Chapitre 28, partie 2 :

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Will Marx :

— Tu es sûr de ne pas vouloir aller en cours ?

Angelo hoche la tête, avant de se cacher sous la couverture. Il est encore à moitié endormi, alors que je suis déjà habillé et bien réveillé. Nous n'avons pas suffisamment profité du sommeil et bien que l'envie de rester au lit avec lui me fait de l'œil, je n'ai pourtant pas d'autre choix que de me remuer.

Le buste penché vers lui, je tente d'attirer son attention mais il refuse de sortir le nez de sous la couette.

— Tu ne te lèves pas ?

— Si, râle-t-il. Je ne vais pas te laisser seul dans cette baraque sinon tu vas prendre peur et ne plus jamais vouloir entendre parler de moi.

— Ne dis pas de bêtises, m'amusé-je. Il va en falloir énormément, et encore je ne suis pas certain que ça puisse se produire...

— Mouais, bref, pousse-toi.

Je me redresse en souriant.

— Attends-moi dans le salon, j'arrive dans deux minutes.

J'acquiesce et quitte la chambre alors qu'il peine à se mettre en marche. Une odeur de café et de cigarette atteint mes narines lorsque je pénètre dans le séjour. Je reste un instant immobile pour découvrir ce que je n'ai pas eu le temps de voir la veille. C'est une petite maison, un peu en désordre certes, pourtant rien ne me choque à première vue. Le mobilier est ancien, un peu usé, mais ce n'est pas si terrible. J'ignore ce qui effraie Angelo, en toute honnêteté, ce n'est pas une catastrophe. Je connais la raison pour laquelle il se démène, je suis même admiratif en réalisant qu'il ne s'en sort pas mal du tout. Même si quelques objets trainent ici-et-là, tout paraît propre. Cela doit être épuisant, je comprends pourquoi il a toujours l'air si fatigué. Mon cœur se serre, ce n'est pas ainsi que doit se dérouler la vie d'un jeune de dix-sept ans.

Je fais quelques pas, prends place sur une chaise un peu bancale, près d'un fauteuil où est installée celle qui doit être la mère de famille. Je murmure un " bonjour " approximatif en évitant de trop la fixer. Ses pupilles dilatées et ses joues creusées me mettent mal à l'aise.

— Lolo, commence-t-elle d'une voix nasillarde, sers-moi un café.

Je regarde autour de moi pour voir si Angelo nous a rejoint, mais ce n'est pas le cas. Les yeux de la femme me transpercent, c'est à moi qu'elle parle.

— Pardon ?

— Un café, répète-t-elle en agitant une tasse qui doit probablement lui servir depuis plusieurs jours.

Je me lève, récupère son récipient du bout des doigts et me dirige vers la cuisine attenante. Lorsque la tasse est pleine, je lui apporte en contournant le canapé.

— Tu as bonne mine aujourd'hui, Lolo, sourit-elle en attrapant son breuvage.

Je fronce les sourcils, un peu perdu. Croit-elle vraiment que je suis Angelo ?

— Je m'appelle Will, madame, je ne suis pas votre fils.

Elle ouvre plus grands les yeux, puis ses paupières retombent mollement. Elle me fixe avec insistance et finit par éclater de rire. Un son rauque et caverneux s'élève dans le salon. Au même moment DeNil apparaît, les cheveux humides et plaqués en arrière, vêtu d'un jogging qui retombe sur ses hanches et d'un tee-shirt élargi. Ses poignets sont recouverts de bandages imbibés de sang.

— Tu invites des gens à la maison sans mon accord, peste-t-elle finalement en fusillant son fils du regard.

Le ton froid et cassant qu'elle emploie me provoque des frissons de gêne. Angelo ricane alors qu'il part immédiatement dans la petite cuisine sans se soucier du reste.

— Je n'aurais pas pu te demander ton avis, t'étais défoncée dans le canapé. Bérénice, soit réaliste, tu n'as plus vraiment ton mot à dire sur mes occupations.

Sa mère me fixe désormais avec hargne et colère.

— Qui c'est ?

— Will, un ami.

— Il a dormi où ?

— Dans mon lit.

— Et toi ?

— Dans mon lit également.

Bérénice se lève difficilement, manque de tomber plusieurs fois avant d'arriver jusqu'à Angelo. Il se retourne lentement et se fige en apercevant sa mère si proche de lui. Il ne bouge plus, je me demande même s'il respire.

