24 – JAKIE QUARTZ : Mise au Point

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Le réveil est difficile en ce vendredi matin, l’intérieur est encore quelque peu cuisant, mais j’ai faim. Je prends un petit déjeuner que je réalise bien tardif. La chaleur du thé me fait du bien, avec quelques douceurs c’est encore mieux. La bouche pâteuse laisse la place à une saveur sucrée, mon baromètre énergétique remonte en flèche !

Mon cerveau lui aussi reprendre de sa fonctionnalité. Ce qui s’y imprime en premier, c’est que je n’ai rien à ajouter d’autre quant à ce qui s’est passé hier. Dans un sursaut d’orgueil, pour aussi déplacer qu’il soit à cet instant, je me dis que s’il faut descendre encore plus bas pour réussir, j’irai encore plus bas. Après avoir rangé, c’est avec le sourire que je me lance dans quelques exercices.

La matinée se termine, je grignote encore un peu sur les coups de midi, puis me prélasse tranquillement, jusqu’à ce qu’il soit temps. Dans la salle de bain, je me confronte au miroir, ce n’est plus un prisme au travers duquel je réalise que je regardais, mais un simple moi, une-moi 2.0 selon l’expression en vogue, mais aussi, « je suis une pute ». En exagérant peut-être, si je dirais que sens mon âme m’habiter à nouveau.

Rien ne sera facile, faire ce que je vais devoir faire ne sera pas aisé. Il y aura beaucoup de traces sur mon corps, dans mon âme, la plupart seront invisibles, mais je saurais qu’elles sont là, présentes, telles celles qui ont généré cette anatomie que je dissimule sous la couche d’un savant fardage. Ce sera toujours moi, maintenant ou demain, quel que soit mon prénom ou mon pseudo.

C’est dans une tenue que j’ai si souvent portée que je me dirige vers le café, jean-tee-shirt-baskets, et même par cette chaleur, mon cuir et cette casquette désormais vissée sur ma tête pendant la journée. Je la cherche du regard sur l’immense terrasse, quand mon regard croise finalement le sien, son bras se lève pour me faire signe. Elle sirote un café à petite gorgée, je commande un thé au jasmin.

Nous échangeons quelques banalités le temps que chacune prenne sa place face à l’autre. Elle s’appelle Isabelle, Belle sur le boulevard, je me présente à mon tour, Floriane, Eiffel. Aussitôt fait, elle me demande si j’ai vomi, bien évidemment, j’acquiesce. Elle me répond qu’il n’y a rien d’anormal, que ça se reproduira certainement. Elle m’explique donc sa philosophie.

Pour elle, se prostituer, c’est être un objet vivant dans lequel les hommes glissent une pièce pour en jouir tel qu’ils le souhaitent. La plupart des filles n’ont pas le luxe de refuser un client du moment qu’il paye, et parce qu’il te paye, il pense qu’il peut faire de toi ce qu’il veut. C’est violent, même s’il ne te frappe pas, c’est un rapport anormal, que tu acceptes, parce que tu es payée, non parce qu’il y a une envie partagée.

Elle commande un soda sans sucre, je la suis. Elle poursuit en m’expliquant que toutes les femmes sur ce boulevard y sont volontairement, que ce soit à temps plein, à mi-temps ou occasionnellement. Que la toute première chose que je dois savoir, c’est que le boulevard appartient aux bikers, tout comme le quartier. Qu’ils ne sont pas des souteneurs, mais assurent notre protection, donc on les dédommage en nature, que ce soit pour un moment ou pour la nuit, c’est notre convention.

Sur eux, elle n’en dira pas plus, certainement parce qu’elle n’a rien de plus à en dire, ce qui explique aisément l’absence de tout autre réseau. Elle m’explique alors certaines règles dont elle a été désignée garante pour toutes les autres filles. Le fonctionnement ressemble à celui d’un marché de centre-ville, chacune a une place définie. Elle peut l’échanger avec une autre, ou contre une qui est vacante, avec un privilège pour l’ancienneté.

Ensuite, celles qui travaillent à plein-temps ne font que rarement du sept jours sur sept, en l’absence, leurs places sont donc occupées par les occasionnelles. Les temps partiels sont souvent deux voir plus sur le même emplacement. Elle m’explique enfin que c’est elle qui a la charge de cette sorte de planning, qu’à ce titre, chacune des vingt et une fille lui verse une contribution de soixante euros mensuelle, qu’il faut, au plus tard le mercredi, lui dire pour la semaine suivante. Elle ajoute en rigolant qu’elle est un peu notre « Madame Claude », que c’est certainement pour ça que beaucoup l’appelle Madame Belle !

Elle en termine enfin en me disant qu’il y a un emplacement de libre, celui dit de « la débutante », le dernier tout au bout, qu’il est à moi si je le veux. Elle précise qu’afin d’éviter toute concurrence et chamailleries, elles ont toutes les mêmes tarifs, 20 la fellation, 30 à cru, 40 l’amour et 60 par derrière, mais qu’il n’y a qu’une ou deux occasionnelles qui l’acceptent. Elle ajoute qu’il est possible de demander des extras pour des choses particulières comme une éjaculation faciale ou s’ils sont deux, pour celles qui acceptent.

Pour conclure, elle me dit de prendre beaucoup précautions avec les clients qui voudraient me voir sur des temps plus longs, et enfin me montre une sorte de « bip » en forme de bracelet. Elle m’explique que si je suis en danger ou en difficulté, quel que soit l’heure du jour ou de la nuit, ça déclenche une alerte sur les téléphones des bikers. Ils rappliqueront plus vite que la police, sans faire dans la dentelle.

Nous continuons à discuter. Même si je reste assez vague, je lui parle de moi, elle me pose quelques questions, certaines plutôt bien ciblées. Je lui demande comment… elle évoque son mariage à dix-sept ans, enceinte jusqu’au cou, d’un divorce difficile, de son mari, parti avec sa meilleure amie, de son statut de femme au foyer qui s’est retrouvée sans rien avec deux enfants, de son grand qui vient de lui annoncer qu’elle allait être grand-mère et de son dernier qui fait médecine. Elle ajoute, avant que je ne pose la question, qu’ils savent ce qu’elle fait.

Avant de se quitter, je lui confirme que je prends la place. Elle me prévient cependant que je ne pourrais commencer que le lundi suivant, le planning étant déjà fait pour la semaine prochaine. Il me faudra donc lui communiquer le mien mercredi au plus tard. On se sépare en échangeant nos numéros et en se faisant la bise.

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