Chapitre 29, partie 1 :

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Angelo DeNil :

Cela fait plus d'une heure que je ramasse les objets que Bérénice s'amuse à jeter dans le séjour. Tout y passe, tasses, assiettes, bougies, journaux. Elle fait valser tout ce qu'elle trouve à sa portée en pestant comme une furie, des propos incompréhensibles.

— Attention, hurlé-je lorsque j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Il y a du verre partout !

— Mais qu'est-ce que c'est tout ce chantier ? hallucine Loli.

— Ta mère est de mauvais poils, grogné-je en laissant tomber un morceau d'assiette dans un sac poubelle.

— Attends, je vais t'aider.

Elle laisse tomber son sac d'école sur le sol, et ne prend pas la peine de retirer son blouson avant de se mettre à quatre pattes pour m'aider à déblayer le passage.

— Baisse la tête ! braillé-je quand un projectile arrive vers elle.

L'objet passe à quelques millimètres de ses cheveux pour s'échouer sur le meuble de la cuisine. Je soupire, rassuré qu'elle l'ait évité, pourtant, la rage enfle en moi. Je préfère de loin quand notre mère somnole sur le canapé plutôt que lorsqu'elle est en crise de cette façon.

— Pourquoi est-elle si énervée ?

— C'est ma faute.

— Hein ? Qu'as-tu fait ?

— Rien, j'ai juste eu de la visite. Ça ne lui a pas plu.

— Rose est venue te voir ? demande-t-elle en avançant sur les genoux pour me rejoindre.

— C'était Will.

Elle se stoppe, lève ses grands yeux bleus bordés de cils clairs vers moi et fronce les sourcils.

— Comme William ?

— Euh, oui, pourquoi ?

— C'est lui qui appelle parfois sur le fixe ?

— C'est lui.

— Et c'est aussi lui que tu as évoqué hier soir ?

Je me tends brusquement en réalisant que toutes les stupidités que j'ai débité n'étaient pas dans ma tête. J'ai clairement avoué à Loli que je désirais Marx. C'est une catastrophe...

— Ouais, bougonné-je, c'est Will Marx.

— Alors, il compte pour...

— Tais-toi, la coupé-je brusquement. Ne dis rien !

J'avise rapidement notre mère qui me fusille de ses yeux rouges aux paupières gonflées. Il est probable qu'elle finisse par avoir ma peau.

— Un soleil, braille-t-elle pour la énième fois.

Elle se penche vers la table afin de récupérer un verre qu'elle lance dans ma direction la seconde suivante. Je lève le bras devant mon visage pour faire barrage mais il explose en tapant contre mon coude. Les éclats brisés volent à travers la pièce. Lolita ouvre de gros yeux en poussant un cri d'effroi puis court vers sa chambre. Je suis soulagé qu'elle n'a pas retiré ses chaussures, sinon ses pieds seraient ensanglantés.

Je me relève rapidement en secouant le bras pour faire partir les débris de verre accrochés à ma veste.

— Putain, tu vas te calmer ! hurlé-je. T'es complètement malade ! Fous-toi de la poudre dans le nez ou une aiguille dans les veines pour arrêter de nous casser les couilles !

Bérénice s'immobilise subitement, sûrement heurtée par la portée de mes mots. C'est bien la première fois que je l'encourage dans ses travers, mais elle va beaucoup trop loin. Elle aurait pu blesser Lolita et je ne l'accepte pas.

— C'est quoi ton problème ? Dis-moi ouvertement ce qui te dérange au lieu de brailler toute la journée. C'est Will ? Parce que je sors avec lui, ou parce que je suis un minimum en paix avec moi-même ?

Elle ne répond pas, se lève en titubant pour s'enfermer dans la salle de bain. Ses pieds nus ont écrasés plusieurs bouts coupants éparpillés sur le sol, pourtant elle n'a émis aucune plainte. C'est sa faute si sa peau est déchirée, elle n'avait pas à se servir de la vaisselle comme des projectiles pour me faire l'enfer parce que mes choix ne lui plaisent pas. Elle n'a pas son mot à dire quant à mes relations, je me moque de son opinion et de ses grognements incompréhensibles qui s'élèvent dans la maison.

