16 – FRANCIS CABREL : La Cabane du Pêcheur
La rue est à sens unique, mais il est possible de stationner tout du long. Même en plein jour, en ce début d’après-midi, la rue est sombre au point de devoir enlever mes lunettes de soleil. Je comprends aussi pourquoi il n’y a pas de photo ou de visite virtuelle, mis à part les immeubles d’angle, la plupart sont murées sur la soixantaine mètres de la rue. C’est aussi le cas du mien, à l’exception l’énorme porte en bois légèrement ouvragée qui a dû faire la splendeur de l’immeuble autrefois.
Je n’ai que peu de doute quant à celle des trois clefs à ma disposition, plutôt longue en forme de « H » et fortement crantée qui déverrouille les points de sécurité. La veilleuse tremblotante d’un interrupteur me permet de faire poindre une lumière jaunie dans le hall pourvu de carreaux blancs et noirs. Tout ce qui a pu être un accès est muré, sauf la grosse grille à droite dont les escaliers s’enfoncent dans la nuit.
Mon logement est au cinquième étage bien que je n’en ai compté que quatre ? Peu confiante dans ce que je vais découvrir, je regarde les escaliers creusés par d’innombrables passages et la rampe d’ébène qui escorte chaque marche. Je me demande à quoi devait ressembler la boule de départ au bas de celle-ci dont il ne subsiste que le filetage. En posant ma main, je comprends qu’elle n’est pas faite d’un bois précieux…
Chaque étage est haut, mais les marches sont larges et peu fatigantes. C’est le même spectacle pour tous les paliers, mur, mur et encore mur. Idem au quatrième mis à part un escalier sous voûte plus étroit qui s’enroule dans le sens inverse du précédent. A la dernière marche, une porte surmontée de son globe électrique dont les interstices laissent filtrer une lumière intense. J’utilise la clé à panneton, et là, une grosse surprise…
Je me trouve sur le toit-terrasse de l’immeuble et à quelques mètres devant, la porte d’une petite maison de briques rouges avec son toit pentu en ardoises est construite dessus ! Je reste là, interloquée, jusqu’à ce que la chaleur me rappelle à l’ordre. Je glisse la clé plate dans la serrure, ouvre puis éclaire pour entamer un voyage dans les années 70-80.
Si je ne dois pas oublier que, compte-tenu de mes opérations, le soleil est proscrit cette année, l’intérieur ressemble à celui de ma grand-mère paternelle, murs blancs, sauf celui orange au fond, là où se trouve la cuisine aux meubles sombres style campagne et faïencé de marron. Les poutres apparentes du plafond sont dans le même ton, une table de salle à manger à droite avec ses quatre chaises massives et lourdement ouvragées, à droite, un canapé club qui a connu de meilleurs jours avec deux fauteuils en velours côtelé jaune. Dans le couloir d’entrée, une porte pour les toilettes, une pour la chambre avec sa salle de bain attenante.
A ce tableau figé dans une autre époque, l’immense télé à écran plat apporte une touche de modernité décalée. Pendant que j’ouvre les volets roulants à manivelle, je me demande qui pouvait bien habiter ici et profiter du salon de jardin sous la pergola. J’échafaude des hypothèses alors que mes yeux découvrent les toits de la ville, les clochers, et les tours. L’endroit est climatisé, j’essaye, le bloc se met à vrombir ? J’ouvre chaque robinet, test l’eau chaude, tire la chasse. Il y a tout le linge de lit nécessaire, les ustensiles de cuisine, je branche le réfrigérateur, envie de faire vivre cet endroit qui m’apaise, passer de l’ombre à la lumière…
Je dépasse le comment du pourquoi, je comprends le quartier, et finalement, je m’en fiche. Pour revenir dans la réalité, je reprends les escaliers pour mettre quelque chose à manger dans les placards et remplir le frigo. Cette maison vit à nouveau, je me sens accueillie, elle me tend une main chaude et bienveillante. Les heures s’enchaînent, vient le moment de se préparer. Ma première douche, je troque un jean-tee-shirt-baskets contre un autre, un maquillage léger, aussi pour cacher le rose de mes cicatrices encore bien visibles, voyage de la lumière à l’ombre vers mon premier-premier rendez-vous.
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