Chapitre 31, partie 2 :
Angelo DeNil :
J'ouvre les yeux, réveillé en sursaut par des coups assourdissants qui résonnent contre la porte. J'ai du mal à quitter les dernières bribes du sommeil, je prends le temps d'analyser ce qu'il se passe autour de moi. Ma tête repose sur la poitrine de Will, alors que mes doigts enlacent les siens et nos jambes sont emmêlées sous la couverture. Il dort encore, visiblement pas perturbé par le boucan qui se déroule derrière ma porte. Sa respiration est légère et calme, comme les battements de son cœur sous mon oreille. Je souris en repensant à le soirée de la veille, à ses cheveux qui caressaient mes cuisses et le bas de mon ventre, puis sa bouche chaude autour de mon intimité.
Putain...
Je n'ai pas rêvé, tout était réel. William Marx m'a sucé jusqu'à ce que je me cambre, emporté par la jouissance. Seigneur, c'était inattendu, mais désormais, je crève d'envie qu'il recommence.
— Angelo ! s'exclame Loli en tapant plus fort contre la porte.
Je soupire longuement. Ma bulle vient d'éclater, retour à la réalité. Je me défais de l'emprise de Will avec précaution, tente de ne pas le réveiller en quittant le lit. Ce serait dommage que cela arrive alors que le brouhaha de l'extérieur ne l'a pas atteint. Il fronce les sourcils alors que je retire ma cuisse coincée entre les siennes. Les yeux toujours clos, il tend la main, tâte dans le vide jusqu'à ce qu'il m'effleure enfin.
Qu'il est beau, mon soleil.
Ses doigts s'enroulent autour de mon bras pour me ramener vers lui. Attendri, je caresse ses joues, retrace l'arête de sa mâchoire anguleuse.
— Will, soufflé-je, je dois me lever.
Il fait la moue, rend ainsi son visage triste et boudeur.
— Angelo DeNil ! Si tu ne sors pas, j'entre ! hurle Loli.
Marx ouvre les paupières, cette fois parfaitement réveillé et légèrement inquiet.
— Que se passe-t-il ? demande-t-il d'une voix rauque.
— Justement, je ne sais pas. Je vais aller voir, ne bouge pas.
J'embrasse son front et quitte ses bras. Je frissonne, les courants d'air s'infiltrent partout dans cette maison.
C'est un visage livide que je découvre lorsque j'ouvre la porte. Lolita jette un œil par-dessus mon épaule en se dressant sur la pointe des pieds.
— Pourquoi Will est là ? chuchote-t-elle.
Je n'ai pas le temps de répondre que la chaleur de ce dernier m'étreint. Je m'appuie contre son torse, comme si j'avais fait ça un million de fois auparavant. Ses bras m'entourent et me plaquent davantage contre son corps.
— Salut Loli, lâche-t-il de sa voix toujours aussi éraillée.
Elle hoche la tête, visiblement décontenancée puis se reprend en ancrant son regard bleu au mien.
— On a un gros problème.
— C'est-à-dire ? Il n'y a plus d'eau ? Plus d'électricité ? énuméré-je.
— On n'a plus de mère !
— Hein ? m'exclamé-je en quittant les bras de Will pour sortir de la chambre. Elle est où ?
Le salon est vide, Bérénice ne dort plus sur le canapé. Un carnage monstrueux est étalé dans le sejour, les tiroirs de la cuisine ont été vidés sur le sol, les placards ouverts et retournés.
— Putain, grogné-je, mais c'est quoi ce bordel ?
— Je n'en sais rien, je suis rentrée de chez Simona il y a à peine cinq minutes. C'était comme ça, et maman n'est nulle part.
Je me rue vers la salle de bain. La porte s'ouvre sans résistance, elle n'est pas là. La pièce est dans le même état que le reste de la maison. Le réservoir de la chasse d'eau du toilette est ouvert, les flacons de médicaments sont vides et éparpillés sur le sol. Mon cœur s'accélère brutalement, l'angoisse enfle en moi, mes jambes fourmillent et ma tête vacille.