— Un ami ? crache-t-elle.

La main de la femme se lève et retombe brutalement sur la joue de DeNil. Mes muscles se tendent tandis que lui ne bronche pas du tout.

— Un soleil, répond-il comme si c'était la seule réponse qu'il fallait donner à cet instant précis.

Il ne semble pas perturbé suite à la gifle injustifiée dont il a été victime. Je ne comprends absolument rien à ce qu'il se passe sous mes yeux. Les poings serrés, je toise cette Bérénice, fou de rage qu'elle se permette de frapper son fils.

— Un... soleil ? souffle-t-elle, visiblement troublée.

DeNil hoche la tête sans pour autant se dérider.

— Tu vas bien, alors ?

— Je vais bien, maman.

J'ai la sensation d'assister à une scène qui se joue sur un écran, comme si j'étais simple spectateur et dans l'incapacité d'interagir.

La femme baisse la tête en attrapant rageusement le bras bandé de son fils. Elle serre fort, si puissamment qu'Angelo lâche un cri de douleur. La poigne se referme lourdement sur ses plaies à vifs, à tel point qu'il finit par s'écrouler. Les genoux à terre, un déferlement de larmes s'épanche sur son visage tandis que sa mère le malmène.

— Tu ne vas pas bien ! Regarde ce que tu as encore fait ! hurle-t-elle alors qu'Angelo encaisse sans chercher à se débattre.

Mon cœur s'emballe quand je croise son regard brun rempli de souffrance. Comme sorti d'une torpeur étouffante, je m'élance vers Bérénice pour tenter de l'éloigner. Angelo me supplie de ses grands yeux exorbités. Il m'intime silencieusement de ne pas m'en mêler mais je ne peux pas rester de marbre face à une telle scène. C'est inenvisageable pour moi de le laisser souffrir ainsi. Elle n'a pas le droit de lui causer du tort de la sorte.

— Lâchez-le ! grondé-je en fermant ma paume autour de son poignet.

Mon regard parcourt son corps, se pose sur les veines abîmées sur l'intérieur de son coude. Sa peau est sombre, comme nécrosée, remplie de trous d'aiguilles et d'ecchymoses. Cette vision me donne la nausée, c'est ignoble et cela doit sûrement lui faire un mal de chien. J'appuie mon doigt sur la partie la plus atteinte de son bras, meurtri par l'assaut de ses piqûres. C'est mal, mais la bienséance m'a quitté dès l'instant où elle a levé la main sur son enfant.

Cette situation me paraît désespérante. Comment peut-elle s'infliger ça ? C'est affreux, tout comme les plaies qui recouvrent la peau d'Angelo. Enfin, Bérénice s'éloigne de son fils en grognant de douleur.

— Pourquoi avez-vous fait cela ? pesté-je à la fois paniqué et énervé. Vous ne voyez pas qu'il souffre ?

J'aide Angelo à se redresser pour le ramener contre mon torse. Ses larmes s'écoulent sur mon tee-shirt alors que mon cœur bat trop puissamment. Ses doigts agrippent mon haut, je ressens toute sa détresse, tout son mal-être.

— Il ne va pas bien, se justifie-t-elle en haussant les épaules.

— Et vous pensez pouvoir l'aider en le faisant souffrir ? Prennez soin de vous, soignez vos bras complètement pourris par la drogue et ensuite vous pourrez essayer d'aider vos enfants, de façon adulte et responsable !

Je suis hors de moi, en colère et ravagé par une peine immense. Angelo n'est pas dans un environnement adéquat pour tenter d'aller mieux. Sa maladie mentale accumulée aux troubles de sa mère doivent être bien trop difficile à supporter. Je comprends enfin pourquoi il refusait ma présence entre ces murs. Il ne voulait pas que j'assiste à la misère de sa vie.

Sa tête se niche dans mon cou alors que ses larmes se tarissent. Quand il s'éloigne, toute la sérénité que j'ai eu la chance d'apercevoir sur son visage cette nuit a disparue. Il a retrouvé son éternelle morosité.

— Elle n'est pas une si mauvaise mère, la drogue la rend bête, beugle-t-il.

— Un soleil, répète-t-elle en se laissant tomber dans le fauteuil. J'aurais tout entendu !

J'ignore encore ce que ce mot signifie mais ne cherche pas à savoir pour le moment.

