18 – ZZ TOP : La Grange
Je n’ai pas vraiment de fantasme, peut-être parce que jusqu’à présent, le sexe ne faisait pas partie de ma vie ou avait une connotation « pas bien ». Le sens de cette histoire qui se rappelle à moi n’est peut-être pas anodin, je dois faire plus attention, ne pas me laisser engloutir. Est-ce à dire que chacune des personnes que je suis doit exister à part entière ? Si à cet instant quelque chose s’impose à moi, c’est qu’un débordement est inévitable. J’enfile le costume de Floriane qui, habillée autrement, devient Eiffel, mais ce n’est qu’un costume, pas une armure. Au sens de ma mission, c’est une couverture. Je ne fais que chercher qui je suis, ce que je suis à ce moment.
Cependant, je sens que les pièces de mon puzzle commencent à s’arranger. Il faut aussi que je me mette au travail, et l’un des premiers, me repérer dans cette ville. Je profite de la position de mon repère pour me faire une idée, un plan dans une main, un parapluie dans l’autre en guise d’ombrelle, chirurgie esthétique et bronzette ne font pas bon ménage… Je peux presque faire le tour complet de la terrasse. De ce que je comprends, le quartier où je me trouve a perdu de son attrait lorsque des dessertes plus directes ont été mises en place, un peu comme le contournement d’un village que je connais bien.
D’où je suis, je devine le faîte de la toiture de mon objectif. Je comprends aussi pourquoi ils empruntent cette avenue, c’est discret, et une fois traversé le pont qui enjambe la rivière, ils arrivent directement à leur club. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ils n’occupent pas un bâtiment dans une zone industrielle, mais une grande et belle demeure bourgeoise entourée d’un vaste parc dans un quartier plutôt huppé. Elle appartient au président, selon les recherches effectuées, qui est issu d’une famille bourgeoise, mais ruinée. Selon les services fiscaux, le club loue la maison à charge de l’entretenir, ce qu’il fait très bien quand on voit les photos avant-après.
En guise de rapport, je tiens une sorte de journal intime dans lequel je consigne mes journées. Il me raccroche tant à la réalité de ma profession qu’à ma mission. C’est ainsi que j’y consigne la suite de la semaine. Dimanche soir j’ai rencontré Silvio, la cinquantaine avec un certain charme, tiré à quatre épingles, son sujet de prédilection, ses conquêtes. J’ai rapidement compris que pas grand-chose d’autre ne l’intéressé chez moi. Comme on venait de prendre le dessert, et que j’en avais assez de l’entendre, je lui ai proposé de le remercier par une fellation dans les toilettes. Il a viré au cramoisi, puis comme il ne savait plus quoi répondre, je suis partie, le laissant sur sa chaise.
Est-ce que je l’aurais fait s’il avait dit oui, certainement. Floriane est nettement plus dévergondée, elle ose. Lundi midi, je rencontre Bertrand quarantenaire sympathique ajouté au dernier moment. Lui aussi très intéressé par ce qui se trouve dans ma culotte, n’hésitera pas comme Silvio, ma première pipe à la sauvette en guise de pousse-café. L’après-midi, je commence à visiter le quartier en faisant des cercles de plus en plus grands. Le soir je rencontre Thomas, ça n’ira pas plus loin que la terrasse du café où on se retrouve.
Mardi matin je poursuis mon exploration en reprenant le sport, je découvre un parcours aménagé sur une berge de la rivière, très agréable et souvent ombragé. L’après-midi, j’examine la bibliothèque qui occupe un grand pan de mur. Énormément de « Série Noire », « L’Exécuteur » et de « SAS », des séries de « Bob Morane » dans différentes éditions. Tous semblent anciens à l’exception d’une étagère où les romans semblent plus récents, essentiellement des romans noirs et bit-lit. Deux générations pour deux occupants ? Cependant, je me prends au jeu de la lecture pour dévorer ces romans dits « de gare ». Le soir, je rencontre un Kévin. Il est plutôt romantique, a de la conversation, mais n’en reste pas moins un mec. Il sait être tendre et mettre en confiance pour obtenir ce qu’il désire.
