Chapitre 28, partie 1 :
Will Marx :
J'ouvre les yeux avec peine, j'ai encore sommeil. Je crois m'être assoupi une petite heure seulement. Le corps chaud d'Angelo repose sur le mien, j'aime sa chaleur et son odeur.
Nous avons passé une bonne partie de la nuit à parler, à nous découvrir d'une nouvelle façon en plongeant dans des souvenirs lointain pour chacun. Il m'a expliqué son quotidien lorsque son père était encore en vie, puis comment sa mère est tombée dans les tréfonds de la drogue quelques semaines après sa disparition.
Je lui ai ensuite raconté des anecdotes sur mon passé. Il a bien ri quand j'ai détaillé le jour où Pietro et moi avions atterri aux urgences après une chute sur une balancelle en piteux état. Nous avions neuf ans, ce souvenir restera l'un des plus marquants de notre enfance. Nous étions morts de honte lorsque nos mères avaient hurlé dans le hall de l'hôpital. Elles répétaient que nous étions des inconscients à qui voulait bien les écouter et aujourd'hui encore nous y avons droit mais l'hilarité remplace l'embarras. Puis après une longue conversation, j'ai finalement craqué. J'ai ôté son pull pour désinfecter chacune de ses coupures avec minutie, le cœur mort et les mains crispées. J'en ai également profité pour nettoyer le sang sur mon visage. Ce n'est pas si terrible, une petite coupure barre mon arcade, un bleu s'étend sous mon nez et un second sur ma pommette. J'ignore encore ce qu'il m'a pris de défier un type sous deux grammes d'alcool. Sur le moment ça m'a paru être la meilleure idée pour faire taire mes pensées agitées. Ça n'a pas fonctionné.
Les doigts d'Angelo caressent mon bras, sa tête repose sur mon torse et nos jambes sont enchevêtrées. Un sourire étire les coins de ma bouche. Après la soirée catastrophique que nous avons passé, la finalité est davantage agréable.
— Bonjour, murmuré-je d'une voix cassée par la fatigue.
Sa tête se soulève et ses yeux s'ancrent aux mien. La lèvre coincée entre ses dents, il tente un petit sourire. Ses cheveux blonds sont en pagaille sur sa tête et d'épaisses mèches ondulées tombent sur son front. Il est sacrément beau.
— Je t'ai réveillé ?
Je secoue la tête et admire son visage détendu. C'est rare de le voir ainsi mais j'en suis déjà accro. J'aimerais que ses traits ne se contractent plus jamais, que ce soit de peine, de colère, ou de douleur.
— Tu as dormi ? demandé-je en retraçant l'arête de son nez avec mon index.
Il louche sur mon doigt, ses deux billes brunes se croiseraient presque. Si je pouvais, je graverais cette image sous mes paupières. Il a l'air d'être quelqu'un d'autre, une personne sereine et ça me fait chaud au cœur.
— Non, murmure-t-il, j'avais peur que tu ne sois plus là à mon réveil.
Seigneur.
Finalement il reste fidèle à lui-même, méfiant et angoissé.
Mes bras s'enroulent autour de lui, je l'attire vers moi de façon à ce que son visage soit à la même hauteur que le mien.
— Je ne comptais absolument pas m'en aller, lui assuré-je en ne quittant pas ses yeux.
Il hoche la tête, incertain quant à mes propos mais ne dit rien. Si seulement il pouvait comprendre que désormais, plus rien ne pourra me séparer de lui. Après cette lutte acharnée pour que nous soyons réunis, je ne vais pas m'éclipser. J'ai besoin de lui, de son audace, de son sarcasme et de son caractère de cochon. Il n'y a qu'en sa présence que je peux être moi, celui qui ne fait pas semblant, qui n'a pas besoin d'essayer d'être un autre.
J'embrasse ses lèvres en fermant les yeux pour m'imprégner au maximum de cette sensation.
— J'aime te regarder dormir, m'avoue-t-il. Je l'avais déjà fait au chalet, sans m'imaginer une seule seconde que tu pourrais partager mes nuits une fois à la maison. Tu es paisible quand tu dors.
Mon cœur s'emballe, je souris en ignorant quoi répondre à une telle déclaration. Angelo n'a vraiment aucune barrière. Les mots sortent d'eux-mêmes de sa bouche sans qu'il ait à réfléchir, qu'ils soient bons ou mauvais. Ceux-là étaient incroyablement doux.
