Chapitre 12, partie 1 :

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Angelo DeNil :

Le ciel se couvre peu à peu alors que nous évoluons à travers la forêt. Marx n'a de cesse de me poser des questions auxquelles je réponds par des grognements mécontents. Il m'agace.

En plus de mes crises d'angoisses et de celles qui dessinent des images morbides dans mon esprit, il est maintenant au courant de mon besoin obsessionnel de souffrir. Je déteste le fait qu'il connaisse l'étendue de ma folie et la place qu'elle occupe dans ma vie. C'est ma faute après tout, j'aurais dû attendre qu'il s'éloigne réellement pour commencer à me dévêtir.

Si en temps normal il me dépasse et râle parce que je suis trop lent, cette fois, il avance à la même cadence que moi et cela m'exaspère.

— Tu as commencé à te mutiler à quel âge ?

Je soupire bruyamment, il me gonfle.

— Tu n'as pas bientôt fini avec ton interrogatoire ? J'ai l'impression d'être en garde-à-vue.

— Je me pose trop de questions et je n'apprécie pas ça.

— Ça va t'avancer à quoi de connaître tous ces détails ? Tu dormiras mieux cette nuit ?

— Peut-être bien, marmonne-t-il en passant une main dans ses mèches sombres.

Je rabats la capuche de mon manteau sur ma tête et espère qu'elle atténuera le son de sa voix.

— Allez, DeNil, parle-moi.

C'est presque une supplication. Il est lourd.

— Je te parle, là.

— Non, tu souffles et grognes toutes les deux minutes.

— Parce que tu m'emmerdes, Marx.

— Pourquoi tu ne veux pas me répondre ?

— Rien de tout ça ne te regarde pas.

— Je n'en parlerai à personne si c'est ce qui t'inquiète.

— Je suis ravi de savoir que tu ne raconteras pas ma vie à ce chêne là-bas, ou à ce buisson ici.

— Sois sérieux, râle-t-il. Je parlais des gens du lycée.

— Il faudrait déjà qu'on les retrouve ces gens.

Il s'arrête, m'oblige à l'imiter en se positionnant devant moi. Je relève le menton pour l'observer, alors qu'il baisse la tête.

— Dis-moi, Angelo.

— T'en as pas marre de faire deux mètres ? Genre, c'est pas relou quand tu es face à des gens de ma taille ?

— C'est quoi, ça ? Une diversion idiote pour changer de sujet ?

— Ouais, ça fonctionne ? demandé-je avec espoir.

— Non, parle !

— Putain, craché-je en le repoussant pour tenter de passer.

Il reste immobile, me surplombe encore.

— Je ne te lâcherais pas, m'avoue-t-il en courbant le dos pour que sa tête soit à quelque centimètres de la mienne.

— C'est une menace ?

— Une promesse, murmure-t-il.

Son souffle caresse mes lèvres. Je clos les paupières pour essayer d'ignorer la sensation qui réchauffe le bas de mon ventre. Je suis inlassablement à la recherche de sensations mais tout est beaucoup trop intense avec lui. Que ce soit ma colère ou mon mépris lorsque je lui crache au visage des immondices, ou ce désir nouveau quand il est si proche de moi que je ressens chacune de ses respirations.

Je me dresse légèrement sur la pointe des pieds, m'approche davantage. Ses iris océan me regardent, ses lèvres sont si près des miennes. Je n'ai d'yeux que pour elles et essaie d'imaginer ce que je ressentirais si je franchissais la distance qui nous sépare.

Je n'ai aucune d'idée de la raison qui me pousse à vouloir l'embrasser. Est-ce le fait d'être loin de la maison, de ma mère toxicomane et de ma petite sœur à protéger qui me fait désirer une chose qui m'apportera un fragment de bien-être ?

— Parle-moi, souffle-t-il.

Mon sang se glace alors que mon envie de l'embrasser s'évapore doucement à cause de sa curiosité mal placée. Je gonfle les joues et expulse l'air contenu dans ma bouche sur son visage. Il écarquille les yeux et hausse les sourcils avant d'esquisser un léger sourire. Je m'éloigne rapidement avant de franchir un écart qu'il refuse catégoriquement. Même si ça m'emmerde et qu'au fond je sais qu'il se voile la face, je ne ferais rien qu'il refuse. J'ai déjà dépassé les bornes en sa présence.

— Tu me fais chier, réponds-je en soupirant.

Je m'assois sur le sol recouvert d'une épaisse mousse verte. S'il souhaite une conversation, alors il l'aura en suivant certaines conditions. Je suis épuisé et veux une pause.