— Merci, murmure Angelo en embrassant brièvement ma joue. Café ?

— Euh... est-ce que c'est ta mère qui l'a fait ? demandé-je, méfiant.

— Non, ricane-t-il, Simona est sûrement passée quand nous étions au lit.

J'accepte la tasse qu'il me tend en ignorant Bérénice qui somnole, affalée sur le canapé.

— Ta sœur n'est pas là ?

— Elle est déjà partie, son bus passe à 8h15. Je t'aurais bien proposé de prendre une douche avant de partir, mais nous n'avons pas l'eau chaude.

Je fronce les sourcils, un peu surpris. Angelo le remarque et pointe son index vers un vieux chauffe-eau.

— Il est mort, répond-il simplement en buvant son café.

— Comment tu fais ?

— Je me douche chez Mona ou fais chauffer de l'eau mais la plupart du temps je me lave à l'eau glacée.

Ça m'attriste, mon cœur souffre plus que de raison. J'ignore comment lui et Loli font pour supporter tout ça.

— Je vais devoir y aller, déclaré-je à contrecœur en avisant l'heure sur mon téléphone.

Je n'ai pas envie de partir et de le laisser seul ici. L'angoisse va me ronger jusqu'à ce que je puisse avoir de ses nouvelles.

— Ça va aller ?

— Évidemment, je suis habitué.

— Tu ne devrais pas..., soufflé-je en jetant un œil vers sa mère. On se voit plus tard, hein ?

Il acquiesce et me sourit. J'hésite sur ce que je dois faire désormais. Dois-je l'embrasser ou simplement partir sans me retourner ? Il répond à ma question silencieuse en passant sa main sur ma nuque. Ses lèvres retrouvent les miennes pour un baiser lent qui me fait frissonner.

— À plus, murmure-t-il en me poussant vers la sortie.

♤ ♧ ♤

Lorsque j'arrive au lycée, je rejoins Pietro et Judas sous le préau de la cour, comme à mon habitude. Ils ont commencé plus tôt et m'attendent déjà.

— Salut, lâché-je simplement.

Pietro m'étreint rapidement comme il le fait toujours. Je n'avais aucun doute quant à son accueil, c'est la reaction de Judas que j'appréhende. Il me fixe pendant ce qui me semble durer une éternité, ainsi, je suis incapable de déceler ce qu'il pense. Enfin, il esquisse un léger sourire en me bousculant de l'épaule.

— Tu as retrouvé DeNil hier ? s'enquiert-il.

Je soupire alors que nous nous mettons en route vers l'immeuble.

— Ouais, je suis allé chez lui.

— Il allait bien ? s'intéresse Pietro. Vous vous êtes tapés dessus ou quoi ? Pourquoi tu as la tronche toute bleue ?

Je lève la main vers l'hématome sur ma joue tout en repensant à la nuit dernière. Nous étions connecté, enfin en paix, jusqu'à ce que sa mère pète une durite.

— Il n'allait pas bien non, et c'est une longue histoire. Je vous expliquerai plus tard.

— Pas besoin de nous expliquer, juste dis nous si c'est lui qui t'a fait ça, insiste Bloom.

— Non, pas du tout. On a pu mettre les choses à plat et maintenant c'est cool.

— Ça veut dire que tu n'es plus avec Marianna ?

— Non.

— Et que tu es avec lui ?

— C'est ça, soupiré-je.

— Maintenant, il va mieux ?

— Plus ou moins, ce n'est pas la grande forme. Que disent les bruits de couloirs ?

— Oh... euh et bien, tu sais... hésite-t-il.

— Tu dois te douter que ce ne sont pas que des bonnes choses, le coupe mon meilleur ami. Carter a un peu trop ouvert sa gueule et les avis sont mitigés.

À l'instant ou nous pénétrons dans l'enceinte de l'établissement, les murmures cessent et les regards se posent sur moi. Un groupe de filles s'approche à grands pas. C'est Mélodie Spencer qui prend la parole.

— C'est vrai ce qu'on raconte ? Tu as changé de bord, Will la menace ?

Sa question n'a laissé échapper aucune méchanceté, juste une curiosité enjouée.

— Euh non... je n'ai pas vraiment changé de bord, c'est juste que certaines choses ne se contrôlent pas.

— C'est la vérité alors ? questionne une autre. Tu sors vraiment avec ce deuxième année ?