Ses doigts effleurent encore mon bras, je les observe un instant et remarque que de l'encre tache son index. Je relève la tête, cherche son carnet en cuir qui se trouve sur la table de chevet. Il n'y été pas avant que je sombre dans le sommeil, je comprends alors qu'il s'est laissé aller à ses inspirations qui me sont inconnues. Je ne lui pose jamais de question à ce sujet, bien que j'en meurs d'envie, mais il a droit à son intimité. J'espère que ce qu'il a rédigé cette nuit n'est pas douloureux.
— Tu commences à quelle heure ? demandé-je finalement. Je vais repasser chez moi avant d'aller en cours, tu viens avec moi ?
— Je n'y vais pas, Will.
Il baisse la tête, la repose sur mon torse alors que ses doigts jouent désormais avec la couture de mon tee-shirt.
— Pourquoi ?
— Je ne peux pas les affronter aujourd'hui. J'ai besoin d'un temps d'adaptation.
Sa voix n'est qu'un murmure brisé par l'appréhension.
Je me redresse, l'emporte avec moi pour qu'il s'installe entre mes jambes.
— Je serai là, Angelo. Je ne laisserai personne t'atteindre.
Il fuit mon regard alors que je cherche le sien. Notre position est étrange, ses cuisses sont par-dessus les miennes tandis que mes jambes encerclent ses hanches. Nous sommes si proches que je perçois sa respiration erratique à mes oreilles autant que je la sens s'échouer contre mon torse.
— Je sais et j'emmerde leurs avis, ce n'est pas le problème, chuchote-t-il.
— Alors qu'est-ce qui ne va pas ?
— J'ai besoin d'une journée ou deux pour me faire à l'idée que ton prénom et le mien soient sur toutes les lèvres du lycée.
La réalité me rattrape subitement, je me sens coupable. J'ai agi sur un coup de tête sans même songer à ce qu'il serait capable de ressentir ensuite. Je déteste Carter de ne pas m'avoir laissé le temps d'assumer ma relation, pourtant, j'ai également forcé la main à Angelo. Je ne vaux pas mieux que Noah, finalement.
— Je te demande pardon, Angelo.
Mes mains englobent son visage pour l'inciter à me regarder. Ses yeux se posent sur le mur derrière moi, il me sonde enfin lorsque mes pouces retracent sa lèvre inférieure.
— Je suis désolé.
— Pourquoi tu t'excuses ?
— J'ai été égoïste. J'ai laissé sous-entendre à tout le monde que nous étions ensemble sans même te demander ton avis. Pardon, vraiment... Je n'aurais pas dû prendre cette décision à ta place.
Il fronce les sourcils, incline légèrement la tête puis l'approche pour que nos lèvres s'effleurent alors qu'il me répond :
— Tu penses réellement que ça me pose un quelconque problème qu'ils le sachent ?
— Je ne sais pas. C'est ce que je voulais, mais tu n'étais plus là. J'ai parlé pour nous sans que tu puisses donner ton avis.
Ses mains se perdent dans mes cheveux emmêlés, son corps se colle davantage au mien, nos torses sont compressés l'un à l'autre.
— Soyons clair, Marx, je me fous complètement que tout le bahut soit au courant que toi et moi formons un... couple ?
J'acquiesce pour répondre à sa question. Dans mon esprit, nous en sommes un depuis la première nuit que nous avons passé ensemble au chalet de Médérick et Janet.
— Certes, je ne suis pas prêt à entendre certains mots de ta part pour le moment, mais si je pouvais proclamer au monde que tu es mien, je le ferais. Ce qu'ils pensent, tous ces connards du lycée, ça m'est bien égal. Ils ont déjà débité des conneries à mon sujet et tu le sais très bien, tu faisais partie de ce même cercle, Will.
Je baisse les yeux, honteux. Il a raison, mais je n'ai jamais dit de choses déplacées à son sujet, je ne connaissais même pas son nom avant notre accident. Je me contentais simplement d'acquiescer lorsqu'ils disaient que les journalistes étaient étranges.
— Ils peuvent bien ajouter ce qu'ils veulent à leur longue liste d'injures, que je suis pédé, fou, pauvre, je m'en moque. Personne ne sait qui je suis, même moi je l'ignore, alors leurs insultes ne m'atteignent pas. Le problème c'est que... je ne supporterai pas de les entendre parler en mal de toi.
