17 - FRANKIE GOES TO HOLLYWOOD : Relax
Casquette vissée sur la tête, je me dirige vers le centre-ville tout en me familiarisant avec cette ville, ses rues qui s’animent petit à petit, puis grouillent. Je retrouve Jonathan en terrasse du Globe, premiers errements de Floriane dont le costume termine de s’ajuster. Je lui construis une vie pas trop difficile émaillée de galères, mais je le fais parler, et ce n’est pas trop compliqué. Son divorce est récent, il me parle de sa femme, des étoiles plein les yeux, c’est quand même rédhibitoire…
Il me propose de dîner, pourquoi pas, c’est comme s’il me lisait sa vie. On dirait qu’il n’a parlé à personne depuis des mois. Le moment n’en reste pas moins bon enfant. Je peaufine la personnalité de Floriane, changer d’endroit pour changer de vie, mon enfance, je place la drogue, que j’ai vendu mon corps, il s’émeut. L’heure est bien avancée, on fait la fermeture d’un bar plus loin, il se propose de me ramener, je luis fais la proposition inverse qu’il accepte.
C’est à l’opposé pour moi, mais j’ai besoin de marcher, je crois que je me suis fait beaucoup d’idées sur ce type de rencontres. Il me propose de monter boire un café, tout semble tellement entendu, il est pas mal, ça me suffira. On ne fait pas l’amour, on baise, il n’y a pas d’amour, tout reste très vanille, très classique. Je ne dois pas trop mal me débrouiller, il m’a dit plusieurs fois que c’est bon, il remplit son préservatif, s’endort, je pars.
Tout a été très mécanique du moment où il m’a embrassé, puis lorsque j’ai ouvert le bouton de son pantalon, sa chaleur ne m’a pas réchauffée. Peut-être faut-il que je laisse plus de place, d’être convaincante, je dois devenir naturelle. Il lui faut des vêtements qui lui soient propre.
Le lendemain, je suis encore sur le rythme de ces dernières semaines, je me réveille vers sept heures. J’en profite pour aérer puis déjeuner sur ma terrasse, pour le moins immense. Avec le couffin que j’ai trouvé, je me rends au marché qui était signalé sur une place que j’ai traversée. Je fais le plein de fruits et légumes, achète deux robes longues et une paire de sandales. Le tout fait très bohème, mais j’aime. Je fais attention à mon budget, mais ça file vite.
En rentrant, je pousse au bout de ma rue, je dois voir le boulevard où je vais exercer. Certes, l’endroit où les filles se trouvent est loin, pourtant, je sens mon cœur qui bat, fort. Il faudra que j’aille faire du repérage, voir comment ça se passe, comment elles s’habillent, comment elles font. On a beau lire ce qu’on veut, rien ne remplace la réalité.
Je range mes achats, enclenche une machine à laver, puis profite d’être décidée pour chercher un rendez-vous tarifé sur le site où je me suis inscrite. Dans les dizaines de messages que j’ai reçus, je fais un tri rapide et essentiellement à l’instinct. Au bout de quatre-vingt-dix minutes, j’ai rendez-vous mercredi de 14 à 16 heures dans un petit hôtel en périphérie (250 euros) et jeudi de 18 à 23 heures dans une chaîne d’hôtels-restaurants connues (500 euros).
Je reste un moment le front appuyé sur la table de la salle à manger où je me suis installée, les bras ballants. Je vois une personne chaque jour jusqu’à vendredi, et j’aviserais ensuite. Je suis perdue devant tout ce qui s’affronte en moi, puis finalement, je me dis qu’avec un peu de quiétude et de méthode, tout se mettra en place aussi bien que possible. Je verrais bien ce qui se passera ce soir avec Silvio, deux fois mon âge.
Pourquoi à ce moment-là faut-il que je me souvienne d’une discussion alors que nous étions en patrouille avec JD, pourquoi ça ne me revient que maintenant ? Après une intervention pour séparer deux prostituées qui se crêpaient le chignon, on avait longuement échangé sur la manière dont elles étaient perçues et sur les fantasmes qu’elles génèrent. Il y avait quelque chose de surprenant à voir notre opposition.
S’il n’est pas difficile de s’accorder sur ce en quoi ça consiste et le but, lui pensait que les prostituées étaient toutes des salopes sans éducation ou bagage culturel, moi le contraire. Je disais prostituée, il disait pute. Il disait que c’était tromper en s’enrichissant du pognon des autres, je lui parlais misère sexuelle et rôle social. J’enfonçais le clou en lui disant que c’était avant tout des êtres humains et non des rebus ou des personnes qui n’existent que pour assouvir les pervers, car combien de maris y vont ? Que si elles vendent leur corps, elles ne vendent pas leurs âmes. Ce à quoi il m’avait répondu que ça pouvait se concevoir pour les escortes, mais pas pour les exploitées ou les camées de la rue, ce qui n’était pas faux…
Il m’avait aussi, ce jour-là, fait une confidence concernant l’échec de son premier mariage. Il m’a expliqué que le fantasme de la prostitution est quelque chose de fréquent chez les femmes, mais que très peu franchissent le pas, même pour un simple jeu. Il m’a expliqué que sa femme avait cette envie, parfois, qu’elle s’habillait de manière provocante et qu’il lui donnait un billet. Pour lui, c’était juste mettre du piment dans leur vie sexuelle. Puis un jour, elle lui a demandé plus de réalité, de la déposer au coin d’une rue et de revenir la chercher après avoir fait le tour du pâté de maison. Il lui a cédé, par amour, a eu très peur pour elle quand il l’avait vue une fois ou deux se faire aborder, peur aussi qu’elle ne leur dise oui.
C’est ce qui a dû se passer cette nuit où, d’astreinte, il a été appelé sur une scène de crime dans l’un des quartiers sordides de la ville où il exerçait alors, pour découvrir le corps sans vie de sa femme. Un long silence s’en est suivi, je me sentais rassurée de le savoir maintenant heureux en ménage avec ses quatre enfants.
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