19 – GOSSIP : Heavy Cross

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Il n’y a pas de nous, c’est ce que je me dis alors que je m’assois dans ma voiture. Je tourne la clef de contact, le moteur s’ébroue, les vibrations font glisser les ventaux du paravent derrière lequel je me camouflais. Il n’y a pas de costume ou de marionnettiste, juste moi qui me cachait derrière mon petit doigt, un prénom et un pseudo pour me donner bonne conscience, ne pas avoir honte de ce que je viens de faire, de ce que je vais faire. Je me prostitue maintenant pour vivre, je vais me prostituer pour mener une enquête, pour faire le bien.

C’est la première fois que j’arrive à réellement prononcer ce mot, à accepter ce constat. « Je suis une prostituée », c’est la phrase que je prononce tout haut. Dans le langage courant, c’est sale, dégradant, c’est un déchet. J’ajoute « je suis une pute », je ne me sens pour autant ni entachée, ni rabaissée, ni différente de celle que j’étais à 14 heures. Je me sens bien, aussi je décide d’en rester là, d’arrêter, au moins pour l’instant, de me faire de nœuds au cerveau alors que je me dirige vers une grande zone commerciale.

Ce n’est pas vraiment dans mes habitudes de faire du shopping réel, je commande plutôt sur internet, souvent les mêmes choses sur les mêmes sites. Sans qu’il ait eu besoin de le dire, j’ai bien compris avec Victor que ma tenue manquait de « standing ». Je vais donc chercher quelque chose de plus habillé, cependant, pour quelqu’un qui n’a rien porté d’autre que des jeans, des baskets, les choses vont être difficiles.

J’ai acheté deux robes sur le marché parce que j’avais besoin de vêtements, que c’est l’été, que je ne suis plus flic, que le tissu me plaisait, et sans autre essai que si ma poitrine rentrait dedans. Là, je suis à l’entrée de la zone commerciale, j’en regarde le plan. Je connais le nom de la plupart des enseignes, pour les autres, j’ai juste à lire le domaine d’activité qui est précisé.

Ce serait certainement facile pour une autre, sauf que je suis un cataclysme ambulant en matière vestimentaire, une catastrophe du shopping, tout l’opposé de la Cristina à laquelle j’emprunte ma coiffure, enfin l’ancienne, ça pousse… En dehors du jean-tee-shirt-baskets, c’est ma mère qui œuvre, sauf ma maman n’est pas là.

C’est en réalisant que je ne trouverais pas d’aide dans ces grands magasins que je remarque un autre panneau intitulé « Le Village - le petit commerce à votre service ». De la même façon, les échoppes sont repérées ainsi que le domaine d’activité. Je lis cordonnier-bottier, couturière, boulangerie-pâtisserie, poissonnerie, boucherie, chausseur-créateur, chapelier-modiste, coiffeur-visagiste, créateur-styliste, prêt à porter, tatouage-piercing, friperie… J’y trouverais certainement mon bonheur plutôt que d’errer…

Je reprends ma voiture, l'heure tourne, c'est à l'opposé. Je découvre une rue, comme celle que vous pourriez trouver dans un centre-ville, sens unique, stationnement de chaque côté, je me gare. Sortie de la voiture, certainement comme chaque personne qui vient ici pour la première fois, je commence par un regard circulaire. Une vraie quiche du shopping, je remonte la rue, regarde les vitrines, et... rien, je ne vois rien pour moi, pourtant, il doit y avoir beaucoup pour me rendre belle.

C'est un sourire qui me fera franchir la porte d'un magasin. Des lèvres carmin, un visage rond, des yeux pétillants derrière de grosses lunettes noires rectangulaires, un centimètre de cheveux peroxydés avec un haut jaune façon chauve-souris bariolé qui pique les yeux. Je me demande en entrant, accueillie par une clochette, s’il y a aussi une fleur sur l’autre oreille ?

« Bonjour, je peux vous aider », qu’est-ce que ça peut être rassurant quand il suffit de répondre « Bonjour, oui, je cherche une robe ». J’ajoute « classique » parce que c’est ce que je crois que je recherche, et paraître moins potache. Un tourbillon de couleurs s’amine dans cette friperie où elle seule doit savoir où trouver quelque chose, et pourtant, elle revient avec une robe noire et une autre bleu nuit dans chaque main.

Je jette mon dévolu sur la bleue, haut façon chemise à boutons blancs, bas style patineuse, manches trois-quarts et un petit joueur de polo brodé en blanc sur la poitrine. Pas le temps de dire « ouf » que « appelez-moi Claudine » me conduit vers une cabine d’essayage. Un peu gênée je suis par mon absence de sous-vêtement, mais un « pas d’inquiétude, j’en ai vu d’autres » me fait dire « et puis zut » …

L’œil de l’expérience, tout rentre, ça me va à merveille, le tissu est agréable. J’ai boutonné jusqu’au col, elle en déboutonne trois, « faut montrer ce qui est beau » me dit-elle avec ce large sourire. Je sens de la chaleur dans mes joues, prenant également conscience que ce corps, c’est le mien, que pour la première fois, je regarde vraiment l’image que me renvoie la psyché, je me vois.

Avec des babies dans le même ton, bouts ronds vernis, sangles aux chevilles et petits talons, j’affiche un large sourire. Je me sens « jeune femme élégante » pour 167 euros avec un bracelet et un collier fin, mais ça me plaît. Elle me donne mes achats, que je paye en espèces, me fait remarque qu’avec une paire de boucle d’oreille en plus… sauf que mes lobes sont intacts.

Nous discutons un bref instant pendant lequel elle m’explique qu’elle ne vend pas seulement des vêtements de marques, mais dispose aussi d’un large éventail dans tous les styles et toutes les gammes de prix. Je la remercie encore, cependant, en sortant je prends conscience qu’elle a allumé quelque chose en faisant remonter un souvenir.

Petite, ma mère s’est toujours opposée à ce que j’ai les oreilles percées, puis c’est resté comme cela, et avec le métier que j’envisageais par la suite, il n’y avait pas vraiment d’intérêt. Pourtant à cet instant, c’est comme une envie irrépressible qui guide mes pas vers l’échoppe du pierceur, qui se révèle être une pierceuse.

Lorsque j’entre, je ne sais pas de quelque manière la regarder, parce que tout est à voir. A l’exception de l’ovale du visage, tout est tatoué de manière très coloré, de plus elle doit porter plus de métal que celui qui compose mon arme de service. Cheveux noir corbeau en chignon flou retenus par un pique, maquillage très appuyé, short en cuir, débardeur et chaussures compensées.

Et dire que je suis toujours dans l’entrebâillement de la porte pendant que je la dévisage avec une impolitesse au niveau de ma surprise. Elle m’accueille avec un « bonjour », tout en saisissant la main qu’elle me tend pour m’attirer à l’intérieur. Je m’excuse, elle me répond qu’elle a l’habitude, j’enchaîne, « je viens pour mes oreilles ».

Sculpturale, Dive, puisque c’est son nom, m’explique les différentes possibilités, puis quelques essais, j’opte pour un peu plus que du classique avec trois trous dans chaque lobe, je trouve ça joli. C’est le maximum toléré m’explique-t-elle, toléré aussi par mes liquidités qui s’amenuisent. 15 x 3 x 2 + 27 avec une paire d’anneaux, deux paires de brillants et six « aïe » d’appréhension. Durant « l’intervention », elle m’a expliqué tous les endroits où il possible de poser des bijoux, le fonctionnement de la boutique et les horaires, un vrai talent de commercial dont on pourrait s’étonner en s’arrêtant à son apparence.

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