— Ouais, c'est le cas, répond Pietro à ma place en passant un bras autour de mes épaules et le deuxième au-dessus de celles de Judas. Mes demoiselles, veuillez transmettre, à qui voudra l'entendre, le message suivant : quiconque parlera de façon négative sur mon frère ou son mec aura à faire à nous. Bloom ?

— Je suis d'accord, approuve-t-il en un hochement de tête.

Si je n'avais aucun doute quant au soutien de Pietro, j'appréhendais réellement la réaction de Judas. Je n'aurais pas dû hésiter, il vient de me faire comprendre que ma relation avec Angelo n'entache en rien notre amitié.

Les filles gloussent et commencent à s'éloigner.

— Ça marche, on transmettra.

— C'est tout de même dommage, Willy, on avait espoir qu'après Marianna tu te tournes vers l'une de nous.

Je me marre, pour le coup c'est loupé.

— Allez les gars, moi je me barre. J'ai cours avec madame Palmer, je me dois d'être à l'heure.

Judas et moi regardons Pietro s'en aller à petites foulées. Miss Palmer est l'objet de beaucoup de ses fantasmes. Il lui sort la carte de la séduction à chacun de ses cours, comme si elle pouvait ne serait-ce que s'en soucier. Rien n'arrête mon meilleur ami, pas même le fait qu'elle approche de la quarantaine, qu'elle ait un mari et deux enfants en plus d'être son enseignante. Il ne dépasse évidemment jamais les limites, ses flatteries restent loin d'un quelconque manque de respect.

Bloom me suit alors que je me rends tranquillement jusqu'à notre salle, nous partageons le même cours de chimie.

— Ça ne te pose pas de problèmes ? demandé-je tout de même.

— Non, aucun. Je ne comprends pas bien ce qui t'attire chez DeNil, il est... chelou. Mais si c'est vraiment lui qui te rendait si souriant ces derniers jours alors ça doit sûrement compter.

Je hoche la tête, cette fois pleinement rassuré.

— On n'a rien à dire, Will. Si tu te sens bien alors le reste ne doit pas t'atteindre. Carter est un connard qui mérite une bonne correction. Ce qu'il a fait hier était complètement débile, mais maintenant c'est à toi, enfin à vous, de montrer aux autres que vous ne prêtez pas attention aux commérages. Ce que vous faites ne regarde personne.

— Merci, vieux...

Il me tape le dos en ricanant alors que nous nous immobilisons un instant devant notre salle.

— Je vais faire un effort pour essayer de m'entendre avec ton pot... euh... mec. Et puis, le temps que tu ne me mets pas la main au cul, moi ça me va.

— Ne me tente pas trop, plaisanté-je alors qu'il roule des yeux en souriant.

Les murmures ne cessent pas même lorsque je longe la salle pour atteindre ma paillasse. Ça m'agace d'être le sujet de conversation principal de tout le monde, pourtant je ne me rebelle pas. Ça leur passera, comme pour tout finalement.

" Ils ont vécu des drames tous les deux, tu m'étonnes qu'ils se sont rapprochés. "

" Ça doit être dur de se retrouver à deux, perdus et affamés. Ça ne durera pas, ils se sentent probablement liés ou un truc dans ce genre. "

Je soupire en prenant place. Leurs propos ne sont pas bien méchants pour le moment. Je suis parfaitement capable de les encaisser. Pourtant, je dois bien admettre que je redoute ma reprise de lundi. Dans les vestiaires, les commentaires seront différents et Noah va sûrement envenimer les choses.

Je songe à Angelo, alors que le prof nous parle dans un langage qui me semble étranger. Je me demande s'il va bien, si sa mère le laisse tranquille ou si elle continue à le harceler pour cette histoire de soleil.

J'aimerais pouvoir entrer en contact avec lui lorsque je le désire. Je peux le joindre sur son fixe, mais ça ne me suffit pas. Il faut que je puisse communiquer avec lui, même lorsque nous sommes au lycée ou quand il n'est pas chez lui. Cela me donne une idée. Je suis certain qu'il n'appréciera pas mon initiative, qu'il va s'énerver et m'engueuler mais je ne lâcherais pas l'affaire. Qu'il me crie dessus pendant dix minutes n'est pas un problème si je peux le joindre et m'assurer qu'il va bien à n'importe quel moment.

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