— Ok, pose ton cul et énumère tes stupides questions.

Il hoche vivement la tête et sourit avec satisfaction. Un instant plus tard, il est installé face à moi.

— Tu as commencé à quel âge ?

— J'avais huit ans.

L'étonnement est visible sur son visage, suivie de près par ce qui semble être de la peine.

— Mais tu n'étais qu'un gosse, s'horrifie-t-il. Bon sang, mais comment as-tu pu t'infliger une atrocité pareille à un si jeune âge ?

— Je te l'ai dis, d'aussi loin que je me souvienne j'ai toujours été un peu dérangé.

— Dérangé ? C'est à cause de la maladie de ta mère ?

Je pouffe de rire, s'il savait de quel trouble souffre Bérénice il ne ferait pas cette triste moue qui lui va à ravir.

— Elle n'était pas malade à cette époque, c'est depuis la mort de mon père qu'elle n'est plus apte à s'occuper de ses mioches.

— Tu avais quel âge lors de son décès ?

— Treize ans.

Il fronce les sourcils et semble réfléchir. Je suppose qu'il tente de comprendre ce qui cloche réellement chez moi. Certes, mon état s'est aggravé suite à ces deux événements mais le problème ne provient pas de là.

— Alors qu'est-ce qui t'a poussé à te faire du mal ? Je ne comprends pas.

— C'est normal puisqu'il n'y a rien à comprendre. Tu crois que je prends ces médocs pour le plaisir ? demandé-je en sortant le flacon de ma poche pour en avaler un.

Je les prends toujours par deux mais il ne m'en reste que très peu. J'ai besoin de les faire durer pour éviter toutes sortes de rechutes désagréables et incontrôlables.

— Alors quoi ? Tu es...

— Bipolaire, le coupé-je.

Will me regarde étrangement, ses yeux me fixent avec une intensité curieuse. Il hoche la tête, puis arrête et recommence attendant sûrement plus d'explications.

— Quoi ?

— Continue, m'encourage-t-il en souriant gentiment.

Je le toise puis soupire, il ne me laissera pas en paix si je ne lui donne pas plus de détails.

— Mes parents m'ont emmené voir un médecin lorsque j'étais enfant, je devais avoir cinq ou six ans. J'étais dans une période très sombre. Je refusais de me nourrir, de parler, j'étais constamment dans le noir et débitais des choses étranges sur la mort et mon envie de disparaître. On m'a diagnostiqué une dépression en assurant que mon état allait s'améliorer avec le temps, quelques séances avec un pédopsychiatre et une cure de médocs à base de plantes pour me calmer. Ça a fonctionné, je me suis senti mieux après quelques semaines.

Je me tais, observe Will dans l'espoir que cela lui suffit. Pourtant je sais pertinemment que ce n'est pas le cas, il ne peut pas se contenter de si peu. Il incline la tête puis lève un sourcil pour m'inviter à continuer.

— Je me suis senti bien pendant trois mois, soupiré-je, puis tout est parti en vrille, si vite que je ne me souviens plus vraiment de comment ça a commencé. Je me rappelle de ces périodes où j'étais complètement euphorique pour de simples broutilles. Tout me rendait si joyeux, si énergique que je ne dormais presque plus. Pourtant, bien que mes nuits étaient très courtes, je n'étais jamais fatigué. J'agissais étrangement, riait souvent très fort et pour aucune raison apparente, je réveillais Loli à chacune de ses siestes, ou donnais mal au crâne à mes parents. J'étais ingérable. Une foutue pile électrique qui ne se déchargeait jamais, jusqu'à ce que mon envie de mourir ressurgisse brusquement. Ça ne faisait que ça, je débordais d'énergie par moments et d'autres j'étais à zéro, mal dans ma peau, dans ma tête. J'ai été diagnostiqué bipolaire très jeune et c'est plutôt rare.

Le regard de Will s'intensifie, j'ignore ce qu'il désire mais ses yeux me scrutent avec espérance.

— Pourquoi tu me regardes de cette façon ?

— Explique-moi, souffle-t-il. Tu m'as raconté comment tu étais enfant, mais maintenant comment ça se passe ? C'est l'Angelo que j'ai en face de moi que je veux cerner.

— Je t'en ai dit bien assez.

— Pas suffisamment pour que je comprenne comment tu fonctionnes.

— Désolé, je n'ai pas de mode d'emploi, craché-je avec véhémence.

— Ne réagis pas comme ça, Angelo, dit-il tout bas. J'ai réellement envie de savoir qui tu es.

Je le toise pendant un moment, mitigé entre l'agacement et l'exaspération, puis expire longuement lorsque je remarque toute la sincérité qui adoucit ses traits.

