21 – KAJAGOOGOO : To Shy

4 minutes de lecture

Le lendemain, je n’ai pas vraiment grand-chose à faire, sauf mon rendez-vous en soirée, devrais-je en prendre d’autres ? Ma stratégie, enfin celle du service, est d’entrer dans la prostitution pour pénétrer le monde des bikers, de la même façon que ces filles, en me faisant ramasser sur l’avenue, puis en séduisant l’un d’eux, bien placé de préférence dans l’organisation.

Mais comment me rendre sur le boulevard et avoir une place ? Peut-être qu’avec une meilleure vue, je pourrais comprendre, apprécier plus globalement le mode de fonctionnement. Je suis au pied du mur, il va falloir que je le franchisse, rapidement.

Il y a aussi la valeur des choses que je dois intégrer, mes réserves sont faibles, je pourrais me retrouver sans rien, et puis, comme de partout, la petite nouvelle devra trouver sa place. C’est ainsi, alors que je fais quelques étirements sur ma terrasse, que je me résous à prendre d’autre rendez-vous comme escorte, via le site où je suis déjà inscrite.

Il me faut de l’argent pour tous les jours, et certainement énormément pour constituer une garde-robe, puis de la réserve en cas de problèmes. Je l’ai bien vu hier, ça file très vite, trop même. Puis, il me faut aussi trouver un style, et c’est sur cette réflexion que je poursuis avec des exercices d’aïkido. A la recherche de ma respiration, je repense à la tenue dont j’ai fait hier l’acquisition, et pourquoi pas quelque chose avec un genre écolière, ça devrait plaire puis les variantes sont infinies.

Enfin que dire de cet argent, je vais en gagner, mais je vais le mettre où ? Je ne peux pas tout payer en liquide, ne serait-ce que mon loyer. Si je dépose les sommes sur mon compte bancaire, ça pourrait paraître suspect. Ensuite, je prends aussi conscience que je n’ai aucune couverture sociale. Si je viens à être malade, que je dois consulter un médecin, aller à l’hôpital, comment vais-je faire ?

En regardant sur internet, il n’y a en fait que peu de choix, le statut d’autoentrepreneur semble la meilleure option avec un tiers de ce que je vais gagner qui va partir tous les mois ou que je mettrais de côté pour les impôts. Cependant, je vais attendre un peu, car si je touche des prestations de la CAF, il a peut-être été prévu quelque chose ? Je n’ai pourtant souvenir de rien dans mon dossier, je me demande comment je n’y ai pas porté attention, ça semblait aller de soi, certainement…

Je poserais la question dans mon rapport hebdomadaire, il ne sera pas épais, mais bon… je dois m’y tenir, au plus tard le lundi à six heures du matin. Les réponses ou d’éventuelles instructions seraient disponibles à compter du mercredi midi.

Il est maintenant trop tard pour aller faire un tour, mais encore trop tôt pour me préparer. Je regarde s’il y a du changement pour ce soir avec Simon. Je relis cependant ses demandes, je dois répondre au prénom de Valérie, me comporter comme sa petite amie pour la soirée. Je souris en pensant au paradoxe, je n’ai jamais été la petite amie de personne, je m’adapterais. Si je me souviens bien de mes lectures, les anglophones disent une GFE, une « girlfriend experience… »

J’en profite pour faire du tri dans ma messagerie sur le site. Je m’excuse auprès de certains auxquels je n’ai pas répondu, les personnes qui semblent fiables, je réponds à d’autres s’agissant de mes disponibilités. Ne sachant pas vraiment ce qu’il en est de mon devenir, je privilégie surtout le créneau entre 12 à 20 heures.

Ce qui me surprend, c’est le nombre de demande, même si je crois l’avoir déjà évoqué, quand bien même le tri soit plutôt aisé à faire. Je vois plutôt ça comme une sorte de feeling avec le message qui m’est adressé. D’un côté, je peux comprendre ces hommes, même si ça m’est difficile, qui cherchent à se vider, à réaliser un fantasme, à affirmer leur virilité, à avilir… Peut-être qu’ils sont célibataires ou que leurs femmes ont la migraine tous les soirs, qu’elles répugnent à leurs fantasmes, sont castratrices ou portent la culotte…

D’un autre côté, une fois encore, il faut que j’arrête de me demander pourquoi, même si j’ai le sentiment de le savoir au plus profond de mon âme, ça ne me dégoûte pas de me vendre ainsi ? Le boulevard, c’est une angoisse… Je laisse mon esprit se faire entraîner dans les méandres des demandes particulières, surprenantes, déroutantes, violentes, obscènes, les qualificatifs et synonymes ne manquant pas, aussi vastes que la nature humaine est multiple.

* * *

A ce moment-là de ma vie, je savais, plus que toutes autres choses, que je ne devais pas franchir les limites que je m’étais fixée : ne pas être attachée et pas de rapports non-protégés. A l’opposé de la fille posée et réfléchie, il y avait celle qui avait soif de découvrir, d’essayer, aux risques de se mettre en danger. Fort heureusement, ces deux filles n’en auront toujours fait qu’une seule qui savait dire et se dire « non ».

Jusqu’à ce présent, il y avait toujours eu quelqu’un, une autorité pour border mon chemin, le guider, là il n’y avait plus que moi dans un univers où tout était nouveau, où je m’étais laissée propulser. Je touchais ma faiblesse avec le doigt et je venais de comprendre que je devais poser la première pierre d’une nouvelle « moi », parce que là, j’avais l’impression de courir après un train que je ne pourrais jamais rattraper, peur de perdre le contrôle de ma vie alors qu’il n’y avait personne pour me tendre les bras.

* * *

Il est l’heure de me préparer pour mon rendez-vous, de laisser toutes ces réflexions de côté.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Notemorf ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0