Je retourne dans la cuisine en ignorant ma sœur et mon copain qui me suivent d'un pas rapide. J'attrape une chaise que je place près de la gazinière, y grimpe et observe le dessus de la hotte. Mes yeux s'arrondissent, il n'y a plus rien.
— Elle l'a pris, pesté-je en sautant de mon escabeau de fortune. Putain, je vais la tuer !
— Elle a pris quoi ? s'inquiète Loli. De quoi tu parles ?
— L'argent ! Elle a pris l'argent pour les courses de la semaine prochaine ! Je l'avais mis au-dessus, dans une putain d'enveloppe et elle n'est plus là !
Je suis sur le point de craquer, je vais vriller complètement. Mes oreilles bourdonnent, mes membres tremblent. J'ai besoin de mon traitement. Je retourne dans la salle de bain, vérifie tous les flacons qui envahissent le sol. Ils ne sont pas là non plus, les boites sont vides.
— Putain, hurlé-je à me briser la voix, elle n'a pas osée faire ça ?
Mes calmants, mes régulateurs d'humeurs, elle a tout pris. La crise n'est pas loin, je la sens pointer tel un monstre tapi dans l'ombre qui attend le bon moment pour planter ses griffes dans ma chair.
— Angelo, murmure Will en s'approchant lentement de moi, tu dois te calmer.
Je peine à respirer, ma vision se brouille, mon cœur va exploser. Je frotte mon visage sans aucune délicatesse, tentant vainement de reprendre mes esprits.
Je me laisse tomber violemment contre le sol, démuni, envahi par la colère et la peur. Marx s'accroupit devant moi la seconde suivante. Je le sens plus que je ne le vois. Son odeur m'apaise, mais pas suffisamment pour empêcher ce qui va suivre. J'agrippe mes cheveux, tire dessus et les arrache par poignées.
— Chambre..., articulé-je difficilement.
— J'y vais ! s'exclame Loli.
Elle a compris, elle est habituée à ce genre de situations. Les mains tremblantes, je tente de récupérer le flacon de médicaments qui reste toujours dans mon sac de cours, celui que ma sœur vient de déposer sur mes genoux. Je ne vois rien, ne suis bon à rien et ça m'énerve plus qu'autre chose de ne pas parvenir à mes fins. Les mains de Will se posent sur les miennes. Je les reconnais, elles sont grandes et chaudes.
— Angelo, murmure-t-il, je vais t'aider, ok ? Calme-toi.
Je ne réponds pas, incapable de parler.
— Lolita, apporte un verre d'eau, s'il te plaît, demande-t-il.
J'entends les médicaments s'entrechoquer quand il récupère le flacon. Ses doigts se posent sur ma joue qu'il caresse pour essayer de me calmer. Ça ne fonctionne pas, c'est déjà trop tard.
— Ouvre la bouche. Je vais te donner tes comprimés, d'accord ?
Je fais ce qu'il me dit, puis le verre se pose contre mes lèvres. Je déglutis, recommence plusieurs fois avant de parvenir à avaler les médicaments. Will me rabat contre lui, m'enferme entre ses bras.
— Fais attention, prévient Loli, il peut parfois être violent lorsqu'il est en crise.
— Je sais, ce n'est pas grave. Il a besoin d'être apaisé.
Ça me brise le cœur d'entendre ça, ça me fout la honte également. Je suis honteux de leur faire endurer pareil calvaire. Je ne mérite pas leurs attentions. Je suis bousillé.
Will passe ses doigts sur ma tête, caresse mon cuir chevelu que j'ai malmené plus tôt, puis tout s'évapore. Il n'est plus là, sa chaleur a disparue, son odeur aussi. Ma sœur s'est également volatilisée, je ne l'entends plus. Je me retrouve seul et commence à m'agiter, ils ne sont plus là.
Pourquoi sont-ils partis ?