Ses doigts se resserrent sur mes mèches, il tire doucement mes cheveux. Mon cœur est en souffrance. J'ai de la peine qu'il soit contraint d'encaisser les paroles des autres depuis tout ce temps, mais surtout parce qu'il pense à moi et ma réputation avant de penser à lui.
— Je ne suis pas certain de réussir à garder mon sang-froid si j'entends des choses injurieuses sur toi parce que tu es avec moi, continue-t-il. J'ai besoin d'un temps d'adaptation pour me mettre en condition.
Je hoche la tête en l'admirant comme si les mots qu'il vient de prononcer étaient la plus pure des déclarations. Je resserre davantage mon étreinte, mes mains glissent également dans ses cheveux et je l'embrasse comme si ma vie en dépendait. Mes lèvres cherchent les siennes, nos salives se mêlent, sa respiration copie la mienne et nos peaux frissonnent.
Ses baisers sont mes soupirs.
Je n'en ai jamais assez, n'en suis jamais repu et en demanderai encore, avec l'acharnement d'un assoiffé face à un verre d'eau.
Il mord ma langue alors qu'elle glisse entre ses lèvres. La pression qu'il y exerce me fait gémir. C'est un râle qui remonte ma gorge pour se perdre dans sa bouche. Il sourit contre elle avant de s'éloigner pour laisser tomber son front sur mon épaule.
— Je souhaite que ces sons me soient entièrement exclusifs, murmure-t-il.
— Ils le sont depuis que tu m'as allumé avec ta sucette au citron.
— Ça a mal fini ce jour là, grimace-t-il.
— C'était nouveau pour nous deux...
— Tout est nouveau depuis que je te connais.
— Je sais, réponds-je en souriant.
— Il est encore tôt, fait-il remarquer en zieutant un vieux réveil.
Je hoche la tête. Il est à peine cinq heures du matin, le ciel se réveille avec lenteur.
— Quand dois-tu partir ? s'enquiert-il alors que je nous rallonge sur le matelas.
— Je commence à 11h00, je vais m'en aller vers 9h30. Je n'ai pas mes cours, je dois repasser chez moi.
Il acquiesce mais je ne peux pas louper la déception qui ternit son regard. J'effleure son visage alors qu'il repose sa joue contre ma poitrine.
— On dort un peu ? Je suis mort.
— Je dormirais seulement si tu m'assures que tu ne partiras pas sans prévenir.
— Promis, chuchoté-je en embrassant le sommet de sa tête.
J'attrape sa main pour entremêler nos doigts que je laisse reposer sur mon flanc.
Quelques minutes plus tard le sommeil l'a déjà rattrapé, sa respiration est régulière et son souffle me caresse. Il était épuisé. En réalité, je crois qu'il l'est constamment et cela peu importe le nombre d'heures durant lesquelles il dort. J'admire son visage pâle cerné par de grosses marques bleues, le temps d'un instant, apaisé de l'avoir dans mes bras. Je récupère ensuite mon téléphone sur la table de chevet lorsqu'il se met à vibrer.
Sms de Maman à Willy :
Ta chambre est vide, tu passes la nuit chez Pietro ?
Sms de Willy à Maman :
Pas Pietro, je suis chez un ami. Je repasse à la maison avant d'aller au lycée.
J'ai énormément de choses à dire à mes parents. Leur apprendre ma rupture avec Marianna sera déjà un bon début, puis peut-être leur parler d'Angelo et de ce que je ressens pour lui.
Le portable encore dans ma paume, j'ouvre l'appareil photo pour immortaliser l'instant. Je prends plusieurs clichés de la main d'Angelo dans la mienne, sur mon ventre. Je détaille les images jusqu'à tomber sur la photo parfaite. Ses mèches blondes apparaissent sur un angle du téléphone, nos doigts sont soudés, entrelacés. Je me permets l'audace de la mettre en fond d'écran, puis ouvre la conversation sms de Mike. Nous avons échangé à plusieurs reprises depuis qu'il nous a déposé à la gare routière.
Sms de Will à Mike :
C'est peut-être toi qui avais raison.
Je joins la photo avec mon texto et n'hésite qu'une seule seconde avant d'appuyer sur " envoyer ".
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