7 – MIDNIGHT OIL : Beds are Burning

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« Toutes les bonnes choses ont une fin » dit l’adage, c’est ce qui arrive lorsque mon téléphone sonne, que le Principal Christian me demande d’être dans son bureau le lendemain à 14 heures. Il ne me dit pas pourquoi, et ne me laisse d’ailleurs pas lui poser la question. Pourtant, j’ai trouvé inhabituel le ton posé de sa voix, lui qui est si sec habituellement, voir coupant.

Je quitte donc ces paysages que j’aurais voulu avoir le temps de parcourir en moto, revoir le château de Grignan… Je me prends à espérer pouvoir reprendre ma place, pourtant, mon cœur s’alourdit au fur à mesure que les kilomètres se réduisent vers Lyon. Je sens ma tension monter, un nœud a remplacé mon estomac.

J’ai un mauvais pressentiment alors que je gare ma voiture. Je regarde le commissariat à quelques encablures, je n’ai jamais eu peur d’y rentrer. Pourtant aujourd’hui, j’ai du mal à déglutir à l’idée d’y retourner. Je remonte la rue tout en fixant le bâtiment, un véhicule banalisé y entre, des collègues qui en ont terminé ?

Je pénètre dans mon immeuble, mon sac sur l’épaule je monte les escaliers rapidement pour me réfugier dans mon appartement. Je réalise que, pour la première fois de ma vie, j’ai peur, peur d’un avenir que je croyais tout tracer, mais désormais des plus incertains. Je laisse choir mon sac pour m’asseoir sur mon lit, je fonds en larmes. N’ai-je jamais autant pleuré de toute ma vie ?

* * *

Je prends conscience en écrivant ces mots, que mes souvenirs sont précis, un peu comme si je ne faisais que retranscrire ce qui s’était imprimé dans mon cerveau au gré du temps qui s’écoule. C’est d’autant plus surprenant lorsqu’on a la sensation que sa vie s’est dissoute, petit à petit, comme un comprimé effervescent dans un verre d’eau.

Effectivement, sans m’en rendre compte, j’ai écrit et réécrit maintes et maintes fois ce récit d’après mes carnets, et ce qui le rend maladroit, c’est que je vous l’écris tel que je vous le raconterais. Pourtant, le visage qui vous fait face, lui, est issu de votre imaginaire tout comme la voix qui résonne dans vos oreilles. Regardez-vous mes yeux qui traduisent mes sentiments, regardez-vous ma bouche d’où s’égrène chaque syllabe, regardez-vous mes mains qui semblent ponctuer mes phrases ?

Mais peut-être lisez-vous simplement les mots pour y trouver ce que chaque lecteur souhaite. Je les écris pour vous raconter mon histoire, j’en ai besoin. J’en ai besoin pour faire le point, savoir où j’en suis après quelques années. J’en ai besoin pour envisager un avenir qui m’appartient.

* * *

Je rentre dans mon commissariat, les regards restent crispés, quelques sourires le sont tout autant et ressemblent plus à des rictus, je me sens comme une étrangère au milieu de personnes que je connais et qui me connaissent. « Je sens le fioul » dirait Bastien qui se retourne au même moment pour chercher quelque chose et éviter mon regard. Je suis invisible pour celui d’Olivia, prénommée ainsi par ses parents fans du film Grease. Elle reste les yeux rivés sur son écran au lieu de dire son traditionnel « salut la môme ». Effet I.G.P.N ou Jonas, certainement plus ce dernier, me transforme en pestiférée pendant que je réalise que même les syndicats, omnipotents, n’ont pas donné signe de vie. Je baisse la tête sentant mes yeux se mouiller.

Devant la porte du Principal, j’essaye de me redonner une contenance, j’essuie mes yeux, me mouche, je passe mes mains sur mes vêtements pour défroisser des plis invisibles, je toque. Après quelques secondes, la voix grave du Commissaire Christian m’invite à entrer, il n’est pas seul dans son antre. Il me désigne les fauteuils devant lui, je prends place vers un se trouvant sur sa gauche afin d’avoir les deux hommes en face.

C’est la seconde fois que je viens, et deuxième qu’il y a quelqu’un dans son bureau, je vais finir par croire que ce sont des guet-apens. Est-ce la présence de mon chef, ou son regard que je trouve bienveillant, pour une fois, mais je me sens quelque peu rassérénée même si ma voix chevrote un peu alors que nous échangeons les banalités d’usage. Il ne me présente pourtant pas son acolyte, ce qui ne l’empêche pas d’entrer dans le vif du sujet.

Il m’indique que Jonas a rendu son rapport, qu’il recommande ma mise à la retraite d’office, et qu’en conséquence, ma convocation devant le conseil de discipline devrait me parvenir rapidement, qu’elle serait déjà partie d’ailleurs. Il ajoute que je devrais comparaître d’ici une quinzaine au plus, et qu’en attendant, je suis en congés d’office.

Je suis sous le choc, beaucoup d’éléments défilent dans ma tête dans lesquels prédomine un sentiment d’injustice. Je retiens mon vertige aux accoudoirs. J’ai étudié beaucoup de cas lors de ma formation, rien dans ce que j’ai fait ne me semble justifier une telle sanction. La discussion est vive face à une incompréhension qui transforme le nœud dans mon ventre en une boule de colère, le Commissaire Christian met un terme à notre échange en tapant du poing sur la table. Il conclut en me disant quelque chose comme « Jonas veut ta peau, il va l’avoir, et personne ne se mettra en travers ni ne contestera sa recommandation, juste pour ne pas être dans son collimateur ».

Je comprends que la messe est dite, que rien ne peut arrêter la machine qui s’est mise en branle pour le simple fait d’avoir été meilleure que Lucas et d’avoir brigué le poste qu’il souhaitait. Il ajoute qu’une mutation d’office aurait pu être suffisante s’il voulait m’évincer du poste, mais qu’il doit y avoir des éléments qu’on ne connaît pas pour qu’il en arrive à cette recommandation. En résumé, effectivement, il veut ma peau.

C’est à ce moment qu’il me présente l’homme qui se trouve debout à sa gauche, le Commandant Charles-Xavier, dit Chax, de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (D.G.S.I). Chez moi, ça fait CX, une Citroën break que mon père a gardé pendant tellement longtemps que je voyais l’asphalte défiler sous mes pieds tant elle était grignotée par la corrosion. C’est tout moi ça, faire des parallèles incongrus durant un échange sérieux…

J’espère que mon visage n’arbore rien d’autre qu’une mine interrogative, non pas le petit sourire en coin que je peux faire involontairement. Le Commandant lève un sourcil, raté, il est bien là ! Je le regarde plus attentivement, on dirait un croisement d’acteurs américains, la carrure d’Arnold Scharzenegger avec la tête de Val Kilmer et la boule à zéro de Bruce Willis. Avec son jean noir, son tee-shirt noir, et sa veste en cuir noire, une vraie caricature qui ne dépareillerait pas dans un blockbuster américain du genre « Expendables ».

Mes élucubrations ont pour effet de me poser, de me faire retrouver le sens de la réalité, celle qui est la mienne à cet instant, conscience des enjeux, mais surtout de me poser la bonne question, qu’est-ce qu’un agent de la D.G.S.I fait là ? Le Commissaire Christian reprend la main afin de répondre à ma question qu’il résume en une seule phrase, Chax est là pour me proposer une alternative qui m’éviterait les velléités de Jonas, le conseil de discipline et effacerait même toute mention de l’incident à mon dossier.

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