3 – INDOCHINE : Les Tzars
Ma formation à l’école de Nîmes s’est achevée pour être incorporée dans un des commissariats de Lyon. Autant dire ce qui est, intégrer ce milieu n’a pas été facile, peut-être parce qu’à cette époque, quand tu es une femme, tu l’es dans un milieu essentiellement masculin, qu’il faut en faire deux fois plus pour être acceptée, et quatre fois plus pour que la confiance s’installe.
J’avais conscience, peut-être en raison de mes petites expériences, aussi parce qu’on me l’avait dit, que tu ne sais rien quand tu sors de l’école, alors j’ai pris mon mal en patience. Petit à petit, mes collègues se sont rendus compte que j’étais compétente, qu’ils pouvaient compter sur moi.
Mais peut-être faudrait-il que je vous parle un peu de moi. Je mesure un peu moins d'un mètre soixante-dix pour à peine cinquante-cinq kilos. J’ai une carrure plutôt athlétique, ce qui est plutôt normal étant accro au sport, de jolies fesses, mais peu de poitrine. Allez, pour me faire plaisir, un bonnet A, bon d’accord, je suis plate, rien n’a poussé ! Mes coéquipiers, après m’avoir surnommée « la paumée » sont passés à « la limande ». Comme il n’y a rien de méchant, je l’ai accepté, sans complexe, tout autant que ça a un côté « pratique » dans cette profession, les surnoms.
Sinon, on ne peut pas dire que je suis un canon de beauté, on ne se retourne pas dans la rue pour mon visage, plutôt pour mon postérieur. On va dire que je n’ai rien de particulier, dans la moyenne quoi ! Enfin, c’est difficile de se décrire, aussi je terminerais en disant que je me trouve un nez un peu fort, qui lui, me complexe un peu. Mes pommettes sont plutôt saillantes, une mâchoire un peu trop carrée, quelques taches de rousseur, des yeux gris et des cheveux châtain clair.
J’ai maintenant vingt-trois ans, tout se déroule pour le mieux, je suis à fond dans mon travail, heureuse de réaliser mes ambitions de jeune fille. Je m’épanouis pleinement si vous préférez, jusqu’à ce soir-là.
Et il y a eu ce jour, celui où ma vie a en quelque sorte basculée. Avec JD, mon coéquipier, nous sommes en planque sur un point de deal. La nuit est déjà bien avancée, et pour une fois, nous n’avons pas été repérés. Comme nous en avons terminé, nous sommes en train de ranger notre matériel lorsqu’un jeune homme passe à côté de notre véhicule, il se met à hurler pour nous signaler.
En moins de temps qu’il n’en faut pour dire « oups », c’est une douzaine de personnes qui se rapprochent de nous. JD est sorti du véhicule afin d’essayer de calmer les choses, mais il s’est à peine redressé que je le vois vu s’écrouler. Il venait de prendre une pierre en plein visage alors qu’une autre étoile notre pare-brise. Réflexe de ma formation que je n’aurais jamais envisager d’utiliser, je hurle le numéro de notre équipage suivi de « agent à terre, urgence, renforts demandés ». Je me glisse ensuite sur le siège conducteur pour essayer de mettre mon collègue à couvert.
Il n’a pas perdu conscience, mais est bien sonné. Je fais mon possible pour le ramener sur le siège, cependant, impossible dans ces conditions de s’extraire de ce guet-apens alors que régulièrement les projectiles font résonner notre carrosserie. Je suis sous pression avec le palpitant qui cogne dans ma poitrine, et pas un son de sirène qui ne parvient à mes oreilles.
JD m’aide un peu à le hisser dans la voiture. Heureusement, car avec ses cent kilos de muscles, j’ai eu du mal ! Il est à peine assis qu’il s’effondre, inanimé, sur le volant. Je reprends la radio et hurle à l’opérateur de se manier l’arrière-train, qu’on va finir par y passer ! Je n’ai pas terminé ma phrase que je vois ce qui semble être une flamme danser à quelques mètres. Instinctivement, je pense « cocktail Molotov » pendant que les images de collègues, pris dans leur voiture en feu, me reviennent en mémoire. Je ne veux pas terminer comme ça !
J’ouvre la portière pour sortir de la voiture en hurlant quelque chose comme « barrez-vous ou je tire dans l’tas ». Je sors alors mon flingue puis sur le même ton, « première sommation » et je tire en l’air. A ce moment-là, la détonation et l’odeur de poudre semblent avoir pétrifiés les assaillants, je vocifère à nouveau « barrez-vous, seconde sommation » et je tire à nouveau en l’air. Le bruit a réveillé tout le monde, ils s’envolent comme une nuée de moineaux, plus vite encore quand de multiples sirènes se font enfin entendre.
Je m’effondre, physiquement d’abord, mon corps tremble, comme agité par une machine à laver bloquée en mode essorage. L’odeur d’essence du cocktail Molotov répandue au sol agresse mes narines. Je regarde mon flingue, je sens mes mains crispées sur la crosse dont les articulations sont certainement être aussi blanches que neige. J’ai l’impression de voir encore la fumée de la dernière détonation former des volutes dans le courant d’air ambiant. Je garde cette image, ce souvenir, mais est-il bien réel ? N’est-ce pas une analogie de la vie que je mène jusque-là qui s’en va en courant dans les airs ?
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