Chapitre 13, partie 2 [⚠️] :
Angelo DeNil :
Les larmes s'épanchent sur mes joues à mesure qu'il s'éloigne sans un regard en arrière. Mon cœur pleure, comment a-t-il pu ? Comment a-t-il réussi à me faire ressentir toutes ces choses extraordinaires pour ensuite me les arracher de la pire des façons ?
Je me suis égaré, j'ignore si je suis en colère ou horriblement blessé de cette réaction. Tout ce que j'ai ressenti en goûtant ses lèvres s'est évaporé à l'instant où j'ai croisé son regard rempli de regrets et de terreur. Est-ce moi qui lui fais peur ? S'agit-il de ma névrose, cette folie qui grouille dans mes veines comme un foutu cancer ?
Pourquoi a-t-il vomi après m'avoir embrassé ? Suis-je si pathétique que je le dégoûte désormais ? Il avait envie de moi pourtant, je l'ai ressenti au plus profond de mon âme. J'ignore ce qui l'effraie, mais pour une fois, je n'avais pas peur. Non, j'en désire davantage, souhaite profiter de ses baisers jusqu'à ce que la douleur anime mon cœur fêlé. Seulement, il m'a parfaitement fait comprendre que je n'y aurais plus droit. Je n'en vaux probablement pas la peine. Je ne mérite pas de me sentir épanouie comme c'était le cas lorsqu'il m'embrassait. Je suis défectueux depuis la naissance, un amas de chair en putréfaction, comme mon esprit en décomposition. Je ne suis qu'une moitié d'homme, à mi-chemin entre ma vie et la chaleur des enfers.
Tu me fais pitié, me crache Ombre. Tu seras toujours ce pauvre gars perdu entre la réalité et la démence.
Je ferme les yeux, touché par cette pensée comme heurté par une cartouche de fusil. C'est atrocement douloureux.
Réveille-toi, Lolo. Il ne voudra jamais de toi.
" Pourquoi ? Peut-être que si, c'est un espoir sur lequel je dois m'accrocher. "
Accroche-toi jusqu'à la désillusion, toi non plus tu ne veux pas de lui.
" Si. Je veux à nouveau ressentir ce qu'il m'a administré. "
Ce n'est pas lui que tu veux, c'est cette sensation d'être vivant, visible aux yeux des gens.
" Je peux le désirer autant que ce besoin d'être en vie. "
Ça n'arrivera jamais, il a vomi après t'avoir embrassé. Ne vois-tu pas à quel point tu le dégoûtes ? Tu n'es qu'une erreur de parcours, un petit garçon uniquement bon à se détruire.
" Ne me dis pas ça, je veux que la lumière revienne. Tu n'es pas bonne pour moi. "
Elle ne reviendra pas, tu es coincé avec moi. Fais-toi mal, Lolo. On sait tous les deux que tu n'attends que ça.
J'ouvre de nouveau les yeux, zieute autour de moi. Will n'est plus là, j'ignore où il est parti et ne sais pas s'il reviendra. Mon cœur se serre, ça fait mal.
Les mots qu'il a prononcé la dernière fois que j'ai réclamé un baiser me résonnent aux oreilles. Je l'ai sûrement poussé à bout au point qu'il ait fini par en avoir marre de se répéter. J'ai exagéré, perdu à mon propre jeu.
Je me laisse glisser contre un tronc d'arbre, effaçant rageusement les larmes qui me ravagent le visage.
Fais-toi mal, Lolo.
Elle a raison, je l'ai trop souvent écouté pour faire marche arrière maintenant. Je relève la manche de mon manteau, et gratte sévèrement chacune des plaies qui s'éparpillent sur ma peau. Je frotte, pince, griffe jusqu'à ce que la douleur physique me fasse oublier celle qui meurtrie mon cœur. Le sang qui perle tache le dessous de mes ongles, coule sur mon poignet et dévale le long de mes doigts. C'est sale, poisseux, douloureusement agréable. C'est immonde et libérateur. Ça me donne la nausée autant que ça me plaît. C'est à mon image. Angelo DeNil, le brisé, le névrosé.
Je recommence la même manœuvre sur l'autre bras, tentant vainement d'oublier le désastre qu'a causé Will. Il est parvenu à me faire sentir vivant pour la première fois en dix-sept ans, avec un geste d'une banalité éreintante pour les autres et pourtant si unique et inconnu pour moi. Je sanglote comme un con, comme un gosse à qui on a volé la tétine. Je suis lamentable. L'air me manque, je suffoque plongé sous un océan de désespoir.
