Chapitre 22, partie 1 :

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Will Marx :

Pietro me fixe avec intérêt, attend patiemment que j'ouvre la bouche. J'aimerais en être capable, s'il y a une personne susceptible de m'écouter sans émettre aucun jugement, c'est bien lui. Mais j'ignore si j'en ai la force. Je ne sais tout simplement pas comment tourner toute cette histoire complètement hallucinante...

" Je ne suis pas amoureux de Marianna, ne l'ai probablement jamais été et ne veux plus être avec elle. Cependant, je crois éprouver des sentiments pas très clairs pour un mec, malade mental, qui se mutile et ne porte aucune importance à sa vie, ni la mienne finalement puisqu'il ne veut pas de moi. "

Non, je ne me vois clairement pas dire ça à mon meilleur ami.

Je n'en ai pas vraiment honte, ce qui me perturbe c'est de ne pas savoir mettre de mot exact sur ce que je ressens pour DeNil. J'ai aucune idée de si je suis hétéro, homosexuel refoulé, ou si tout simplement il n'y a qu'Angelo qui m'attire. Ma balance penche sur cette troisième supposition. Il est le seul capable de faire brûler ma peau en un regard, crépiter mon sang en un effleurement, embraser mon cœur en un sourire.

— Bon, tu vas le cracher le morceau ? s'impatiente Pietro.

Le regard dans le vague, j'observe l'herbe verte qui s'étend sur plusieurs mètres. On s'est installé sur la pelouse du parc dans lequel nous avons l'habitude de flâner lorsqu'on termine les cours. Nous y sommes rarement seuls, il est probable que le reste du groupe débarque d'une minute à l'autre.

— Murray refuse que je participe aux matchs qui m'ouvriront les portes de l'université, parviens-je à dire.

J'arrache quelques brindilles pour essayer de tempérer la colère et la peine qui me tiraillent l'estomac.

— Montre-moi ton pied, ordonne mon ami.

Je le regarde incrédule alors qu'il fronce les sourcils et hoche la tête pour m'inciter à agir. Je soupire bruyamment pour lui faire comprendre que ça ne me plaît pas mais obtempère tout de même. Avec lenteur, je remonte le bas de mon jogging et desserre les lacets de ma basket pour finalement la retirer. Je serre les dents quand Pietro attrape mon genou et enlève à la hâte ma chaussette et le bandage pour voir l'étendue des dégâts. C'est encore sensible. Je suis contraint de l'admettre, mais les plaies sont propres et presque toutes cicatrisées. C'est moins gênant à regarder qu'il y a quelques jours.

— Il a raison, tranche-t-il d'une voix grave. Tu n'es pas apte.

— Pardon ? protesté-je outré. Tu ne vas pas t'y mettre non plus !

— Quoi ? Tu ne peux pas taper dans un ballon avec ton pied dans cet état. Chaque tir te ferait souffrir.

— Il est question de mon avenir, là, m'agacé-je. Je me fiche d'avoir mal pendant trois matchs si au bout du compte je suis pris en équipe universitaire.

— Je veux bien l'entendre, mais tu feras quoi de ton avenir si en jouant trop tôt, cette blessure mal guérie te force à mettre complètement fin à une carrière que tu n'as même pas encore commencée ?

Je reste muet face à ses propos. Il est vrai que je n'avais pas vu les choses sous cet angle.

Il n'a pas tort, mais dans les deux cas de figures mon avenir dans le monde du football est mis à mal. Si je ne joue pas, je n'ai pas de bourse. Si je joue, le scénario que Pietro vient de me livrer est tout à fait envisageable.

— Je sais ce que tu ressens, vieux. Être sur le terrain est notre rêve depuis que l'on est en âge de marcher, mais je suis persuadé que ce n'est pas fini pour toi. Ça ne peut pas se terminer comme ça, je suis certain que le coach trouvera une solution.

— Quelle solution ? ricané-je amèrement. Il a été catégorique. Je ne joue pas, point barre. Et il ne semblait pas avenant à chercher une alternative.

— Sérieusement, tu as déjà vu Murray laisser tomber un de ses gars ?

— Non, grogné-je, mais il suffit d'une fois.

Pietro me tape dans le dos, pour ensuite le frotter avec énergie.