Je tente de me relever mais n'y parviens pas, un poids m'empêche de bouger. Je dois les trouver, je ne veux plus être seul, non, plus jamais.
— Will ! chuchoté-je la voix cassée. Lolita ?
Personne ne répond, ils ne veulent plus de moi.
— William ! Lolita ! Où êtes-vous ?
Les larmes roulent sur mes joues, mes jambes se tendent et ma tête divague. Je suis seul dans l'obscurité, perdu au milieu de la noirceur de mon âme. Lumière s'est éclipsée, elle ne me rassure plus.
J'ignore où je suis, je ne reconnais aucune odeur, n'entends aucun bruit à l'exception de mon cœur qui martèle ma poitrine. J'ai perdu pied, ça y est, j'ai chuté. Mon corps est trop crispé, trop tendu. C'est douloureux. J'ai l'impression qu'on fait pression autour de mon cou pour m'empêcher de respirer, semblable à des mains qui m'étranglent. L'acidité se répand dans ma bouche, c'est le goût de la strangulation.
— Angelo, murmure une voix lointaine. Reste avec moi.
J'aimerais m'accrocher, je n'y parviens pas. Une silhouette se dessine face à moi. Je tends les bras pour l'attraper mais elle s'éloigne. J'ai l'impression de me noyer, de m'engouffrer dans un abîme de douleur. Je me suis perdu.
— Trésor... regarde-moi.
Trésor ?
— Will !
— Je suis là, avec toi.
Je l'entends, pourtant je ne le vois pas...
" Je ne te vois pas, mon soleil. "
— Je te caresse les cheveux, tu le sens ?
Sa voix est douce, mais je crois qu'il a peur. J'essaie de me concentrer, de me calmer mais je peine à y arriver. Je ferme les yeux, si fort qu'une lueur blanche apparaît sous mes paupières, puis je les sens enfin, ses doigts qui passent à travers mes mèches.
— Oui, réponds-je plein d'espoir, je les sens !
Son odeur s'infiltre à nouveau dans mes narines, puis celle de Loli.
— Très bien, soupire-t-il rassuré, essaie de revenir près de moi, j'ai besoin que tu reviennes.
J'ouvre les yeux, des ombres se forment face à moi. Je cligne plusieurs fois des paupières, ma vision s'améliore. Je me perds instantanément dans son océan lorsque je reprends l'entière possession de mes moyens.
— Tu vas bien ? souffle-t-il en posant son front contre le mien.
— J'ai mal... mais ça va.
Je renifle bruyamment, dégageant ainsi mes narines encombrées à cause des pleurs. Une odeur désagréable me pique le nez, une senteur métallique que je reconnais immédiatement. Je repousse Will en plaquant ma main sur son épaule et lève les yeux pour l'examiner. Ses lèvres sont rouges, un épais liquide coule sur son menton. Putain ! Il saigne.
— Qu'est-ce que j'ai fait ? demandé-je horrifié en pointant la blessure de mon index tremblant.
— Ce n'est rien, m'assure-t-il en frottant le bas de son visage du revers de la main. C'est ma faute, j'aurais dû écouter ta sœur quand elle m'a dit de m'éloigner.
— Ta faute ? répété-je en me levant à la hâte.
Ma tête tourne violemment, je m'accroche au lavabo de la salle de bain pour me maintenir droit.
— Ta faute ? explosé-je. Non mais sérieux, tu t'entends, Will ?
— Angelo, ce n'est pas grave...
Il tend la main dans ma direction mais je la repousse brutalement. Comment peut-il me dire que ce n'est pas grave ? Putain, bien sûr que ça l'est. Je l'ai encore blessé. Je ne suis bon qu'à ça, faire du mal aux gens qui m'entourent, ceux à qui je tiens. Je ne suis pas digne de lui, je ne mérite pas sa présence à mes côtés. Je le savais déjà, mais là ça me saute aux yeux. Un néon clignote sous mon nez avec l'inscription " DANGER " en rouge écarlate.
— Pars, Will.
— Quoi ? Non ! Je vais t'aider à retrouver ta mère.