Mon regard se dirige vers la sucette déjà envahie d'insectes et j'ai la haine. Une haine grandissante qui me broie de l'intérieur lorsque je visualise le bonbon dans la bouche de Marx après être passé dans la mienne. Une rage qui me percute si violemment que mon estomac me fait souffrir.
Je suis enragé, à cause de moi et ma stupidité, de Marx et de sa réaction beaucoup trop difficile à accepter. C'est à moi d'être odieux, pas à lui de me blesser.
Je le déteste, jamais cela ne pourra être autrement. Je le hais de m'avoir fait goûter aux délices de ses lèvres, davantage de m'avoir si brutalement repris ce privilège. Je maudis cette gourdasse de Marianna qui a le droit à toute son attention alors qu'il ne la désire même plus. Pourquoi ne veut-il pas de moi non plus ?
Ombre a raison, comme chaque foutue fois. Je ne désire pas William, ni personne d'autre finalement. Je n'espère que le souffrance qui apaise ma colère. Cette douce torture qui me fait tout oublier, ce martyre au goût alléchant de paix et de délivrance.
Je patiente, seul et poisseux du sang qui continue de couler et tacher ma peau. Will ne revient pas, je ne le vois pas, ne l'entend pas et la peur grandit en moi à mesure que les minutes défilent. Fraise n'est plus là, Will m'a laissé tomber comme une chaussette salie de foutre. Je suis seul et impuissant. Seul et terrifié.
Moi je suis là, murmure Ombre. Je ne te laisserai pas tomber.
— Je n'ai pas besoin de toi, dis-je à voix haute comme si je tenais une conversation avec un être fait de chair et de sang.
Ce n'est pas à toi d'en décider. Je fais partie de toi.
— Lumière aussi, pourtant elle s'est barrée.
Lumière est faible. Comme ton père qui est mort avant de te dire comment survivre dans ce monde, comme ta mère qui a préféré s'enfoncer des aiguilles dans les veines plutôt que de se battre pour Lolita et toi.
— Ne compare pas l'incomparable.
J'énonce les faits.
Est-ce normal de discuter avec une voix dans sa tête ? Je n'en sais foutrement rien, ce que je sais en revanche c'est que cette chose n'est pas ma conscience. Cependant, elle est présente depuis si longtemps qu'en effet elle fait partie de moi. Elle m'habite, me guide vers le côté le plus sombre mais le plus facile à emprunter.
— Je ne veux pas de toi.
Et personne ne veut de toi. Cesse de t'immiscer là où tu n'as pas de place.
— Où est-elle, ma place ?
Avec moi, la noirceur de ton âme.
Je tente de l'ignorer pourtant c'est chose difficile puisqu'elle résonne sans arrêt dans ma tête, comme un écho caverneux. Ma seule compagnie, la pire des amies.
J'observe le ciel, obscur, comme moi. Il va bientôt faire nuit, les nuages de pluie s'entassent au-dessus de ma tête et Will n'est pas revenu. J'avise mes plaies de nouveau ouvertes. Les coulées de sang m'appellent, m'incitent à malmener ma peau une nouvelle fois.
Fais-toi mal !
Elle résonne encore, insupportable conseillère. J'examine les alentours, rien d'autre que des arbres, des buissons et ce tas de branches qui attend, sûrement pour rien. Je rampe jusqu'à lui, à défaut d'avoir la force de me relever pour marcher. Assis en tailleurs, je retrousse mon pantalon jusqu'au genou. J'attrape le premier morceau de bois qui s'offre à moi et d'une poigne calculée l'abas sur mon tibia.
Je serre les dents.
Je recommence.
Je grimace.
Encore une fois.
Je grogne.
Quatrième.
Je retiens mes hurlements de douleur.
Cinquième.
J'arrête enfin.
J'observe le désastre sur ma jambe, ma peau bleue, les quelques gouttes d'épais liquide rouge et ce trou qu'a causé le bois. Je me repais de cette souffrance qui me rappelle que mon cœur bat.
Je suis dérangé, mais j'ai oublié William Marx et ses lèvres sur les miennes.
Tu vois, c'est la seule chose à faire quand tu vas mal. Ne comptes plus jamais sur les gens pour te faire sentir vivant alors que tu n'as qu'à faire couler ton sang.
Je suis défectueux, ravagé, mais j'ai oublié Will et les frissons, le bien-être qu'il m'a procuré. Ou peut-être pas...
Rien n'a disparu.
Ça n'a pas fonctionné.
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