— Tu ne seras pas cette fois ! Tu es celui qui a le plus de potentiel dans notre équipe, si on t'a tous choisi comme capitaine ce n'est pas pour rien, et le coach en était le premier d'accord.

Je reste muet. Je ne souhaite pas lui donner raison, bien qu'il sache pertinemment que je suis d'accord avec lui. Nous n'avons pas besoin de parler pour nous comprendre. Il suffit d'un regard, d'un geste, d'une expression. En plus d'être mon meilleur ami, Pietro est mon frère, mon roc, ma raison.

Il sort de son sac deux barres protéinées et m'en tend une que j'attrape sans conviction. Je n'aime pas celles au chocolat.

— Mange, t'es aussi pâle que le cul d'un nouveau-né, se marre-t-il en mordant dans son gâteau.

Je grogne et l'imite avant qu'il ne se mette à chanter pour que j'obtempère. Rivierra chante si mal qu'il se sert de ses vocalises comme arme de guerre lorsqu'on refuse de l'écouter ou que nos opinions divergent. Il beugle jusqu'à ce qu'on secoue le drapeau blanc dans l'unique but de le faire taire.

— Le premier os a été traité, lâche-t-il en postillionant des morceaux de céréales, maintenant venons au réel problème, tu veux ?

— C'est ça le réel problème, soufflé-je en arrachant de nouveau le gazon.

— Tu ne vas pas me la faire, mon frère. Accouche !

— Il n'y a rien de plus que ce que je t'ai déjà dit.

— Tss, tu vas me vexer si tu penses que je vais gober ça. Avant qu'on parte pour la rencontre tu m'as dit que Marianna t'étouffait. Depuis que te es revenu tu ne supportes même plus qu'elle te touche. Il n'y a qu'une seule explication logique à ça.

J'ouvre ma bouteille d'eau et avale une gorgée, tentant de mettre une distance entre cette conversation et moi.

— DeNil, lâche-t-il soudainement.

Je tousse brusquement, surpris par la facilité avec laquelle il a rassemblé les pièces du puzzle, étonné par la désinvolture avec laquelle il a prononcé son nom.

— Par...don ? dis-je entre deux quintes de toux.

— Je te connais si bien, admet-il en bombant le torse, fier de lui.

Mes joues rougissent violemment, comme si le feu se propageait sous ma peau. J'avais parfaitement conscience qu'il allait rapidement trouver le problème mais je ne pensais pas qu'il aborderait le sujet aussi facilement.

— Je suis loin d'être aveugle. Tu crois que je n'ai pas aperçu la façon dont il a tué Marianna des yeux ? Ou comment tu le regardais toi, avec ce regard tendre qui n'a d'ailleurs jamais existé devant ta copine, se marre-t-il.

Je baisse la tête. Je me sens mis à nu et n'aime pas cette sensation.

— Ton père et Marianna n'y ont vu que du feu, mais à moi, tu ne peux absolument rien me cacher.

— Putain, Pietro, soufflé-je apeuré, je me suis mis dans une sacrée merde.

Il est inutile de nier l'évidence, il ne me croirait pas de toute façon.

— Je te l'accorde, dit-il avec sérieux cette fois. Mais on ne peut pas aller contre ce que veut le cœur. Contredire sa tête et l'empêcher d'agir est simple comme bonjour, mais ce qu'il y a là, tu ne peux t'y opposer.

J'observe son index qui tapote ma poitrine et ma vision se brouille.

J'ai fait n'importe quoi, j'aurais dû interdire à Angelo de m'approcher, de m'atteindre de cette marnière. Je n'aurais jamais dû me laisser aller à de tels sentiments.

J'ouvre la main, là où repose encore le papier où sont inscrits le numéro et l'adresse des DeNil. Pietro le récupère et l'examine.

— Je vais aller chez lui, j'ai besoin de le voir, avoué-je en un murmure. C'est... plus fort que moi. Il est dans ma tête et je n'arrive pas à le faire s'en aller.

Il me rend le post-it en se raclant la gorge, le regard loin devant lui.

— C'est un bon plan d'aller à sa rencontre mais ce n'est pas pour maintenant.

Je relève la tête pour l'interroger, puis suis ses yeux qui fixent un point par-dessus mon épaule. Mon corps se tend lorsque j'aperçois ma petite-amie et Alexie se diriger vers nous. Décidément, rares sont les fois où j'ai envie de la voir.