Il a l'air déterminé, mais je refuse qu'il le soit. Je veux qu'il s'en aille, qu'il soit en sécurité, loin de moi.
— Non ! C'est à moi de faire ça. Toi, tu te barres, et Loli, dis-je en me tournant vers elle, tu vas en cours.
Elle hoche la tête, ne cherche pas à discuter et part rapidement préparer ses affaires, me laissant en tête-à-tête avec Marx. Ses grands yeux bleus m'observent, il ne comprend pas ce qu'il se passe. Ses sourcils sont froncés, il est visiblement contrarié.
— Angelo, laisse-moi t'aider à retrouver Bérénice.
— Je veux que tu t'en ailles, craché-je.
Je suis enragé, mais il n'est pas responsable. Je suis en colère contre moi lorsque je vois le sang qui continue de couler sur son menton.
— Où veux-tu que j'aille ? Je te promets que ce n'est rien, c'est juste une égratignure.
— J'en sais rien, rentre chez toi, va au lycée. Fais ce que tu veux mais ne reste pas là.
— Ang...
— Casse-toi ! hurlé-je en lui coupant la parole. Dégage, Marx, ne reste pas là !
Il fait un pas en arrière, heurté par ma véhémence. Il est blessé, son océan prend une teinte grisâtre. Ça me brise le cœur, mais c'est pour son bien que j'agis ainsi. Je n'ai pas envie d'éteindre sa lumière, même si le laisser partir signifie que je perds la mienne.
— Pourquoi tu fais ça ? murmure-t-il avec déception.
— Je ne veux plus de toi ici, William. Dégage !
Il baisse la tête, reste prostré un moment, puis me regarde à nouveau les yeux brillants de tristesse. Je me déteste de plus en plus à mesure que j'observe le sang s'égoutter sur ses vêtements. Il faut que je disparaisse de sa vie pour ne plus jamais lui causer de tort, quitte à souffrir de son absence.
Il renifle, hoche la tête et arrête de lutter. En silence, il récupère ses affaires dans ma chambre, tandis que je pars m'asseoir sur le canapé habituellement occupé. Je l'ignore lorsqu'il passe devant moi. Si je croise son océan je serai capable de le supplier de ne plus partir alors que c'est moi qui lui ai demandé. La porte se referme derrière lui, pourtant son odeur flotte encore dans le salon. Je laisse échapper ma colère, ma tristesse, mon trouble en pleurant comme un foutu bébé en manque de lait. Je crois que c'est la chose la plus difficile que j'ai eu à faire, et c'est déjà la troisième fois que je le rejette comme un mal propre alors que je crève de ne pas l'avoir près de moi. C'est toujours plus douloureux à chaque fois que je l'oblige à s'éloigner...
— Je vais y aller, m'informe Loli en avançant dans le salon.
J'acquiesce sans prononcer un mot, si je le fais elle s'apercevra que je suis faible au point de chialer pour le type que j'apprécie mais que je rejette pour ne pas abîmer son âme trop belle pour moi.
— Tu es sûr que ça va aller pour retrouver maman ?
Second hochement de tête.
Elle doit partir elle aussi, j'ai besoin d'être seul et d'extérioriser.
— Et pour le reste ? chuchote-t-elle.
— Ouais, grogné-je.
Je dois encaisser ma douleur, c'est moi qui l'ai provoquée. Je suis le seul responsable.
— D'accord, alors à ce soir...
Je l'ignore et retiens le chaos en moi jusqu'à ce qu'elle quitte la maison.
Je m'effondre lorsque la voie est enfin libre. De longs sanglots s'échappent, je me laisse aller à la douleur qui me transperce le cœur, qui ravage ma tête et mon esprit cabossé.
J'ai blessé Will, j'ai abîmé la beauté de mon soleil.
Chaque fois que je ferme les yeux c'est son visage ensanglanté qui apparaît, telle une piqûre de rappel de toute la merde que j'ai causé et que je causerai encore.
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