'observe dans l'ombre de la nuit. Il n'y a rien, pas de regard qui brille sous le flash du téléphone, pas même le bruit d'une possible respiration ou l'odeur d'une autre personne.
Mon corps se tend douloureusement, mon cœur s'accélère lorsque le cri perçant d'Angelo me parvient.
Putain, c'était déchirant !
Je fais demi-tour, me dirige vers l'entrée du van à la hâte, les doigts bien serrés sur la branche au cas où il serait nécessaire que je l'utilise. Je jette mon téléphone sur un siège à l'instant où je pose un pied dans le véhicule. Le flash s'étend vers le plafond et éclaire l'habitacle au complet. En deux pas je suis au bout du véhicule, le bras levé pour atteindre ma cible mais seul Angelo est présent. Recroquevillé sur le plancher, il agite ses membres dans tous les sens, semble se débattre contre une chose que je ne parviens pas à voir.
La scène à laquelle j'assiste est plus que singulière. La terreur sur son visage est oppressante. Je relâche le bout de bois et me mets à genoux devant lui. Mes paumes se referment sur ses épaules pour tenter de le stabiliser. Il se débat sans relâche en secouant jambes et bras avec fureur, le visage noyé de larmes et les yeux aussi sombres que la nuit qui s'étend dehors. Si sa crise d'angoisse m'a secoué, celle-ci m'effraie.
— Lâchez-moi, s'écrie-t-il, la voix cassée. Pitié. Je ne veux pas crever.
J'essaie de le maintenir en place, mon corps s'écrase contre le sien pour faire cesser ses mouvements. Rien n'y fait, il est plus puissant que ce qu'il paraît. Son état est loin d'être le même que lors de sa première crise. Je remarque sa douleur et sa peur, mais contrairement à plus tôt, il me paraît parfaitement conscient.
— Angelo ! Calme-toi, tenté-je en maintenant son torse avec mon avant-bras. Tu vas te blesser.
— Dégagez, je ne veux pas. Non ! Laissez-moi. Putain, Will !
Je ferme les paupières, le visage crispé et le cœur battant. Je ne comprends plus rien à ce qu'il se passe. Il se comporte si étrangement que l'anxiété s'immisce en moi.
— C'est moi. Arrête ! Tu dois te calmer maintenant ! T'es flippant, là.
J'ignore quoi faire pour le calmer, je n'ai jamais été témoin de ce genre de situation. Il me fixe mais semble ne pas me voir. Un voile de terreur recouvre ses yeux, j'ai l'impression qu'il n'a pas conscience de ma présence.
Dans mon champ de vision, j'aperçois le louveteau se déplacer. Il vient vers moi, visiblement imperturbable alors que DeNil gesticule violemment. L'animal secoue sa queue qui balaie mon visage à chaque aller-retour.
— Fraise, bougonné-je, ce n'est vraiment pas le moment pour les câlins..
Je tente de me focaliser sur DeNil, qui respire bruyamment.
— Ne me faites pas de mal, pitié. Je vous en supplie, gémit-il en secouant la tête.
— Bordel, Angelo ! C'est moi, je ne vais te faire aucun mal ! Mets-y du tien, que dois-je faire ?
J'appuie sur ses épaules, l'oblige à coller son dos contre la paroi froide du van. J'hésite entre le gifler pour lui remettre les idées en place ou le caresser doucement pour tenter de le calmer.
Je suis supposé faire quoi dans un moment tel que celui-ci ? Je n'ai pas signé pour ça, Angelo et ses crises névrotiques me sont tombés dessus sans que je puisse faire autrement. Comme si cette situation n'était pas suffisamment complexe, le sort s'acharne contre moi.
J'ai à peine le temps de l'apercevoir que le pied de DeNil s'abat violemment contre ma mâchoire. Je grogne de douleur alors que ma poigne se desserre sur ses épaules.
— Putain, grincé-je. Le con !
Je recule légèrement, sans pour autant le lâcher, tandis que la douleur se diffuse dans ma pommette et remonte jusqu'à ma tempe. Une migraine m'assaille, je peine à rester concentré sur son corps tremblant. Soudain, son visage se crispe, il cesse enfin de se débattre et ses yeux s'ouvrent si grands qu'ils pourraient presque s'exorbiter. Il est perdu, paraît totalement dépaysé.
— Marx ? souffle-t-il alors que je m'éloigne et masse ma joue. Est-ce que ça va ?
Sa voix est enrouée, son regard voyage partout comme pour s'ancrer à la réalité. Je me laisse tomber, mes fesses s'écrasent contre le plancher du véhicule et je ne cesse de le fixer pour être certain qu'il soit revenu à lui.
— C'était quoi ça, bordel ? T'étais flippant, et t'arrêtais pas de...
Je laisse ma phrase en suspens et soupire en passant une main lasse dans mes cheveux.
— Je suis désolé, murmure-t-il, mais ils voulaient me buter.
— Qui ? Il n'y a personne ! Il n'y avait rien du tout, Angelo !
Il secoue vivement la tête, comme s'il essayait de comprendre, de remettre de l'ordre dans ses pensées.
— Mais ils voulaient me..., bredouille-t-il.
— Mais qui ? craché-je brusquement.
Je regrette immédiatement ma véhémence, je vois bien qu'il est perdu et terrifié. Les larmes s'épanchent encore sur ses joues.
— Les hommes qui étaient là, souffle-t-il en baissant la tête.
— Il n'y avait personne, répété-je encore. Je suis sorti, j'ai fait tout le tour du van. Nous sommes seuls.
— Ce n'est pas possible, il y en avait un derrière la vitre, puis après ils étaient plusieurs ici et ils m'attaquaient. Tu l'as entendu aussi le bruit dehors !
Je hoche la tête, me souvenant parfaitement de ce bruit qui m'a fait quitté les dernières bribes de sommeil.
— Je l'ai entendu oui, mais ça ne veut rien dire. On est en pleine nature, Angelo. C'était peut-être le vent ou un animal.
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