Chapitre 2 (2 sur 3)
Tina et la gamine se sont réfugiées au fond de la salle, accroupies derrière un vieux carton de vêtements. Elles se cramponnent l’une à l’autre, comme deux sœurs qui se savent condamnées et qui n’ont plus que quelques secondes pour exprimer leur amour avant le grand saut.
La première armoire est en place. Gerry et toi, vous vous afférez sur la deuxième quand les premiers coups résonnent contre le battant, accompagnés de grognements rageurs. La force du vampire fait chalouper la penderie.
Gerry et toi redoublez de vigueur pour plaquer la nouvelle armoire sur l’autre.
— Tina, éteins ta lampe ! commande Gerry. Il faut préserver la lumière.
La blonde obtempère et vous vous retrouvez dans le noir. Par chance, la vie dans l’obscurité continuelle a affuté ta vue et tu y vois suffisamment pour te repérer dans l’espace.
Au même instant, des éclats de bois tombent avec fracas. Surpris par la violence de l’attaque, tu recules d’un pas, entrainant dans ton sillage Gerry, pétrifié par la peur.
— C’est pas le moment de perdre les pédales, Gerry ! Si on veut se débarrasser de cette saleté, on va tous devoir y mettre du sien !
Son visage exprime une terreur indicible. On dirait que le type voit défiler sa vie avant le baisser de rideau final.
— Je veux bien me battre, dit-il après un temps. Mais il nous faut un plan, mec !
— J’en ai un. On va planter ce fumier droit au cœur !
— Avec quoi, bordel ? Nos flingues ne réussiront pas à trouer sa poitrine ! C’est toi-même qui l’a dit tout à l’heure !
Gerry a beau être au bord de la syncope, il a raison. Les vampires possèdent une carapace osseuse plus résistante qu’un gilet pare-balle. Le pistolet que tu as piqué des mains de Tina échouera à percer le blindage naturel de « Super Dracula ».
Tu sors ton couteau à cran d’arrêt et fait jaillir la lame d’une pression sur le manche. Gerry ouvre de grands yeux en apercevant ton canif.
— Mec, t’es un putain de guerrier, mais c’est du suicide si tu crois que tu vas te faire un vampire au couteau !
— Je crèverai pas sans me battre ! Et toi, Gerry, tu vas faire dans ton froc pendant que ce monstre te suce comme on sirote un milk-shake ?
Les armoires s’effondrent dans un bruit de planches brisées et la silhouette du vampire, debout cette fois, se dessine dans l’embrasure de la porte. La faible luminosité extérieure suffit à dévoiler le charisme du spécimen lancé à ta poursuite. Vêtu de l’habituelle tenue écarlate en cuir moulant qui met en valeur son corps longiligne de plus de deux mètres cinquante, le monstre se révèle si grand si grand qu’il doit se baisser pour passer sa gueule dans l’encadrement. Ses yeux, deux amandes rougeoyantes, balaient d’un rapide regard la pièce.
Une seconde s’écoule sans que personne n’esquisse le moindre geste. C’est un de ces moments où le temps parait figé, où le cœur de chacun s’arrête de battre, craignant que la seconde suivante ne soit la dernière.
Puis il reprend sa course, avec une ardeur renouvelée, comme pour rattraper cet instant perdu.
Alors que le vampire s’élance dans la réserve en abandonnant la posture debout, tu pousses Gerry sur le côté. Le jeune cow-boy s’étale de tout son long dans un tas de cartons vides, tandis que tu pointes ta lame vers le suceur de sang en train de charger. Dans ta main gauche, le pistolet s’apprête à faire parler la poudre.
— Approche ordure ! Viens t’empaler sur mon joli canif !
Mais le vampire a d’autres plans. D’un coup d’épaule, il te fait valdinguer sur la droite. Tu chancelles d’une démarche de mec bourré avant de t’écraser face la première sur le mur de plâtre. À moitié sonné, tu glisses lentement le long de la paroi, en apercevant trente-six chandelles. Ton couteau et ton pétard tombent avec un bruit sourd.
« Nosferatu » a pris pour cible Tina et la fillette. Il cavale vers elles avec la vigueur d’un couguar. Ton esprit embrumé perçoit leurs cris de frayeurs, mais tu es trop dans le coaltar pour réagir. Tu parviens, au prix d’un effort titanesque, à te tourner dans leur direction ; tu vois flou, mais suffisamment pour décrypter la scène qui se joue à quelques mètres de là.
Le vampire, contre toute attente, a stoppé sa course aux pieds de ses proies. Il observe avec insistance la gamine, la gueule ouverte, une bave gluante sur le menton. Il semble envouté par la mioche.
C’est le moment de passer à l’attaque. Enfin, ça le serait si tu n’étais affalé par terre comme un ivrogne dans le caniveau.
— Gerry ! siffles-tu entre tes dents ! À toi de jouer, mon pote ! On n’aura pas de meilleure occaz !
Sauf que Gerry n’est pas dans un meilleur état que toi. Tu l’as secoué un peu trop fort, il est dans les vapes.
— Ça m’apprendra à compter sur les autres, murmures-tu entre tes dents.
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