— Je peux rester stable, ça m'arrive parfois mais ces périodes ne durent jamais bien longtemps. Mes phases maniaques ne se manifestent plus comme avant. Depuis que mon père est mort, ce n'est plus l'euphorie qui domine, mais la rage et la colère, puis les phases de dépressions se traduisent par la peur et l'angoisse, la tristesse aussi, énormément de tristesse.

Ma voix n'est plus qu'un soupir lorsque je termine ma phrase. C'est la première fois que je parle de ma bipolarité, et n'apprécie pas le sentiment de malaise qui m'immerge. Jusqu'à maintenant, ma maladie n'était connue qu'aux yeux de Loli, Bérénice et Simona, j'ignore si c'est une bonne chose que Marx soit dans la confidence.

— Est-ce que ça t'empêche de vivre correctement ?

— Pas vraiment, enfin seulement si je suis mon traitement correctement. Les psychorégulateurs servent à stabiliser mes humeurs et atténuent les symptômes des phases maniaques. Sans eux, je deviens ingérable et suis capable de n'importe quoi. Les antidépresseurs, quant à eux, apaisent mes crises plus sombres, ces périodes de solitude et de mal-être.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi tu te fais du mal, dit-il en passant une main dans ses mèches brunes. Pourquoi tu t'infliges ça, alors que tu dois déjà tellement souffrir ?

La peine marque désormais son visage, et brise davantage mon cœur fissuré.

— J'ai besoin d'oublier, tu comprends ? Des raisons d'avoir mal j'en ai des tonnes, mais j'en ai ma claque de subir pour les autres, pour ma sœur, pour ma mère et pour toute la merde qui rôde dans mon esprit malade. Je veux juste me défaire de tout ça, soupiré-je en baissant la tête pour ne plus supporter son regard. Ça me fait du bien, Marx, ça me donne la sensation d'avoir le contrôle, tu vois ? Me blesser permet de mettre de l'ordre dans mon chaos, j'ai besoin de ça pour ressentir autre chose que les sentiments indésirables qui me tiraillent tout le temps. Intérieurement, je suis mort, Will, je ne ressens que de la colère et de la tristesse. La douleur m'aide à ne pas me perdre dans une de ces émotions durant trop longtemps.

Son regard me brûle la peau, pourtant je maintiens mon visage baissé. Lui avouer tout ce que je garde si secret depuis tout ce temps m'a épuisé. Je me sens mal, honteux de n'être qu'une personne malade qui n'a aucun contrôle sur elle-même.

Un long silence s'installe alors que je peine à retenir les larmes qui apparaissent sous mes paupières closes. Je suis éreinté d'être un mec qui déraille constamment, fatigué de cette vie que je ne supporte plus.

Un sursaut me secoue quand Will effleure ma peau. Sa main se referme autour de mon poignet et je me laisse faire lorsqu'il relève doucement la manche de mon manteau. Ses doigts passent lentement sur mes plaies boursouflées. Je serre les dents pour faire taire ma douleur. J'ignore si c'est l'effet de la souffrance ou simplement son contact, mais mon rythme cardiaque s'apaise.

— Depuis quand sont-elles là celles-ci ?

— La veille de partir pour la rencontre, réponds-je en fixant ses doigts sur mon poignet.

Ses ongles se plantent brusquement dans ma peau, là où elle est indemne.

— Aïe ! Putain, t'es con.

Je retire mon bras rapidement et le fusille du regard alors qu'il sourit sournoisement.

— Tu as dit que tu voulais ressentir des choses, ça marche visiblement.

— Va te faire foutre, grincé-je en frottant ma peau marquée. Ce n'est pas ce que j'attendais.

— Que veux-tu ?

— Que t'arrêtes de me prendre la tête.

— Je m'attendais à une autre réponse.

— Les autres ne te plaisent pas.

— Je préfère te pincer que te cogner, dit-il en haussant les épaules.

— Et tu optes pour quelle solution pour ce qui est de m'embrasser ?

— Marcher et t'ignorer.

Il se relève, me tourne le dos et se met à avancer en levant la tête d'une façon insupportable.

— C'est de la merde cette option, craché-je.

Je me redresse à mon tour, traîne des pieds en suivant Marx qui ne fait de nouveau plus attention à moi. Pour ça il est doué, c'est un point que nous avons en commun. Fraise s'est bien trop éloigné, je ne le vois plus dans les parages et j'avoue que ça m'inquiète. Bien qu'il me fasse encore un peu peur, je préfère quand il est près de nous et qu'il surveille nos arrières.

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