Je rejoins ma petite sœur en soupirant. Elle est assise sur son lit et sanglote, la tête cachée entre ses mains.

— Je suis désolé, c'est ma faute, soufflé-je en prenant place à ses côtés.

Elle se laisse tomber contre moi alors que je la serre dans mes bras, puis elle dissimule son visage contre mon torse et pleure à chaudes larmes.

— Non, c'est elle ! Je la déteste, couine-t-elle en reniflant. Je ne supporte plus tout ça.

— Ne dis pas ça, tout finira par s'arranger. Je te le promets.

— Tu t'es encore blessé... je l'ai vu. Si tu me quittes, Angelo... que vais-je faire ?

— Ça n'arrivera pas, regarde-moi, Loli, jamais je te quitterai. Je suis ton grand-frère, c'est à moi de prendre soin de toi.

— Oui mais toi, commence-t-elle en relevant la tête pour me détailler à travers ses cils imbibés. Qui est là pour prendre soin de toi ?

Je caresse ses cheveux et lui souris pour tenter de la rassurer.

— Je crois avoir trouvé la personne qui peut le faire, lui avoué-je. Ne t'inquiète pas pour moi, ma poupée.

Elle pouffe de rire en entendant le surnom que je lui donnais quand nous étions enfants. Lolita est magnifique avec ses énormes yeux bleus, sa chevelure dorée et son petit nez droit. Elle m'a toujours fait penser à une copie grandeur nature d'une Barbie.

— J'en suis encore une ? demande-t-elle. Je n'ai plus cinq ans.

— Tu seras toujours ma poupée, même lorsque tu auras quarante ans, des rides, une tripotée de mioches et un mari que je ne pourrai pas blairer. Il y a des choses qui ne changent jamais, crois-moi.

Elle rit davantage. Ce son cristallin me fait du bien, je ne l'entends pas assez souvent.

— Je t'aime, Lolo.

— Moi aussi, réponds-je en souriant.

Je passe mes pouces sous ses yeux pour effacer les larmes. Je ne supporte pas la voir pleurer, cette douleur est semblable à un coup de poing en plein estomac.

— Alors, j'avais raison ?

— À quel sujet ?

— Qu'il te fallait quelqu'un d'aimant pour soigner ton cœur abîmé ?

J'entrouvre les lèvres sans savoir quoi répondre. La conversation que nous avions eu au milieu de la nuit, il y a de cela quelques mois, me revient en mémoire. Je me souviens parfaitement lui avoir répondu que je n'avais besoin de personne. Je me fourvoyais, il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis. Depuis que William Marx est entré dans ma vie, mon ciel semble un peu moins sombre.

La sonnette retentit, résonne dans notre petite maison. Je soupire, sauvé par le gong ! Je m'éloigne de Loli, heureux d'avoir une diversion pour éviter cette discution.

— Je reviens dans quelques minutes. Ne sors pas de ta chambre, je te préviendrai lorsque le salon sera rangé.

Elle hoche la tête avant que je referme la porte derrière moi. Bérénice est encore dans la salle de bain. J'évite le carnage qui recouvre le sol et vais voir qui fait irruption chez nous.

Un léger sourire se dessine sur mes lèvres lorsque je croise le regard océan de Will. Il fait un pas en arrière pour me laisser de la place sur le perron. Je l'observe rapidement, ses mains sont cachées derrière son dos et un sourire éblouissant illumine son visage.

— Je préfère quand tu m'accueilles en souriant plutôt qu'avec tes : qu'est-ce que tu fous là, Marx, dit-il en essayant d'imiter ma voix.

— Abruti, lâché-je en pouffant de rire.

— Tu me laisses entrer ?

Je jette un œil vers la porte fermée en secouant la tête avec énergie.

— C'est une mauvaise idée, Bérénice n'est pas de bonne humeur.

Ses traits se tirent légèrement, il acquiesce sans insister.

— Qu'est-ce que tu caches derrière ton dos ?

— Tu vas vite le savoir, m'assure-t-il. Viens t'asseoir avec moi.

Il me montre les marches du perron d'un signe du menton et j'accepte sa demande. Une fois installé, il fait pivoter le haut de son corps vers moi pour m'observer. Son regard est pétillant de malice.

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