— Elle dort chez moi, soufflé-je avec déception.

— Ouais, je le sais. Courage, vieux. On en parlera plus tard.

Je hoche la tête, complètement démoralisé. Je me laisse tomber sur la pelouse pour observer le ciel et les rayons de soleil qui m'éblouissent. Marianna s'installe dernière moi et me fait relever la tête pour la placer sur ses cuisses.

— Tu as eu ce que tu voulais ? m'interroge mon amie à peine assise avec nous.

J'acquiesce, un peu gêné qu'elle aborde ce sujet devant ma petite-amie. Je ne lui en tiens pas rigueur, Lexi n'a absolument aucune idée de mes intentions. Elle est persuadée qu'Angelo et moi sommes amis.

— De quoi tu parles ?

— Will cherchait un numéro de téléphone, je lui ai conseillé de demander à Margaret, la secrétaire.

— Ah bon ? Et quel numéro ? me demande ma copine en baissant la tête pour m'observer.

— DeNil.

Ce n'est pas dans mon intérêt de lui mentir alors qu'Alexie sait de qui il s'agit.

— Pourquoi tu veux parler avec ce mec ? C'est un taré, dit-elle avec dégoût.

Mes mâchoires se crispent. Je me relève brusquement, m'éloigne d'elle pour éviter à mon corps de trop se tendre.

— Depuis quand mes fréquentations t'intéressent ? craché-je acerbe.

— Ce n'est pas le cas, mais il n'est pas vraiment un exemple de normalité ou de sociabilité.

— Je ne vois pas de problème là-dedans.

Pietro me jette des regards appuyés qui me hurlent qu'il est préférable de me calmer. Ma réaction est disproportionnée mais elle m'agace à parler sans même savoir ce qu'elle dit.

— Je dis simplement que ça risque de paraître étrange si tu commences à trainer avec ce genre de personnes.

Je ravale la colère qui monte en moi, ce serait hypocrite de ma part de répliquer. Il y a quelques temps j'aurais très bien pu avoir de similaires pensées, mais sans pour autant me montrer venimeux comme elle. J'attrape mon sac et me lève sans chercher à discuter, je n'ai pas la force pour une telle conversation.

— On se voit plus tard, lâché-je en m'éloignant.

— Attends, tu vas où ? s'exclame ma petite-amie.

— On se voit plus tard, répète-je, j'ai un truc à faire.

— Je passe la nuit chez toi ? demande-t-elle en haussant la voix.

— Ça m'est égal, réponds-je assez fort pour qu'elle m'entende.

Ces cinq derniers jours ont été éprouvants. Je suis focalisé sur le même point depuis trop longtemps et j'en viens à ne plus réussir à penser convenablement. J'ai besoin de soulager mon cœur trop lourd.

J'ignore comment se dérouleront les évènements lorsque je serai devant sa porte mais en repartant, je pourrai me faire une idée sur comment se passera la suite. Je serai contraint d'opter entre deux solutions. La persévérance parce que j'aurais aperçu ne serait-ce qu'une infime lueur d'espoir. Ou, l'oubli suite à son rejet définitif, qui ainsi me poussera à vivre avec mes sentiments cachés, aussi douloureux soient-il.

Mon téléphone vibre dans ma main alors que je suis les indications du GPS qui me conduira jusqu'à chez Angelo.

Sms de Pietro à Will :

ADN ?

Je louche sur les trois lettres qu'il vient de m'écrire. Qu'est-ce que ça signifie ?

Sms de Will à Pietro :

Pourquoi tu me parles d'Adn ?

Sms de Pietro à Will :

Angelo DeNil, crétin. C'est bien là-bas que tu vas ?

Sms de Will à Pietro :

Depuis quand on parle par code ? Tu t'es pris pour James Bond ? On doit t'appeler 007 ?

Sms de Pietro à Will :

Je trouvais ça cool, je continuerais de parler de lui en utilisant ces lettres.

Sms de Will à Pietro :

Des fois je me demande si t'es tout seul là-haut. Mais ouais, je suis en route pour les quartiers sud.

Sms de Pietro à Will :

Bonne chance, Will la menace.

Je lève les yeux au ciel, c'est la deuxième personne qui m'appelle de cette façon en une journée. Ça n'augure rien de bon, ce surnom vient de ma première année et c'est un souvenir que j'aimerais bannir de ma mémoire.

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