5 – JACQUES HIGELIN : Tombé du Ciel

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Une culotte en coton, une brassière, une paire de chaussettes, un jean, un tee-shirt noir et mon cuir de tous les jours plus-tard, je pars faire mon rapport. Si dans les mots, il n’est pas très long, choisir les bons afin de rédiger les bonnes phrases, de celles qui révéleront l’exactitude de ce qui est survenu me prend du temps, mais j’en suis satisfaite.

Classé au dossier de nos surveillances, j’apporte le tout au Principal. Rentrant dans son bureau, sur son ordre, je constate qu’il y a quelqu’un avec lui, et, m’avançant vers lui tel qu’il m’en fait signe, il me présente à la personne avec qui il échangeait, que je reconnais aussitôt, Jonas, le père de Lucas, une de ces personnes que l’on nomme « un super flic », un modèle, un exemple. Il est célèbre pour le fort taux de résolution qu’il avait à son actif jusqu’à ce qu’il soit blessé, gravement. Pour rester dans le service actif, il a intégré l’I.G.P.N, où il est tout aussi redoutable.

Il était venu à l’école de police, je lui avais été présentée. Il m’avait dit, à bas-bruit et pour toute parole : « ah, c’est vous qui faites de l’ombre à mon fils », ça refroidit.

Lorsqu’il se lève pour me serrer la main, son regard est aussi glacial que ses salutations sont polies. Si mes doigts avaient été des fleurs, ils se serraient fanés, comme je le pense à cet instant de ma carrière. Il me dit, sibyllin, qu’il m’attend dans le bureau qui a été mis à sa disposition, et sort.

Le Commissaire Christian me regarde, avec une certaine tristesse, puis prend connaissance de mon rapport. Il me le rend, m’informe que le Divisionnaire Jonas a déjà entendu JD et qu’il doit être en train de lire mon écrit en patientant. En quelques mots rapides, comme pour se vider de quelque chose qui lui pèse, il me dit qu’il sait pour mes démêlés avec Lucas à l’école de police, qu’il avait fait jouer ses relations pour m’obtenir le poste plutôt que d’avoir des gens de cette famille dans son commissariat. Cependant, il me confie très clairement qu’il ne pourra pas agir dans l’ombre comme il l’avait fait, que malgré son soutien officiel, je suis seule.

Je sais qu’il m’estime, mais je suis aussi consciente qu’il traîne quelques casseroles que personnes n’aimerait voir sortir. Avoir la Police des Polices dans les locaux fait baliser tout le monde. Je me dirige vers le bureau occupé par Jonas, me demandant si c’est ce que ressentaient les condamnés se dirigeant vers l’échafaud ? Pourtant je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose de grave, mais je n’étais pas en état de légitime défense, au sens du règlement.

La voix de Jonas sonne comme le fil d’une lame de rasoir posé sur ma gorge, j’inspire pour me donner une contenance, je sens ma main moite sur la poignée froide de la porte, un frisson sur ma nuque. Nous échangeons un moment, j’essaye de soutenir ma prise de décision, je suis de moins en moins convaincue de ma pérennité dans les services de police vue que sa décision semble avoir déjà été prise quand il m’informe de ma suspension, dans l’attente des conclusions de l’enquête.

Jonas me renvoie chez moi. Je passe quand même par le bureau d’où je suis venue pour informer le Principal et lui remettre officiellement mon insigne et mon arme. Ça fait très film américain, mais j’ai besoin de ça pour le remercier de sa confiance, de ce qu’il a fait pour moi depuis mon arrivée. Je ne me fais pas beaucoup d’illusion, moins encore quand je quitte l’étage, Jonas est là, personne n’ose me dire quoi que ce soit, pas même un « au revoir » avec leurs yeux tristes remplis de compassion. Leur silence ressemble à une marche funèbre, celle de Chopin, alors qu’on rigolait ensemble il y a quelques heures encore.

Cette nuit de début juin me semble glacée quand je quitte mon commissariat, me disant que, très clairement, je passe de la lumière à la nuit. J’essaye de me rassurer, on ne peut pas me virer pour ça, un blâme tout au plus, mais avec ce qu’on a pu me dire sur la famille de Lucas, je me demande s’ils vont en profiter pour se venger et offrir ma place au rejeton qui la voulait tant. Je suis dans l’expectative la plus totale. Je ne peux pas croire que ce puisse être injuste à ce point, non, ce n’est pas possible, ça ne peut pas se produire.

Je décide finalement d’aller rendre visite à mes parents plutôt que de rester à me morfondre.

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