Après l’avoir laissé à sa nuit, avec ma seconde virginité en cadeau, autant le faire dans de bonnes conditions, je regagne mon domicile avec une démarche plutôt, inhabituelle. Ça fait mal, ça brûle mais ce n’était pas déplaisant passé ce cap, surtout qu’il savait où mettre ses mains. C’est encore douloureux et ça cuit après, mais sur mon chemin, je décide d’annuler tous les rendez-vous de « courtoisie », n’y trouvant plus d’intérêt pour ma « formation » après ce moment.
Mercredi matin, parcours, exploration, je rentre tôt, mange tôt pour avoir le temps de me préparer, et puis le lieu de rendez-vous, s’il n’est pas loin, je dois quand même prendre ma voiture pour m’y rendre. Sur la toile, l’endroit a l’air charmant, un petit hôtel style art-déco au milieu d’un petit parc entouré de hauts murs. Cela doit en faire un endroit discret et un lieu de villégiature idéal pour les couples illégitimes. Je garerais ma voiture à l’extérieur, je ne voudrais pas faire « tache », et puis, elle est bien trop reconnaissable.
Un maquillage clair et lumineux, une de mes robes achetées au marché au fond grenat et fleurie, mes sandales, aucun sous-vêtement. Elle est boutonnée devant et sur toute la hauteur, mais je ne ferme que le nécessaire. Le look est un peu bobo mais me convient. Je ne sais pas à quoi s’attend le client qui semblent un habitué de ces rendez-vous. C’est, en tous cas, comme ça que je me sens le mieux. La boule au ventre est bien là, mon cœur tape fort dans ma poitrine. Je trouve à me stationner pas très loin, et je laisse Floriane prendre la suite.
L’endroit est très joli, cossu sans être ostentatoire, charmant et, comme de bien entendu, discret. Ensuite de la réception, je gagne le premier étage puis la chambre de Victor. Après les présentations d’usage, je récupère mon « cadeau », le vérifie et annonce que, comme c’est la première fois, il faudrait qu’il mène. Si l’homme n’a pas vraiment de charme, chauve et empâté, sans réelle grâce, il est courtois et cultivé, habitué à diriger et à être obéit. Tout se déroule sans violence, plutôt naturellement, il se dit très satisfait, je le suis aussi, l’homme est habile.
J’ai le droit de prendre une douche, quand je reviens le saluer avant de partir, alors qu’il fume sur le petit balcon, il me demande si je voudrais rester prendre un thé, ou un café. Je ne lui demande rien, comme il semble s’y attendre, puis je n’ai rien d’autre à faire et je me sens bien. La théière arrive, portée par un chasseur sur un plateau étincelant accompagné de petits gâteaux et biscuits secs.
J’avais lu quelque part que les prostituées devaient aussi savoir écouter et faire la conversation, je n’aurais jamais pensé que ça puisse être aussi vrai. Dans la cinquantaine bien tapée, il me parle de son entreprise de consulting, de son mariage qui n’en a plus que le nom, de sa femme qui vit quasiment chez son amant, de ses deux enfants qui, s’ils s’assument financièrement, ne le considèrent guère plus qu’un tiroir-caisse. Il se rend responsable de la situation dans la mesure où il a privilégié son travail pour assurer le confort de sa famille pendant qu’eux, lui reprochaient ses absences. Que le moment qu’il passe avec moi lui semble être le seul qui lui appartient. Que lui dire d’autre que divorces, dis non à tes gosses, vends ta boîte et vis pour toi, mais il n’est pas prêt à franchir le cap.
Il est quasiment 18 heures lorsque je quitte La Passiflore avec deux billets de cinquante supplémentaires. Pour l’instant, Victor ne peut que se payer le temps des autres, pas le sien.
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